La Cause du Peuple publie une traduction d’une interview menée par Redspark d’un représentant du Parti Communiste de Grèce (marxiste-léniniste).
Du fait des mesures prises en Grèce, les médias bourgeois présentent le pays comme une « surprenante exception » au « manque de gouvernance et de leadership à travers le Monde ». Mais comment les révolutionnaires en Grèce analysent-ils la situation ? Nous avons interviewé un représentant du Parti Communiste de Grèce (Marxiste-Léniniste), aussi connu sous le nom de KKE (ML).
Redspark : Camarades, pouvez-vous décrire pour nous la situation en Grèce actuellement ?
Le pays est dépendant économiquement de l’Union Européenne et des États-Unis, et la crise des dix dernières années, avec une série de mesures imposées par les impérialistes, a laissé une grande empreinte sur le système de santé de notre peuple. La réduction des budgets de la santé a entraîné la fermeture de nombreux hôpitaux, le licenciement de milliers de personnes travaillant dans le secteur de la santé (médecins, infirmières) et la privatisation des services de ménage et de restauration. Dans le même temps, les services de santé primaires et secondaires ont été dissous au bénéfice du capital privé.
Le résultat de cela est que l’accès aux hôpitaux est de plus en plus difficile pour la population (temps d’attente longs, lits de camp dans les couloirs des hôpitaux, manque de médecins etc). En fait, l’accès de la population aux soins a été dramatiquement réduit, il est devenu quasi inexistant pour les personnes au chômage, les réfugiés et immigrés. La grande majorité des tests et examens sont réalisés par des laboratoires privés, il en résulte une augmentation du prix des couvertures médicales, avec de nombreuses personnes qui ne peuvent pas se les payer, du fait de la grande pauvreté résultant de dix ans de crise. Si on prend en compte l’augmentation du prix des médicaments, et l’importante limitation du nombre de prescriptions médicales, il est évident que n’importe quelle personne travaillant dans le secteur de la santé souffre, et le peuple souffre avec elle. Et tout cela sans compter les milliers de personnes au chômage, les réfugiés et les immigrés qui n’ont tout simplement pas accès aux soins.
La fermeture des frontières imposée par le gouvernement a eu lieu « du fait de la pandémie », mais en réalité elle est la suite logique de la fermeture récente des frontières pour les réfugiés. Dans les faits, cette fermeture des frontières est une politique de l’État contre les réfugiés et contre les actions de la Turquie, et non pour des raisons de santé publique. En plus de cela, il y avait la volonté d’apaiser les peurs de l’Europe sur les risques de propagation de l’épidémie par les réfugiés. L’État grec espérait ainsi un traitement plus favorable de la part de l’Union Européenne dans la crise en cours.
Redspark: Comment considérez vous les mesures prises pour faire face à la pandémie, tant sur le plan nationale qu’international ?
L’épidémie de Covid-19 affecte tous les pays du Monde. Elle dépasse le niveau d’une simple crise sanitaire et devient une crise économico-géostratégique du système.
Premièrement et avant toute chose, les impérialistes dominants (États-Unis, Chine, Union Européenne, Russie) mais aussi tous les pays du système capitaliste-impérialiste, après leur surprise initiale, ont réalisé que dans l’après pandémie, la situation politique, économique et géostratégique va avoir différentes conséquences sur chaque pays.
À cet effet, ils se préparent maintenant à gérer cette situation nouvelle et à créer les conditions qui vont les amener à une position plus avantageuse que celle des impérialistes rivaux. Cela risque d’entraîner des tentions dans la compétition inter-impérialiste. De ce fait, ces puissances impérialistes feront en sorte de minimiser l’impact de la pandémie sur leur pays. Les impérialistes ne sont pas intéressés par la santé de leur population et des travailleurs de leur pays, mais ils prennent en considération le coût politique de l’épidémie.
Les dernières années, nous avons vu ce qu’ils appelaient « l’État social » se dissoudre, en particulier dans le secteur de la santé. Le résultat de cette dissolution est constaté par les peuples du Monde, et d’autant plus dans notre pays. Le vrai visage du système capitaliste-impérialiste est dévoilé aux yeux du peuple, et cela pousse les tenants de ce système à se dépêcher de cacher leurs faiblesses par tous les moyens possibles. Nous voyons maintenant des conflits entre les impérialistes pour l’acquisition de matériel médical.
