La Cause du Peuple traduit ce texte de Redspark, premier d’une série sur la situation au Brésil.
1er mai 2020
Comme le Brésil est le site du premier soulèvement d’esclaves en Amérique latine avec la rébellion des quilombos qui a commencé au XVIe siècle et a eu une histoire de lutte ininterrompue depuis lors contre le colonialisme et aujourd’hui l’impérialisme, il serait logique que l’histoire du mouvement révolutionnaire soit bien couverte par des livres, des articles et des études.
Mais alors que les anciennes luttes ont été analysées et furent même appropriées par le gouvernement de la pseudo gauche opportuniste qui a gouverné le Brésil pendant près de quatorze ans (de 2003 à 2016), il est difficile de trouver des informations sur les luttes des forces révolutionnaires aujourd’hui.
Cet article est le premier d’une série d’articles visant à donner un meilleur aperçu du mouvement révolutionnaire qui, depuis 1995, a lutté contre l’agression impérialiste, les changements successifs de gouvernement, un gouvernement qui se présente comme « de gauche » et « pro-populaire » mais qui a en fait continué à agir au nom de ses seigneurs impérialistes, notamment en massacrant des paysans, et le gouvernement actuel du fasciste Bolsonaro.
1. De la colonisation à 1995
Pour mieux comprendre la lutte pour la terre au Brésil, il faut d’abord l’envisager dans le contexte de la colonisation portugaise en 1500, qui a duré officiellement jusqu’en 1822, date à laquelle une politique officielle de simple séparation du royaume du Portugal en tant qu' »Empire du Brésil » et sous le joug semi-colonial de l’Angleterre a eu lieu. En réalité, la propriété des terres est restée la même qu’à l’époque coloniale : concentrée dans les mains d’une petite minorité. Moins de 2 % de la population qui possède des terres (appelé latifundio) possèdent 50 % des terres, tandis que 91 % des propriétaires fonciers, qui sont des paysans, possèdent moins de 20 % des terres. 5 millions de familles paysannes n’ont aucunes terres, malgré plusieurs « réformes agraires » qui auraient été réalisées ou promises par différents gouvernements.
La première rébellion pour réclamer le droit à la terre a été menée par des communautés d’esclaves africains en fuite appelées les quilombos (qui signifie « camp de guerre »). Il y a eu de nombreuses rébellions quilombos depuis le tout début de la colonisation portugaise, mais leur faiblesse numérique et militaire par rapport aux colonisateurs les a mis en position défensive. Quilombo dos Palmares, dans le nord-est du pays, la plus importante d’entre elles a duré cent ans, résistant à plusieurs campagnes d’encerclement et a finalement succombé en 1694. Ainsi, les terres qu’ils ont été contraints de chercher étaient difficiles d’accès et isolées, et il était impossible de s’emparer de grandes étendues de terrain. Cette situation faisait d’eux des paysans pauvres de facto. De plus, avec la fin de l’esclavage en 1888, les masses d’anciens esclaves, laissées à elles-mêmes, sont entrées dans les zones profondes inexplorées du pays, où elles ont établi des communautés, dont beaucoup subsistent encore aujourd’hui et ont continué à lutter pour la propriété de leurs territoires.
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, il y a eu une série de révoltes dites « messianiques », ainsi nommées parce que leurs principaux chefs étaient des prêcheurs pieux qui donnaient un caractère profondément religieux à leurs mouvements. C’est le cas de la révolte des Canudos dans le nord-est du pays, dirigée par Antonio Conselheiro, qui a duré environ 30 ans (1867 à 1897). Ils ont fait face à trois campagnes militaires dans ce qui est considéré jusqu’à aujourd’hui comme la « guerre civile la plus meurtrière » de l’histoire du Brésil. En outre, la « guerre de Contestado » (de 1912 à 1916) dans le Sud a été l’une des plus grandes guerres paysannes d’Amérique du Sud. Toutes les luttes avaient pour but principal la terre pour les cultivateurs, et toutes ont été réprimées dans le sang par les forces répressives coloniales et, depuis l’indépendance, par l’armée brésilienne.
