Ce samedi 18 avril, à Villeneuve-la-Garenne, dans les Hauts-De-Seine, un homme d’une trentaine d’année a été grièvement blessé à la jambe par des policiers qui ont volontairement ouvert la portière de leur voiture pour le faire chuter de sa moto. Cette nouvelle affaire de violence policière a déclenché des révoltes populaires dans plusieurs cités en Île de France, mais aussi dans la banlieue de Lille, à Roubaix, à Grenoble, à Toulouse ou encore à Strasbourg. Certains médias bourgeois traitent cette affaire comme une « bavure » quand d’autres vont même jusqu’à défendre les policiers en question en sous entendant que ces derniers n’ont rien fait de mal. En réalité, les violences policières ne sont pas des « bavures », elles sont le fonctionnement normal de l’institution policière.
Lorsqu’on passe sa main sur une phrase après avoir écrit au stylo plume, ça bave. Ça, c’est une bavure, c’est à dire un fonctionnement anormal du stylo qui produit des effets non recherchés. Les violences policières ne sont pas des effets non recherchés par l’institution policière, elles ne sont pas des bavures, c’est même tout le contraire.
Dans le cadre de l’État capitaliste, la police et l’armée font partie des rares institutions à pouvoir user légalement de la violence physique. Ainsi, cette violence physique fait partie intégrante de leur fonction.
L’État a pour rôle fondamental de représenter et défendre les intérêts de la bourgeoisie
Dans un ouvrage intitulé « Critique de la Philosophie du droit de Hegel » rédigé en 1843, Karl Marx défend l’idée selon laquelle l’apparition et le développement de l’État sont le résultat de l’évolution des structures socio-économiques (appelées infrastructures par Marx). Ainsi, contrairement à ce que pensait Hegel, Karl Marx révèle dans cet ouvrage la nature profonde de l’État qui, loin de représenter un idéal, représente en réalité les intérêts de la classe dominante.
Ainsi, après une étude scientifique des sociétés capitalistes du 19ème siècle, Karl Marx propose un renversement total de la pensée philosophique alors majoritaire. Selon Marx, ce sont les infrastructures (rapports de production, économie, forces productives) qui sont premières et qui déterminent les superstructures (institutions politiques, lois, idéologies etc). Avec cette analyse, Karl Marx pose les bases théoriques nécessaires à la compréhension du fonctionnement des États capitalistes, et nécessaires à la compréhension du fonctionnement des institutions de ces États.
Si l’État est le représentant des intérêts de la classe dominante – la bourgeoisie – alors la police, en tant qu’institution de l’État, a pour rôle fondamental la défense des intérêts de la classe capitaliste.
Seulement, aujourd’hui, chez les marxistes – ou du moins chez les personnes se considérant comme telles – ce fait est largement nié, sous l’influence du révisionnisme, dont l’élément principal est le fait de vider le marxisme de sa substance révolutionnaire. Le Parti Communiste Français, par exemple, principale organisation révisionniste au sein de l’État français, considère la police comme un « service public » et, dans une vision totalement dogmatique et anti-marxiste des services publics, considère ainsi ceux-ci comme des éléments en dehors du système capitaliste.
Cette analyse, qui pousse certains cadres de ce parti à demander plus de moyens pour que les policiers puissent réprimer « les casseurs », est évidemment erronée. Dans une société capitaliste, rien ne se situe en dehors des logiques capitalistes, et si une institution, comme la police par exemple, n’a pas pour vocation de faire des bénéfices, cela ne signifie pas pour autant que cette institution ne remplie pas un rôle qui, de manière plus ou moins directe, sert les intérêts de la bourgeoisie.
Pour la police, cela est évident : elle est le bras armé de la bourgeoisie. Elle est le rempart physique entre la légitime colère des masses populaires et les personnes à l’encontre de qui s’exprime cette colère. Elle est l’institution en charge de faire appliquer sur le terrain les lois de l’État bourgeois.
