Le Petit Paumé est une association créée par des étudiants de l’EM Lyon, grande école de commerce. Il référence et recommande un grand nombre d’établissements lyonnais, notamment des bars, restaurants, etc, et propose de nombreux bons plans. C’est la deuxième plus grande association étudiante de France en termes de moyens financiers, ce qui en dit déjà beaucoup sur l’école qui régit Le Petit Paumé. Chaque année se lance une nouvelle saison place Bellecour, une occasion de présenter ce projet, et de distribuer massivement ce guide.
Or, pour le lancement de la saison 2020 ce 12 octobre dernier, une polémique a éclaté au sujet de propos tenus dans le guide : « Alors que je fuis une bande de rebeus place Guillotière, je m’engouffre, un peu par hasard à ho36. Bonne pioche ! Des jeunes blancs qui travaillent sur leurs ordis, tout en sirotant un bon café latte. Je vais pouvoir me fondre dans la masse ». Le bar dont il est question s’est insurgé contre ces propos racistes, tout comme le directeur de l’école. Pour autant, ce n’est pas la première fois que ce guide fait parler de lui en négatif, d’anciennes éditions ayant qualifié un restaurant de « la plus grosse chiasse d’après repas », ou fait une distinction pour « la serveuse la plus hot ». Les exemples ne manquent pas pour dire que ce guide a clairement des
relents réactionnaires, mais penchons-nous sur la plus récente polémique.
Il est nécessaire de rappeler que le Petit Paumé vient de l’Ecole de Management de Lyon, grande école de commerce privée. Les écoles de commerce ne sont pas connues pour être accessibles à toutes et à tous, les frais d’inscription et de scolarité étant plutôt vertigineux. En
effet, ils s’élèvent à 14 000 euros pour la première année, puis 15 000 euros pour les suivantes. Le concours d’entrée se dit « ouvert à tous », mais requière néanmoins une « culture générale élargie ». On le devine donc, les personnes ne possédant pas, en plus du capital économique, de capital culturel suffisamment élevé n’y sont pas les bienvenues.
On se doute que le profil des étudiants et étudiantes de cette école n’est pas le même que celui des cibles du passage controversé. Issus de famille bourgeoise pour la plupart, ce n’est pas dans le quartier de la Guillotière que les étudiants de l’EM Lyon habitent mais principalement dans le 6e arrondissement, sur la Presqu’île ou dans la riche banlieue de l’ouest lyonnais, par exemple à Ecully, où se trouve d’ailleurs l’école.
Les écoles de commerce de manière générale insèrent très bien dans le monde de l’emploi. Selon la dernière enquête de la CGE (Conférence des grandes écoles), près de 86,6 % des diplômés obtiennent un poste moins de six mois après l’obtention de leur diplôme. Les débouchées sont principalement la finance ou les assurances, le conseil, le commerce… On ne parle ici donc pas de futurs ouvriers et ouvrières.
Les bases du Petit Paumé étant présentées, il faut rappeler la situation du quartier de la Guillotière. Celui-ci est en effet le dernier quartier populaire du centre-ville lyonnais, où la diversité ethnique y est importante. Il a longtemps été un lieu de passage, de transition pour des populations immigrées. Il est donc la cible de nombreux réactionnaires, non contents de la présence de certaines personnes dans le centre-ville.
Premièrement, ce quartier est ciblé par des collectifs comme « La Guillotière en colère », qui se plaint des nuisances sonores et de l’insécurité du quartier. Créé le 19 septembre dernier, ce groupe est sans aucun doute celui de personnes arrivant tout juste dans le quartier, en plein phénomène de gentrification, la gentrification étant le processus d’embourgeoisement d’un espace d’origine populaire du fait de son attractivité. Etant le dernier quartier populaire du centre de Lyon et en plein cœur de la ville, bien desservi par les transports en commun et à côté de plusieurs campus de facultés (Lyon 2 et Lyon 3), il en est la cible parfaite. Derrière ces plaintes de « nuisances sonores » se cache donc évidemment un désir d’embourgeoisement du quartier, phénomène déjà enclenché.
Deuxièmement, les éléments les plus fascistes de Lyon ont profité de la CAN (Coupe d’Afrique des Nations) pour attaquer des personnes issues de l’immigration, ne se cachant pas de leur racisme. Le fascisme étant, rappelons-le, au service de la bourgeoisie depuis que celle-ci existe, il ne fait aucun doute sur son lien avec la gentrification. En attaquant des algériens et algériennes le soir des célébrations de la victoire algérienne à la CAN, ils espèrent les faire fuir de Guillotière et « ramener le calme », car selon eux, les personnes issues de l’immigration « envahissent » le centre de Lyon et ne devraient pas y habiter. Les fascistes eux non plus ne cachent pas leur désir de régler les problèmes d’ « insécurité » et de « nuisances sonores », dans le 7e arrondissement (Guillotière) comme dans le 2e (Presqu’île) en ciblant comme responsables de ces problèmes les prolétaires d’origine immigrée.
Enfin, personne ne peut nier l’omniprésence des forces de l’ordre sur la place principale de Guillotière, la place Gabriel Péri. Cette présence continue s’accompagne évidemment de nombreux contrôles au faciès. L’objectif étant toujours le même : intimider pour faire fuir les habitants et habitantes « indésirables ».
Ces acteurs racistes de la gentrification que sont la police, les groupuscules fascistes et les « collectifs d’habitants » ne souhaitent qu’une chose : que les personnes issues de l’immigration quittent le centre-ville pour s’enfermer dans les banlieues de l’est lyonnais, à Villeurbanne, Bron, Vaulx-En-Velin ou encore Vénissieux, où ils ne seront toujours pas épargnés par l’acharnement des forces de l’ordre. Leur qualité de vie sera évidemment encore dégradée, mais qu’importe, tant qu’ils laissent le centre-ville dans « la paix et le calme » !
Voici la mentalité adoptée par les personnes qui se cachent derrière le Petit Paumé. Désireux de vivre entre étudiants dans un centre-ville qu’ils souhaitent bourgeois et festif à leur manière, ils sont des acteurs majeurs de la gentrification du quartier de la Guillotière, processus qui s’inscrit de manière générale dans une optique d’éloignement de ceux dont les parents et les grands-parents ont fui la misère de leur pays, causée par l’impérialisme français, et ont eu le malheur de chercher un nouveau foyer dans nos grandes villes.