La lutte pour la terre s’est intensifiée dans les années 1940 avec une série de soulèvements spontanés et de saisies de terres, inspirés d’une part par le soulèvement armé de novembre 1935, dirigé par le Parti Communiste du Brésil (PCB), et d’autre part par la fin du régime militaire de Vargas (1930-1945). Le PCB a dirigé ces mouvements, en organisant des associations de paysans et les ligues paysannes, principalement entre 1948 et 1954. En 1953, après un processus d’unification des différents syndicats de travailleurs ruraux et de paysans pauvres, il réalise sa 1ère Conférence Nationale des Travailleurs Agricoles et des Paysans Pauvres qui crée l’ULTAB (Union des Laboureurs et des Travailleurs Agricoles Brésiliens ).
La direction du PCB sur le mouvement paysan lui a donné un caractère politique plus défini en lui donnant une ligne politique claire – la nécessité d’une réforme agraire – et en lui montrant une voie claire pour atteindre cet objectif : la lutte armée, symbolisée par la lutte de Porecatu (dans l’État du Paraná), pendant laquelle plus de 300 familles ont occupé 4000 hectares (40 km2) de terres. Les paysans ont défendu leurs terres saisies en organisant des milices armées qui avaient initialement un rôle défensif, mais qui, à mesure que la lutte s’intensifiait, ont lancé des offensives tactiques contre le latifundio et ses hommes armés.
L’exemple du Porecatu a inspiré de nombreuses autres occupations armées, comme celles du sud de Bahia, et celles du triangle Mineiro de Trombas et Formoso. Les paysans se sont organisés en ligues militantes et leur lutte est devenue une référence pour les mouvements armés de toute l’Amérique latine.
La croissance du mouvement a été interrompue par deux événements : 1. La nomination de Joao Goulart, représentant social-démocrate de la bourgeoisie nationale et défenseur des « réformes de base », comme ministre du travail, puis son élection comme président du Brésil. Il s’est réapproprié la cause de la majorité des syndicats et des organisations de masse et s’est opposé au mouvement paysan. Le mouvement, sous le drapeau de la « réforme agraire par la loi ou par la force », a persisté dans sa résistance armée malgré la promesse d’une série de réformes progressistes (comme l’augmentation de 100 % du salaire minimum et les vagues promesses d’une « réforme agraire ») ; et 2. Un nouveau glissement vers la droite à la direction du PCB, permettant à la ligne réformiste contraire à la lutte armée de prévaloir. Adoptant la ligne de Khrouchtchev peu après 1956, cette ligne a conduit le Parti à abandonner les ligues paysannes et a centré la lutte pour la terre sur la lutte juridique et les revendications aux gouvernements populistes successifs pour une « réforme agraire » – rejetant l’alliance de lutte armée qu’il a faite avec les paysans comme une déviation « opportuniste de gauche ».
Cela a conduit à une scission interne au Parti avec le révisionnisme khrouchtcheviste, à la réorganisation générale du Parti en tant que PCdoB et de la lutte armée en tant que guerre populaire, adoptant la pensée de Mao Zedong. Ainsi, les ligues étaient toujours dirigées par des communistes et d’autres forces de gauche influencées par la Révolution cubaine. Leur croissance continue est devenue si problématique pour les intérêts impérialistes qui contrôlaient le Brésil que celui-ci a fomenté un coup d’État militaire en 1964. Le premier acte du régime militaire fasciste nouvellement installé a été d’interdire toutes les ligues paysannes et de les réprimer, ce qui a conduit à un massacre sanglant de leurs dirigeants et de leurs masses.
Le régime militaire a été efficace dans sa répression ; la Guérilla de l’Araguaia, au Pará, en Amazonie orientale, (une région de vaste forêt amazonienne tropicale qui couvre plus de 60% des 8,5 millions de km² du territoire brésilien, bien qu’une grande partie de la forêt ait été dévastée), où le parti communiste réorganisé s’est battu avec les paysans pour mener à bien la guerre populaire a été vaincue après trois ans de résistance. La lutte pour la terre s’est désorganisée et ce n’est que lorsque le régime a commencé à s’affaiblir (à la fin des années 70) que de nouvelles organisations sont réapparues, certaines dirigées par des prêtres plus libéraux de l’Église catholique. En 1985, le Mouvement des sans-terre (MST) est fondé et en 1995, la Ligue des travailleurs et des pPpaysans Pauvres.