Le confinement et les restrictions pour le peuple sont probablement efficaces médicalement parlant, mais lorsque ces mesures sont appliquées par la bourgeoisie, elles ont des caractéristiques réactionnaires. C’est particulièrement vrai quand l’État ne prend pas d’autres mesures de prévention et de protection du peuple, comme la réouverture d’anciens hôpitaux, ou la création de nouveaux, ou le recrutement de personnels médicaux permanents (médecins, infirmières, personnels administratifs), la création de nouvelles unités de réanimation, la mise à disposition d’équipements de protection gratuits pour les hôpitaux et le peuple, des campagnes de tests ou encore la gratuité des soins…
Dans le même temps, la production continue dans la majorité des usines, et les employés y travaillent sans aucune protection. Les travailleurs sont également mis en danger dans les transports. Il y a encore des grands rassemblements de réfugiés dans les camps ainsi que l’abandon des personnes au chômage, des SDF et des détenus qui s’entassent dans des prisons surpeuplées. Au nom de la protection contre l’épidémie, la bourgeoisie trouve l’occasion de prendre des mesures qui assurent son maintien au pouvoir.
Cela inclus des mesures anti ouvriers, des milliers de suspensions de contrats, des « relations de travail flexibles », du travail et des heures supplémentaires non payés, des baisses de salaire et la mise en place de quelques maigres avantages pour tromper les travailleurs. De l’autre côté, il y a les bénéfices des capitalistes qui essayent de surmonter la crise sur le dos des travailleurs et du peuple.
Toutes ces mesures se font contre les droits acquis des travailleurs et du peuple. Certaines de ces mesures risquent de se prolonger si le peuple et les travailleurs ne réagissent pas.
Ces mesures seront accompagnées d’un terrorisme d’État plus fort et d’une limitation des droits démocratiques des peuples, même si la quarantaine ne se poursuit pas aussi strictement qu’aujourd’hui.
Mais le système essaye de renforcer l’idée selon laquelle le peuple tout entier, mais aussi chaque individu, est responsable du développement de l’épidémie, et que par conséquent pour sortir le pays de la crise, des sacrifices sont nécessaires. Il s’agit là d’une très dangereuse idéologie pour le peuple, et malheureusement cela a déjà laissé et laissera des traces dans la conscience du peuple.
Couplé avec la défaite du mouvement communiste et la dissolution des mouvements du peuple et des travailleurs à travers le Monde et dans notre pays, cela créée d’un côté un handicap certain pour le peuple, mais aussi une très forte pression sur tout militant progressiste, tout parti révolutionnaire qui doit réagir à cette situation.
La résistance doit commencer maintenant, durant le développement de la pandémie. Cette période ne doit pas être considérée comme « blanche » ou comme une période de grâce pour le système. Nos actions ne doivent pas attendre que l’épidémie soit terminée. Évidemment, cela serait trop tard et très négatif pour nous dans l’équilibre avec la bourgeoisie.
Redspark: Les mesures prises contre le Covid-19 ont-elles affecté la façon dont votre parti travaille ? Quelles sont les tâches immédiates de votre parti, et quelles seront-elles après l’épidémie ?
Il est certain que les restrictions appliquées aujourd’hui affectent le mouvement révolutionnaire. C’est pourquoi il doit y avoir une réaction face à la situation en cours de la part de tous les mouvements de gauche, et ce malgré les interdictions du système, mais toujours en prenant les mesures de précautions nécessaires contre l’épidémie.
Actuellement, mais aussi après l’épidémie :
- La compétition entre les impérialistes va s’intensifier et de nouvelles relations vont remplacer les relations actuelles
- Les attaques contre le peuple et les travailleurs vont s’intensifier et c’est les travailleurs et le peuple qui vont devoir assumer les conséquences de la crise
- Le peuple et la classe ouvrière vont se retrouver dans des situations difficiles avec une augmentation de la pauvreté, du chômage et de la répression et plus que tout, ils seront présentés comme les responsables de l’épidémie et de la récession
- Le mouvement révolutionnaire est dans l’incapacité d’ouvrir une autre voie. Du point de vue des forces communistes, dont nous faisons partie, des tâches très importantes apparaissent. Pas après la pandémie comme nous l’avons mentionné précédemment, mais maintenant et continuellement, tant que le système nous attaque. La première tâche est de montrer au peuple l’incapacité du système de leur fournir des conditions basiques de vie, notamment d’un point de vue sanitaire. Il faut aussi montrer à quel point le système capitaliste-impérialiste, sans rivalité de classe importante et avec toute sa propagande, a échoué à masquer son incompétence face à la pandémie. Nous ne pensons pas que des mesures restrictives protègent notre peuple. C’est surtout la prise de conscience qu’il faut faire attention à ne pas arriver à l’hôpital, car l’État n’est pas en mesure de nous protéger et de nous traiter avec les maigres moyens dont il dispose, qui nous oblige à respecter les restrictions.
