L’article suivant a été réalisé avec un porte-parole des Jeunes Révolutionnaires, une des organisations du Front Uni Révolutionnaire dans l’Etat Français par le média international Redspark.
Redspark : Quelle est la situation générale de votre pays en ce moment dans le contexte de la pandémie COVID-19 ?
L’état de la santé publique
La situation ici s’aggrave avec le temps. Le pic des infections et des décès est censé être atteint vers la mi-avril. Cela est dû à la réponse du gouvernement à la crise. Au début, pendant tout le mois de janvier et février, le gouvernement a traité l’urgence comme un petit problème, ne méritant aucune mesure. Certains discours de Macron ou de la ministre de la santé ont appelé les Français à « continuer à vivre » et à « sortir » jusqu’au mois de mars. Quant à la ministre de la Santé, elle a démissionné pour se présenter aux élections municipales de Paris. Lorsqu’elle a échoué, elle a révélé que le gouvernement savait que le COVID-19 deviendrait rapidement une urgence nationale, mais qu’il avait décidé de ne rien faire de significatif dès janvier-février.
Le nombre de cas graves dans le pays ne cesse d’augmenter et la situation en matière de santé publique est préoccupante. Comme nous l’ont expliqué les camarades qui travaillent sur le terrain : les chiffres indiqués en termes de décès et d’infections ne représentent que ceux qui ont la chance d’être acceptés dans les hôpitaux publics. Le nombre de personnes atteintes de cas bénins, ou même de personnes porteuses du virus sans symptômes, est beaucoup plus élevé. Et pour de nombreuses personnes, en particulier les personnes âgées, la mort peut survenir avant d’être accepté dans un hôpital. C’est un risque très important, et un camarade a perdu son grand-père de cette façon il y a quelques jours. On a dit à sa famille que son grand-père n’avait qu’une maladie bénigne alors qu’il présentait tous les symptômes du COVID-19. L’hôpital lui a donné du paracétamol (acétaminophène) et l’a renvoyé chez lui. Il est mort peu de temps après. Nous le rejoignons, ainsi que toutes les autres personnes qui ont perdu des proches, dans le deuil. De nombreuses personnes continuent à travailler (emplois prolétaires) et des ouvriers, notamment de grands magasins, ont été contaminés et sont morts de la maladie, comme Alain, Aïcha et bien d’autres.
L’infrastructure sanitaire et les traitements/tests
Les hôpitaux français ont connu un mouvement de grève prolongé au cours des dernières années, qui s’est intensifié ces derniers mois. Ici, la santé est publique, mais le budget a été constamment réduit depuis la crise de 2008-2009 et même avant. Les hôpitaux publics français n’ont pas d’argent à consacrer aux bons outils pour traiter les patients en temps « normal », et ils fonctionnent avec un personnel limité qui est épuisé par tout le travail qui doit être fait avec des ressources limitées. Au lieu d’augmenter les effectifs, le gouvernement continue à mener une politique de privatisation de la santé publique, favorisant les cliniques privées qui ont continué à fonctionner normalement jusqu’au début du mois de mars, lorsque les hôpitaux publics, eux, ont dû se préparer pour le COVID-19. Les cliniques privées sont aujourd’hui prêtes à recevoir des patients, mais elles n’en reçoivent que très peu en raison de leurs tarifs.
Les tests ont été largement sous-estimés en tant que mesure de prévention lorsque la propagation du virus était limitée. Aucun programme visant à les généraliser ou à empêcher les personnes infectées de propager le virus n’a été mis en place. En fait, le gouvernement n’a pris aucune mesure avant la mi-mars, lorsqu’en l’espace de quatre jours, il a décidé de fermer les écoles et les magasins, puis de mettre tout le pays en quarantaine. Maintenant que le virus s’est propagé et qu’il progresse rapidement vers un pic, le gouvernement parle de tester les gens lorsque le confinement sera progressivement levé. Autrement dit, le gouvernement est maintenant en position de « limitation des dégâts » puisqu’il a refusé d’agir assez tôt.
Quant aux outils permettant de prévenir la propagation de la maladie ou de la traiter, le pays était largement sous-préparé. La pénurie de masques est si grave que le gouvernement a dû compter sur l’aide étrangère (qu’il a d’abord refusée et sur laquelle il a menti) et dans de nombreuses industries (notamment dans le secteur des services), les travailleurs portent maintenant des masques en plastique et d’autres solutions de fortune pour « prévenir » la propagation de la maladie.