Le mouvement des gilets jaunes, au cours duquel la violence de la police s’est déchaînée de manière inouïe, a bien montré cela : face à des masses populaires déterminées à lutter contre les conséquences désastreuses de l’exploitation capitaliste, il faut une force armée capable de contenir cette colère, de faire en sorte que jamais des milliers de manifestants entrent dans l’assemblée nationale ou dans l’Élysée avec la volonté ferme de demander des comptes aux représentants de l’État bourgeois. En éborgnant, en arrachant des mains, en tirant au LBD, en matraquant, la police a parfaitement rempli ce rôle et, en décembre 2018, au plus fort du mouvement, elle a permis d’empêcher la révolte de tourner à l’insurrection.
Une violence qui ne s’exprime pas que dans les manifestations
Mais la violence de la police ne s’exprime pas que dans les manifestations. Elle s’exprime également au quotidien dans toutes les banlieues, avec les contrôles au faciès, les humiliations, les insultes, les coups et parfois même le meurtre. Dans un ouvrage de 2011 intitulé « La Force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers », le sociologue et anthropologue Didier Fassin livre ses conclusions après avoir passé plus de deux ans avec des patrouilles de la brigade anti criminalité de la police nationale (BAC). Selon lui, le rôle de la BAC est avant tout d’imprimer un ordre social discriminant. Il affirme ainsi dans son ouvrage que « le contrôle d’identité est un pur rapport de force qui fonctionne comme un rappel à l’ordre – non pas à l’ordre public, qui n’est pas menacé, mais à l’ordre social ». Dans le même ouvrage, Didier Fassin dit également « La répétition des mêmes expériences dans une routine mortifiante est une véritable éducation physique au cours de laquelle on intériorise sa place sociale. L’habitude de l’humiliation doit produire l’habitus de l’humilité. »
À travers ces mots du sociologue Didier Fassin, on peut clairement voir le rôle de contrôle social de l’institution policière. La violence, utilisée quotidiennement par la police, n’est donc qu’un outil utilisé par les forces de répression de l’État bourgeois pour humilier, assujettir, les populations les plus susceptibles de se révolter.
Face à cette réalité fondamentale du rôle de la police, les bourgeois – et les révisionnistes – défendent l’idée que, en faisant appliquer les lois, la police fait respecter le « contrat social » et que, par ailleurs, l’action de la police reste encadrée par des lois qui interdisent aux policiers d’outrepasser leurs fonctions.
Ces idées sont évidemment fausses. Il n’existe pas de « contrat social » dans la société capitaliste divisée en classes aux intérêts divergents. Comme nous l’avons vu précédemment, l’État ne naît pas de la volonté concertée de la population d’avoir un instrument au service des intérêts du peuple, il naît du besoin de la bourgeoisie d’avoir un instrument défendant ses intérêts. Ainsi, quand Karl Marx et Freidrich Engels écrivent en 1848 dans « Le Manifeste du Parti Communiste » que « L’Histoire de toute société jusqu’à nos jours, n’a été que l’histoire de la lutte des classes », ils nous enseignent que le développement de l’État n’est qu’une résultante de cette lutte des classes, et non le fruit d’un contrat social. De même, les lois promulguées par les États bourgeois ne s’inscrivent pas dans un autre contexte que celui de la société de classe. Croire que les lois sont faites pour protéger la population, et ainsi appliquées méticuleusement par la police dans cet objectif, c’est réfuter tous les enseignements de la science matérialiste.
Au delà de ça, nous pouvons également observer que même les lois supposées protéger la population des abus de la police ne sont pas réellement respectées et que les policiers outrepassant illégalement leurs fonctions sont toujours protégés par leur hiérarchie, par leurs collègues et par la justice. C’est ce qu’analyse notamment l’ouvrage collectif « Permis de tuer, chronique de l’impunité policière » publié en 2011 par des proches de victimes de crimes policiers et le sociologue Mathieu Rigouste. Ainsi, une simple analyse de l’impunité des policiers qui « outrepassent leurs fonctions » permet de comprendre que, même si dans les textes législatifs, les lois existent pour les sanctionner, ces lois ne sont presque jamais appliquées, ce qui ne résulte pas de défaillances du système judiciaire mais bien du fait que la violence fait partie intégrante de la fonction de la police.