Notre tâche principale est de lutter pour faire annuler ces nouvelles mesures que le système a pris contre le peuple à l’occasion de la pandémie : les mesures anti-ouvriers, anti-démocratiques, anti-populaires, avec une grande répression. Ces restrictions visent à renforcer le pouvoir des capitalistes et des impérialistes. La tâche principale est la lutte du peuple contre les impérialistes (Union Européenne/États-Unis) et leurs organisations réactionnaires (OTAN) qui, en vue de la crise causée par la pandémie, rechercheront une plus grande implication de notre pays dans leurs plans réactionnaires dans le contexte de leur concurrence avec les autres impérialistes (Russie/Chine). De cela résultera plus de souffrance encore pour notre peuple et notre pays. Il est également un devoir de se battre pour un accès total et gratuit à la santé pour toutes et tous, sans exception. Une tâche très importante est également de faire l’effort de rejoindre les actions contre les attaques que subit le peuple, quand ces actions sont menées par des forces de gauche et progressistes dans la société grecque. Précisément car les tâches mentionnées précédemment sont très sérieuses, le plus grand effort possible est nécessaire pour faire face à ces problèmes. Cela n’est pas évident car certaines de ces forces de gauche ont mis en pause leurs actions au nom des précautions sanitaires, mais aussi parce que certaines forces sont revenues à la division binaire « libéralisme Vs démocratie sociale », soutenant ces options avec des propositions pour sortir de la crise dans le système existant.
Enfin, sur la question du bénévolat. Les bénévoles ignorent souvent que c’est la bourgeoisie elle-même et son État qui imposent et établissent le bénévolat selon leurs propres conditions. De ce fait, les bénévoles ne se rendent généralement pas compte qu’ils sont utilisés par l’État pour compenser les incapacités de celui-ci à prendre ses responsabilités. À l’opposé de cela, la solidarité à l’égard du peuple souffrant des attaques du système, qui a toujours été un élément central de l’idéologie communiste, doit inclure des initiatives et des structures en dehors et contre ce système, et surtout, les communistes doivent révéler au grand jour et non compenser les fautes et les choix réactionnaires du système.
Avec toutes ces tâches, et étant donné les mesures imposées par le système, il est évident que nos modalités d’intervention et d’action sont modifiées. C’est le devoir de chaque organisation révolutionnaire de s’adapter aux conditions matérielles existantes, de chercher le contact avec les masses et de renverser les conditions négatives. Nous avons donc adapté notre organisation et notre propagande aux nouvelles conditions, avec un journal en ligne, une webradio et en renforçant le site internet de notre parti et plus largement les blogs politiques. Mais il est clair pour nous qu’internet a ses limites et est contrôlé par le système, et plus important que tout, internet ne peut pas créer un mouvement tout seul. Internet joue un rôle dans le renforcement de la propagande, et quand c’est possible, dans la contre-information, mais le mouvement doit d’abord se créer physiquement, par la réalisation physique des idées révolutionnaires au sein du peuple et sur les lieux de travail. Il s’agit là exactement des barrières que le confinement et les restrictions de déplacements créent. C’est ce que chaque organisation révolutionnaire doit essayer de renverser.
Sans ignorer les conditions médicales imposées par la pandémie, nous cherchons à créer de la propagande là où sont les masses. Cela se fait avec des affiches et des tracts là où le peuple se rend (supermarchés, banques…) ou avec d’autres forces politiques par la lutte dans les hôpitaux, pour soutenir le personnel hospitalier et pour exprimer la colère à l’égard des autorités.
Nous croyons que les conditions qui vont se développer après l’épidémie, avec beaucoup de misère et de pauvreté pour tous les peuples et les attaques continues du système vont donner de nombreuses raisons pour des réactions et possiblement des révoltes. Nous ne croyons pas qu’avec l’absence d’un mouvement communiste ces réactions auront les caractéristiques que nous aimerions qu’elles aient. Mais nous sommes certains que les partis politiques qui partagent ces idées doivent chercher à intervenir dans ces protestations et essayer de les renforcer en y apportant les idées révolutionnaires.