Il n’a échappé à personne que ces derniers jours, les appels à « reprendre le travail », « se serrer la ceinture pour relancer la production », « faire l’impasse sur les congés payés »… sont devenus courants. Le patron du MEDEF, de grands PDG, des économistes ou des propagandistes de journaux comme Les Echos se sont faits les portes-paroles de la bourgeoisie.
Pourtant, il serait faux de dire qu’il n’y a que cette voix qui porte dans la bourgeoisie, sinon le confinement aurait déjà été abandonné depuis longtemps. Ou comme dans certains Etats des USA, il aurait été retardé sous le prétexte que « certains peuvent bien mourir pour préserver l’économie ». Ce que cela signifie, c’est qu’au sein de la bourgeoisie, il existe des contradictions, des luttes.
Certains capitalistes veulent une reprise la plus rapide possible du travail. D’autres, une reprise partielle, sur le long terme. D’autres veulent une reprise au niveau international. Certains veulent rester totalement confinés. La bourgeoisie n’est unie que dans la mesure où elle exploite globalement la classe ouvrière, mais il y a de nombreuses dissensions internes au sein même de la bourgeoisie, à la fois sur le plan idéologique, et politique.
La bourgeoisie est traversée de contradictions
En temps normal, nous voyons déjà les contradictions de la bourgeoisie : droite, gauche, libéraux, protectionnistes, tous poursuivent une ligne au service d’une partie bien précise de la bourgeoisie. A l’époque de l’impérialisme, dans un pays comme l’Etat français, ce sont les intérêts du capital financier qui commandent : gouvernement de droite ou gouvernement de gauche, les politiques entreprises sont généralement les mêmes.
A l’heure du confinement, les contradictions qui ne sont pas apparentes en règle générale éclatent au grand jour. Par exemple, les TPE et PME (petites et moyennes entreprises), qu’une partie de la bourgeoisie avance comme « le poumon de l’économie française », souffrent de la crise : fin d’activité, chômage partiel, fermeture au public… Dans les restaurants, les enseignes de service à la personne, petits et moyens commerces, petits et moyens ateliers, usines… le confinement est un coup dur. Pourquoi ? Parce qu’en addition de la perte d’activité pendant le confinement, une grande partie de ces boîtes dépend des banques, des propriétaires ou même directement de la bourse, qui les finance. C’est le cas par exemple de nombreuses PME, toujours plus intégrées à la bourgeoisie financière. Leur bilan comptable est chamboulé par cette crise, et peut conduire à mettre la clé sous la porte si les dépenses et remboursements de prêts et d’obligations sont trop rapides et importants.
Il n’y a pas qu’une petite bourgeoisie de services (restos, coiffeurs, magasins…) qui souffre de cette manière évidemment : pour une partie croissante de la bourgeoisie financière, le confinement conduit aux mêmes problèmes, à une échelle plus importante. Nous avons cité les PME les plus intégrées au système financier (qui ont parfois plusieurs centaines de salariés!). Mais c’est aussi le cas des grands monopoles de l’industrie, du shopping, du divertissement comme Disneyland… Dans cette bourgeoisie là, le confinement vient se rajouter à la crise financière qui a commencé il y a 2 mois. Chaque jour qui passe, c’est un peu d’activité en moins, et des plans de licenciement en plus : on pense par exemple à Disneyland qui voulait licencier 1300 intermittents.
Pour cette partie là de la petite bourgeoisie, prise à la gorge par le confinement, et de la bourgeoisie financière française, qui cherche à couper ses coûts et colmater les brèches par tous les moyens, le mot d’ordre est clair : fin du confinement dés que possible ! On peut voir l’ampleur que prend cette position par un simple exemple : le MEDEF qui multiplie les appels de pieds au gouvernement depuis quelques jours. Il ne faut pas s’y tromper, c’est bien la bourgeoisie financière qui mène cette demande réactionnaire de déconfiner et de supprimer les congés. Seulement, c’est pour le moment seulement la partie de cette bourgeoisie, suivie par la petite bourgeoisie qui dépend d’elle, pour laquelle le confinement entraîne le plus de pertes.