Effet sur les masses
Cette crise sanitaire a déjà eu, en plus des autres aspects de la crise (politique, financier, économique), un fort impact sur les masses. Les personnes qui occupent des emplois prolétariens, en particulier celles issues de la classe ouvrière, doivent encore se rendre au travail avec une sécurité insuffisante et une surveillance policière renforcée. Le gouvernement a mis en place des barrages de police dans les grandes villes et des unités mobiles dans les banlieues (où se trouvent les quartiers populaires) qui harcèlent les passants, et surtout les jeunes qui ont l’air noirs ou arabes. Le blocus a également contribué à une augmentation de la violence contre les femmes, jusqu’à 32 % au cours de la première semaine du blocus. Dans les prisons, la suspension des visites et la possibilité d’une propagation massive du virus ont conduit à des révoltes.
En résumé, l’effet de la pandémie actuelle sur les masses a été extrêmement négatif : augmentation de la violence policière, des violences contre les femmes et les enfants, approfondissement des contradictions au travail (Amazon allant jusqu’à appeler ses travailleurs à « se sacrifier pour la France » !)
Pour la bourgeoisie, la situation est différente. 1/5 des Parisiens ont quitté la ville, et beaucoup d’entre eux se sont installés dans leur résidence secondaire à la campagne. Il s’agit presque exclusivement de personnes occupant des postes de cadres qui font un choix irresponsable entraînant une contamination accrue dans des régions rurales du pays. Ces derniers jours, le gouvernement a exprimé son inquiétude face à la montée d’un sentiment de « lutte des classes » dans le pays car les « emplois essentiels » mobilisent principalement la classe ouvrière et le prolétariat pour porter l’ensemble du pays sur leurs épaules.
Fermeture des frontières
Des mesures strictes ont été mises en place dans toute l’Union européenne, une situation inédite ces dernières années. Cela a conduit à de nombreuses situations explosives et dangereuses pour les migrants et les réfugiés dans des pays tels que la Grèce, la Turquie, etc. En Hongrie, non loin de la France, des pouvoirs spéciaux ont été accordés au leader fasciste Orban, soi-disant pour mieux « gérer la crise ».
Macron considère la lutte contre le virus comme une « guerre », et son gouvernement a donc pris des mesures de type guerrier. Par exemple, un préfet s’est vanté dans un communiqué de presse officiel, d’avoir « mobilisé » les réfugiés et les migrants pour qu’ils prennent le rôle de travailleurs migrants (d’Europe de l’Est, principalement de Pologne) pour travailler dans les champs français. Il a présenté cette « mobilisation » comme s’inscrivant dans le cadre de « l’effort de guerre ».
Redspark : Dans presque tous les pays touchés par COVID-19, l’État profite de l’occasion pour consolider son pouvoir au nom de la lutte contre le virus pour la sécurité nationale. Voyez-vous cela se produire dans votre pays ? Si oui : quelle forme cela prend-il ?
Comme dans beaucoup d’autres pays, le gouvernement français a adopté une série de décrets visant à « lutter contre le virus ». Le confinement est le principal exemple qui vient à l’esprit, et depuis sa mise en place, des centaines de milliers de personnes ont été condamnées à des amendes. Tout le monde doit remplir et porter sur soi un formulaire justifiant sa présence à l’extérieur. C’est pourquoi la police a été habilitée à infliger des amendes, voire à emprisonner (jusqu’à six mois), les sans-abri, les personnes qui se rendent à la boulangerie plutôt qu’au supermarché, les personnes qui n’ont pas d’imprimante à la maison et font une faute d’orthographe en copiant le formulaire, les personnes qui sont 30 minutes en retard sur que ce qui est écrit sur le formulaire…
Bien sûr, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, ce qui est visible lorsque vous sortez et ce que la plupart des gens, surtout ceux des villes, ont vécu jusqu’à présent. Mais les actions du gouvernement sont bien plus vastes que cela.
Tout d’abord, le gouvernement a annoncé un « état d’urgence sanitaire » national. Quel est le contenu de cet état d’urgence ? Modification des congés payés, modification de la durée de la semaine de travail et bien d’autres. En substance, ce décret « temporaire » accélère la série de réformes entamées par les gouvernements bourgeois du pays il y a de nombreuses années. La semaine de travail de 35 heures a été abandonnée presque instantanément et, à sa place, le gouvernement a permis aux entreprises d’augmenter le nombre d’heures hebdomadaires de 48 à 60 maximum. Des centaines de milliards sont déjà en route pour sauver les plus grandes entreprises du pays de la récession et de la crise financière et économique, amplifiée par COVID-19. Ces mesures, loin de « favoriser la mobilisation pour lutter contre le virus », permettent à la bourgeoisie française de sauver ses profits et de continuer à exploiter même dans la situation actuelle.