2. La résistance de Corumbiara, et la bataille de Santa Elina
Lorsque la nécessité du régime militaire a décru et que son règne était finalement terminé en 1985, la bourgeoisie a présenté ce moment comme un « retour de la démocratie » qui rendrait la « liberté d’expression » et la « liberté d’association » totales. Cette situation a permis aux paysans de former le « Mouvement des sans-terre » (MST), qui visait à poursuivre la lutte des ligues paysannes pour la réforme agraire.
Entre-temps, le Parti des Travailleurs (PT), un parti social-démocrate fondé en 1982, se présentait comme défenseur des droits des travailleurs et des paysans, un rôle qu’il avait entrepris depuis le début des années 80. Avec la fin de l’URSS sociale-impérialiste et la « chute du mur de Berlin », les opportunistes ont laissé tomber leurs faux masques de marxisme et ont centré leur lutte sur les élections corrompues du pays. La majorité de la direction du MST espérait le succès du PT aux élections et croyait que la possibilité d’une réforme agraire suivrait.
Alors que cette contradiction a été discutée et débattue au cours de la première décennie du MST, la situation en Rondônia a montré le caractère inconciliable de la contradiction et a tracé une ligne de démarcation entre les opportunistes et les révolutionnaires.
L’État de Rondonia, situé dans la partie occidentale de la forêt amazonienne, a connu une migration croissante de paysans sans terre depuis les années 60, avec la promesse d’obtenir des titres de propriété sur les terres qu’ils déboisaient. En réalité, les latifundio qui étaient censés posséder légalement la propriété utilisaient souvent les paysans comme main-d’œuvre gratuite pour travailler leur terre et, une fois celle-ci déboisée, utilisaient leurs hommes de mains pour les tuer ou les expulser.
Dans de nombreux cas, les paysans ont résisté au latifundio, mais la force du latifundio et la collaboration de la police, ainsi que la corruption des politiciens locaux, ont fait que ces rébellions spontanées ont été réprimées par des massacres et des génocides non rendus publics. La section locale du MST en Rondônia a vu les contradictions entre ses deux factions s’intensifier : alors que les révolutionnaires appelaient à de larges mobilisations et à un niveau plus élevé d’organisation et de combativité, les opportunistes ont refusé d’agir, sous prétexte que le gouverneur de l’État, Valdir Raupp, était un allié du PT. Ils ont prétendu qu’agir contre lui pourrait nuire à cette alliance et empêcher le PT de gagner les prochaines élections qui, de toute façon, « résoudraient tout », comme le PT l’avait promis après son arrivée au pouvoir.
En juillet 1995, quelque 600 familles mobilisées par la direction dissidente du MST ont saisi 18 000 hectares (180 km2) de terres dans le latifundio de Santa Elina, dans la municipalité de Corumbiara. Les terres saisies ont été réparties équitablement entre les familles, qui ont commencé à construire des maisons. Le « soutien » que les opportunistes du MST ont apporté à la lutte a été de plaider auprès du gouvernement pour qu’il intervienne afin de proposer une « solution politique » qui satisfasse à la fois les paysans et le latifundio. En effet, fin juillet, une délégation de différentes institutions gouvernementales est allée proposer de reloger les 600 familles sur 500 hectares (5 km2) – une proposition inacceptable étant donné qu’il faut au moins 0,5 ha de terre pour cultiver de la nourriture (dans des conditions optimales) pour faire vivre une personne par an. Cette « solution » proposée était en fait un coup de poignard dans le dos aux masses. Dans le même temps, les dirigeants du MST ont donné à l’État les noms des dirigeants qui ont dirigé l’occupation du latifundio de Santa Elina.