Mais ce n’est pas la seule facette de cette bourgeoisie. Une autre partie, basée sur des travailleurs qualifiés avec des services high-tech, peut être plus réticente à sacrifier une main d’oeuvre qu’elle peine à trouver. Pour celle-là, le programme de chômage partiel du gouvernement, et d’encouragement du télétravail, permet de maintenir le « business as usual ». Un déconfinement n’est donc pas immédiatement nécessaire. On a aussi toute une production tournée vers l’international, qui peut avoir intérêt à un prolongement du confinement si l’État compense les pertes, sinon, il faudrait payer « à vide », l’export étant très ralenti.
Pour les grandes banques, il y a un double aspect à prendre en compte. D’un coté, il y a le reflux des crédits, crédits à la consommation en particulier. A ça s’ajoutent les difficultés de paiement des prêts des entreprises passés avant la crise. Mais c’est temporaire, espèrent-ils : on peut reporter l’achat d’une maison ou d’une voiture, mais pas l’annuler. Et les entreprises doivent s’acquitter de leurs dettes, ou alors les propriétaires de cette dette saisiront les actifs (l’usine, le magasin, le garage, l’atelier…). L’endettement massif de l’État et des entreprises, par contre, peut être une bonne chose ; avec la possibilité de prêts massifs et d’intérêts particulièrement lucratifs ; mais là encore cela dépend de la politique des États. Certains peuvent emprunter à des taux très bas, forcer des prêts peu intéressants avec des garanties faibles.
De manière générale, la crise financière a touché immédiatement les banques, tout comme celle de 2008. Pour limiter la casse, l’intérêt d’un déconfinement accompagné de grandes mesures des Etats et des banques centrales est énorme chez les banques les moins solvables, pour éviter un scénario catastrophe comme il y a 10 ans avec Lehman Brothers. Pour d’autres banques, avec des actifs plus solides, le confinement peut être une opportunité de se détacher de la concurrence. La liaison intime entre banques et entreprises dans la société impérialiste actuelle, bien loin de la division « économie financière » et « économie réelle » avancée parfois, rend ce jeu très dangereux, et c’est pourquoi le capital financier s’en éloigne dans sa majorité.
Enfin, il y a d’autres motifs portant des contradictions : intérêt ou non au confinement (Netflix n’est surement pas dans la même position que Disneyland), doutes ou non sur la létalité du virus, sur la capacité de l’État à honorer ses dettes, sur la position de la direction de l’État elle même. Il y a aussi cette question : s’agit-il d’une crise structurelle, à savoir inévitable, ou conjoncturelle, qui pourrait être dépassée par des « bons choix » ? Et quels sont ces « bons choix » ? Libéralisation, nationalisations ? Il y a des liens, idéologiques, politiques, entre tous ces aspects. Aucun ne peut être totalement ignoré ; même si les aspects idéologiques découlent « en moyenne » – si on peut le dire – des positions matérielles de chacun.
On le voit : au sein même de la bourgeoisie de l’État français, il y a des gagnants et des perdants, avec l’État en arbitre. L’État est l’arbitre non pas « entre les classes sociales » mais « au sein de la bourgeoisie ». Il tente de prendre de la hauteur, pour défendre l’intérêt général de la classe bourgeoise et le maintien de sa domination. L’État, ici, se dévoile, comme garant de l’intérêt bourgeois et non comme garant de l’intérêt général. Mais l’État lui même est traversé de ces contradictions : il a quasiment fusionné avec certains monopoles financiers, comme Dassault, Total, l’Oréal, et il peut y avoir des conflits d’intérêts. L’État bourgeois est un arbitre corrompu, pourri de l’intérieur, incapable de gérer correctement les crises, pris en étau entre la nécessité de l’accumulation de capital en quantité toujours plus importante, les nécessités de compromis avec la main d’oeuvre, et la bassesse des intérêts personnels des bourgeois au pouvoir. Dans sa décadence, le système bourgeois a tué sa tête, corrompu son propre État et avili son propre personnel politique.