En plus de ces réformes socio-économiques, le gouvernement a travaillé en étroite collaboration avec les plus grands monopoles français, en particulier les plus grands fournisseurs de réseaux mobiles, pour permettre au gouvernement d’obtenir des informations de géolocalisation à partir de chaque téléphone portable du pays. La justification officielle est que cela permettra au gouvernement de surveiller les déplacements des personnes malades lorsque le confinement sera progressivement levé. En réalité, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une surveillance de masse apportée au gouvernement sur un plateau d’argent.
Redspark : Quelles sont les répercussions à court et à long terme ?
Bien sûr, on dit que ces modifications de la loi sont des solutions temporaires, à court terme et dans des conditions exceptionnelles.
Dans un État bourgeois, il n’existe pas d’état d’urgence vraiment temporaire. Le cas de la France en est un bon exemple. En 2015, avec les attentats de Daesh en janvier et novembre, le gouvernement a déclaré l’état d’urgence. Cela a entraîné une augmentation des fouilles au corps partout, des contrôles de police et a donné des pouvoirs exceptionnels à l’État français à tous les niveaux. Aujourd’hui, cet état d’urgence a été levé, mais sous Macron, nombre des mesures qui étaient devenues la norme dans le cadre de l’état d’urgence ont été inscrites dans la loi.
Ce nouvel état d’urgence, dit « sanitaire », suit la même voie. Le gouvernement bourgeois prépare son avenir en s’attaquant aux masses en pleine crise. Il n’a pas le temps d’attendre : il y a seulement un an, le mouvement des Gilets Jaunes a démarré, et en hiver, une grève générale de lutte contre le nouveau projet de loi sur les retraites a duré plusieurs semaines.
Nous pouvons synthétiser les changements actuels apportés par le gouvernement français de la manière suivante : réformes économiques, pour garantir les profits malgré la crise générale ; réformes sociales, pour diminuer les droits des travailleurs et justifier cela par les « conditions exceptionnelles » ; et réformes politiques pour augmenter la surveillance de l’État et en général renforcer la police et l’État contre la dissidence. À court terme, cela a déjà un impact majeur. À long terme, si cette situation devient la norme, alors la restructuration de l’État bourgeois pour se préparer à un éventuel gouvernement fasciste aura progressé de façon spectaculaire. Il n’est donc pas surprenant d’entendre Marine Le Pen (du Parti fasciste du Rassemblement national) critiquer la politique de Macron et demander la mise en place de mesures plus strictes.
Mais les réformes ne sont pas le seul changement. L’État bourgeois doit faire face à une crise financière et économique avec des risques plus importants que les précédents. Cette crise n’a pas été provoquée par le COVID-19, mais le confinement actuel et la récession ont alimenté son développement. Avant même le confinement, le principal indice boursier du pays, le CAC 40 (avec les 40 plus grands monopoles du pays) avait déjà perdu 40 % de ses actifs en un mois seulement. Depuis lors, le gouvernement a révélé un plan de sauvetage pour sauver les monopoles, et la Banque centrale européenne a mis en route l’imprimante à billets afin d’amener de l’argent frais sur le marché. Comment cette crise affecte-t-elle les masses ? Eh bien, de nombreuses petites entreprises dépendent du capital financier pour survivre sous la forme de dettes. Avec la crise de la dette, combien de ces entreprises vont faire faillite ? Et avec elles, combien de personnes vont perdre leur emploi ? De même, certains monopoles ont déjà commencé à licencier du personnel afin de réduire les dépenses. Pour les jeunes, c’était déjà un problème majeur avant la crise, avec pas moins de 20 % de chômage chez les travailleurs de 20 à 24 ans. Avec les nouveaux développements, il y a une forte possibilité que ce chiffre, ainsi que le niveau général du chômage, augmente rapidement.
Redspark : Comment cela affectera-t-il le travail de construction d’un mouvement révolutionnaire ?
Même avant cette crise, le rythme auquel les gens ont réalisé la nécessité d’un mouvement révolutionnaire structuré en dehors des voies du mouvementisme et de la spontanéité n’a cessé d’augmenter. Aujourd’hui plus que jamais, cette nouvelle situation exige un tel mouvement révolutionnaire. Les réformes entreprises par le gouvernement signifient que ce mouvement sera confronté à une répression accrue, comme on l’a vu ces dernières années, et qu’il devra se développer dans des conditions où les droits des travailleurs sont niés et attaqués, et où toutes les miettes laissées par les politiques sociales-démocrates (le soi-disant « État providence ») sont rapidement balayées.
