Depuis plus de deux semaines, 7 membres du personnel soignant du CHR (Centre Hospitalier du Rouvray) avaient décidé de commencer une grève de la faim. Celle-ci a permis la médiatisation d’une lutte qui dure depuis déjà des années ; la grève actuelle a commencé le 22 mars dernier. Ses luttes sont nombreuses et méritent d’être détaillées : lutte contre une psychiatrie sécuritaire, contre une gestion managériale, contre une pénurie de postes organisés, pour une recherche du profit. Le CHR est le 3ème hôpital psychiatrique de France en terme de patient-e-s, mais il est le 9ème en terme de budget. Le personnel soignant s’élève à plus de 1700 infirmiers et infirmières, pour s’occuper de 400 patient-e-s. La proportion peut sembler raisonnable, mais elle est en réalité très faible : chaque patient-e doit être suivi attentivement, 24h/24 et 7 jours sur 7, faire l’objet de compte-rendus réguliers, et cela est actuellement impossible. Le personnel du CHR se divise en trois couches : le personnel soignant, les managers, l’administration. Les premiers produisent le soin, les deuxièmes les supervisent, tandis que les troisièmes s’occupent de centraliser les activités et de gérer l’hôpital. Il n’y a que le personnel soignant sur le terrain. Alors que l’administration et les managers étaient auparavant des soignants, ceux-ci sortent maintenant d’écoles de commerce et passent des concours de la fonction publique qui n’ont rien à voir avec la médecine.
La gestion se fait toujours plus comme une entreprise : alors que la médecine et la psychiatrie demandent un traitement de qualité, qui prenne le temps de guérir le patient, les managers demandent à faire du quantitatif, que les patient-e-s soient traité-e-s en nombre et rapidement. Le personnel soignant appelle la psychiatrie « le parent faible de la santé » : l’important n’est plus de soigner, mais de faire du chiffre. Il faut faire rentrer un maximum de patient-e-s : certain-e-s sont mis en cellule d’isolement, même des mineurs, cellules où il n’y a qu’un seau pour faire ses besoins et aucun contact avec l’extérieur. Lorsque les patient-e-s issu-e-s du milieu carcéral viennent être soigné-e-s, la plupart décide de retourner en prison : au moins, « en prison, on est sûr d’avoir le droit de se balader. ». Les mineurs sont mis dans des chambres avec des adultes, les nouveaux et nouvelles arrivant-e-s dorment sur des matelas gonflables. Tout cela est le résultat d’une politique du chiffre, décidée par les gouvernements successifs. Depuis 2011, la généralisation des UMD (Unité pour Malades Difficiles) marque le tournant vers une psychiatrie toujours plus sécuritaire. Les malades sont faits pour être internés, pas pour être soignés. Les hôpitaux psychiatriques doivent être rentables : le nombre de personnel soignant a arrêté d’augmenter, tandis que les patient-e-s se serrent dans les locaux. Les stagiaires ne sont plus titularisés, on renouvelle simplement leur contrat, comme des CDD dans le privé. Les salaires n’augmentent pas non plus, et toute contestation reçoit comme seule réponse : « Si vous n’êtes pas contents, il y en a des dizaines qui voudraient être à votre place, on peut les recruter à votre place. ».
Le personnel soignant n’a pas une culture militante combative comme les cheminots ou les dockers ; pour autant, leur grève actuel tient depuis le 22 mars. Ce jour-là, le premier préavis de grève reconductible est posé. Ils demandent trois choses : la titularisation de tout le personnel soignant encore stagiaire, l’ouverture de structures spéciales pour les mineurs, et l’embauche de 52 postes paramédicaux. C’est le strict minimum : en réalité, il faudrait plus de 150 postes supplémentaires. Le 27 mars, ils organisent une « marche blanche » sur Paris, mais le mur du silence des médias se maintient. En face d’eux, ils ont trois instances : l’administration du CHR, l’ARS (l’Agence Régionale de Santé) située à Caen, et le Ministère de la Santé, avec à sa tête Agnès Buzyn. L’administration et l’ARS rejettent la faute sur le ministère, qui reste muet. Pour se faire entendre, ils doivent passer à une étape supérieure de la grève. Le 22 mai, 7 employé-e-s décident de commencer une grève de la faim. L’administration multiplie alors les provocations, en passant le deuxième jour devant les grévistes avec un chariot de nourriture, puis en venant manger directement devant eux le lendemain.
Très rapidement, les grands médias affluent, des personnalités politiques viennent apporter leur soutien. Mais la lutte continue à l’intérieur du CHR, et lorsque le personnel soignant envahit l’administration de l’établissement, les locaux sont immédiatement désertés. Les secrétaires reçoivent comme ordre de prendre des congés (et ne sont pas mises en chômage technique), les ordinateurs et les dossiers sont laissés là. Au jour d’aujourd’hui, les locaux sont toujours vides, et personne ne sait où se cachent les administratifs. Pendant ce temps, un comité de soutien se crée, des ancien-ne-s patient-e-s ont formé une chorale qui vient soutenir les grévistes. Aujourd’hui, l’administration introuvable, l’ARS et la ministre de la santé font la sourde oreille. La seule réponse qu’ils ont eu est une nouvelle audit, c’est à dire une nouvelle enquête pour estimer les besoins du CHR, alors que le dernier date de novembre 2017, que de l’argent est dépensé, et que du temps va encore être perdu.
Malgré la difficulté de la grève, trois grévistes de la faim ont tenu le coup, rejoint par un nouveau. Les syndicats (CGT Solidaires CFDT CFTC) et le collectif Blouses Noires sont unis dans cette lutte, et ils reçoivent des messages de solidarité partout en France, et surtout des autres hôpitaux psychiatriques. Après des hospitalisations des grévistes, ils ont obtenu, le vendredi 8 juin, de l’ARS (Agence régionale de santé) la création de 30 postes sur les 52 demandés, ainsi qu’une aile dédiée aux adolescents.