Cela signifie qu’il faut augmenter rapidement la qualité et la quantité du mouvement déjà existant, et le faire de manière systématique et consciente, afin de le relier étroitement aux masses. Cette leçon a déjà été enseignée aux révolutionnaires auparavant, dès 2005 avec la Révolte des Banlieues, et beaucoup plus récemment, avec les manifestations de 2016 contre la loi Travail et les Gilets Jaunes.
Avec les nouvelles conditions, c’est plus vrai que jamais. Notre organisation, ainsi que d’autres, a appris cette leçon et a décidé d’agir.
Redspark : Alors que les populations de la plupart des pays touchés sont en quarantaine forcée et que d’énormes pans de la population perdent leur emploi, les conditions objectives d’organisation et de réalisation du travail de masse ont changé de manière spectaculaire. En quoi votre travail a-t-il changé et comment va-t-il changer ?
Tout d’abord, de nombreuses activités courantes telles que le travail de propagande ou le travail de masse habituel ont dû être arrêtées. Le travail dans les rues, les parcs, les marchés, les lieux de travail, les quartiers populaires, avec les collectifs et les luttes locales… ne peut plus continuer avec la nouvelle situation.
De nombreuses activités, telles que les séances de sport collectives ou les préparatifs du 1er mai, ont dû être suspendues pour l’instant.
Dès l’annonce du confinement, notre organisation a appelé à la solidarité populaire et au déploiement de nouveaux programmes dans nos cellules. Le jour suivant le début du confinement, le premier programme a été lancé. Ces programmes comprennent une aide pour les courses, la lessive, les animaux, ainsi que la fabrication de gel hydro-alcoolique à distribuer. Ces programmes ont été affichés dans les bâtiments, ainsi que dans les magasins qui sont restés ouverts. Ils s’adressent particulièrement aux personnes vulnérables ainsi qu’aux personnes qui continuent à travailler dans la situation actuelle et qui ont besoin d’un peu de répit dans leurs tâches quotidiennes. Nous avons reçu un soutien local avec ces initiatives et avons pu nous mobiliser au-delà de nos propres camarades. Notre objectif est de poursuivre dans cette voie et de développer de nouveaux programmes partout où cela est possible pour continuer à agiter, organiser et mobiliser dans la situation actuelle.
Plusieurs autres collectifs, tels que des organisations locales dans des quartiers populaires (par exemple Sartrouville en banlieue parisienne) ont lancé des programmes similaires. Dans la même veine, une initiative appelée « Brigades de solidarité populaire » a vu le jour la semaine dernière (26 mars). D’une manière générale, c’est une bonne chose. Nous voyons que des slogans tels que « servir le peuple ! » ont été assimilés et deviennent populaires.
Redspark : Quelles sont, selon vous, les principales tâches révolutionnaires en ce moment ?
Les tâches actuelles que nous avons identifiées sont les suivantes :
Nous avons déjà parlé de la solidarité populaire, mais nous ajouterons que ces programmes visent à démontrer la nécessité d’organisations révolutionnaires et la justesse de notre ligne politique. Lorsque le confinement sera levé, que diront les révisionnistes, les réformistes et les sociaux-démocrates qui ont soutenu le gouvernement ? Que diront les trotskistes et autres mouvementistes qui n’ont rien fait d’autre que de continuer à afficher une parodie de « militantisme » (avec des réunions et des « manifs » en ligne) ? Ce que nous voulons, c’est canaliser notre propagande dans ce travail de masse, pour montrer que les gens qui se sont donnés du mal pour aider en temps de crise, les gens qui se sont organisés et ont décidé d’agir, sont des révolutionnaires. Cela contribuera également à renforcer nos propres camarades et à combattre les méthodes de travail inefficaces.
En ce qui concerne les lieux de travail, il est important de continuer à agir sur ce front. Les gens qui doivent encore aller travailler aujourd’hui sont des prolétaires, et une bonne partie d’entre eux sont issus du cœur du prolétariat, de la classe ouvrière. Nous avons encouragé nos camarades à témoigner de la situation sur leur lieu de travail et à développer le travail avec leurs collègues.
Nous utilisons également la situation actuelle pour développer notre organisation sur les fronts idéologique, politique et organisationnel.
En conclusion, ces tâches visent à poursuivre et à intensifier notre travail dans les nouvelles conditions. Il ne fait aucun doute qu’avec chaque jour qui passe, les formes que prend ce nouveau type de travail devront évoluer. Mais en général, ce sont les lignes directrices que nous suivons.