Le refus de cette carotte empoisonnée a apporté le bâton de la répression. Moins d’une semaine plus tard, le 9 août, les latifundio ont envoyé leurs hommes armés avec le soutien de la police pour expulser les paysans. Ce qui est largement connu comme le « Massacre de Corumbiara », les révolutionnaires appellent la « Bataille de Santa Elina ». Les paysans n’ont pas été massacrés passivement, car ils étaient armés (avec un nombre limité de fusils), et les terres ont été défendues avec ces fusils, machettes, faucilles, pièges et bombes artisanales. Ils ont payé le prix de leur résistance : 16 ont été tués parmi lesquels la jeune Vanessa, 7 ans, qui a été exécutée de sang froid par un policier, 7 ont disparu, et plus de 200 ont été gravement blessés par des coups de feu et des coups de bâton et de machette, avec des centaines d’hommes, de femmes et de personnes âgées qui ont été torturés pendant toute une journée après leur reddition.
La bataille de Santa Elina a été le moment de rupture où les révolutionnaires ont réalisé la nécessité de la scission avec la direction du MST, car ils ont vu que la passivité, ou dans ce contexte même le rôle de démoralisation/démobilisation de sa direction était un obstacle à la formation d’une organisation qui serait vraiment capable de lutter pour la réforme agraire. L’organisation qui a vu le jour six mois après la bataille sanglante de Santa Elina a été fondée le 25 février 1996, et a pris le nom de Mouvement Paysan de Corumbiara (MCC). Son premier objectif était de soutenir les familles des combattants tombés à Santa Elina et les nombreux blessés, dont les balles étaient encore à l’intérier de leur corps et de les venger en s’emparant à nouveau de ces terres.
Au sein du MCC, une autre lutte de ligne est apparue : alors que la majorité soutenait la nécessité d’une réforme agraire par la violence révolutionnaire, une minorité a été lentement gagnée à des positions plus « modérées ». Lula, le candidat présidentiel du PT, était connu des paysans, car il est apparu pendant la résistance de Santa Elina pour faire des promesses de soutien à leurs revendications s’il était élu. Si le PT a déjà prouvé par sa « non-ingérence » dans un massacre perpétré avec la complicité de ses « alliés politiques » qu’il n’était pas du côté des paysans, une minorité a quand même suivi ces fausses promesses.
3. La lutte de la Ligue des Paysans Pauvres au temps de Lula
Les limites du MCC en tant qu’organisation régionale ont été rapidement identifiées car la bataille de Santa Elina a inspiré des luttes dans d’autres États brésiliens. Ce fut notamment le cas dans le nord du Minas, dans l’État du Minas Gerais, où des familles de paysans s’organisaient elles-mêmes, et s’emparaient de terres sous la direction de la Ligue des Travailleurs et des Paysans. Avec le MCC, ils ont formé une structure appelée Commissions de Lutte Paysanne (CCL), qui visait à définir une ligne politique claire afin de former une organisation à l’échelle nationale.
Alors qu’à cette époque, plusieurs organisations jouaient déjà le rôle d’une organisation paysanne nationale, les CCL les considérait comme opportunistes et/ou ayant une perspective très limitée ; leur principale préoccupation était uniquement de réaliser la « réforme agraire » dans les limites de l’ancien État, qui était aux mains des propriétaires terriens et des grands bourgeois. Cependant, les CCL pensaient que le mouvement paysan devait lutter pour la révolution agraire, c’est-à-dire pour la destruction totale du latifundio, ce qui ne serait possible que par une alliance entre paysans et travailleurs qui transformerait non seulement les campagnes, mais aussi toute la société brésilienne.
C’est sur cette ligne, synthétisée par le document « Nosso Caminho » (« Notre chemin »), que la Ligue des Paysans Pauvres (LCP) a été fondée en avril 2000. Lors de son premier congrès, elle a créé cinq chapitres de la Ligue dans différents États et a pris contact dans d’autres États avec des groupes de paysans qui occupaient des terres, car il y a eu un mouvement d’occupation/saisie spontanée de terres dans tout le Brésil à cette époque.
La question de la terre au Brésil est devenue de plus en plus un « sujet brûlant » au cours de ces années, à la fois parce que le pays était confronté à une crise économique (puisqu’il a été profondément touché par la crise financière asiatique de 1997), mais aussi en raison de l’augmentation du nombre d’entreprises agroalimentaires dans le pays (passant de 18 000 en 1994 à 47 000 en 2001). Ces entreprises ont rapidement acheté des terres au latifundio qui, dans de nombreux cas, ont été occupées par des paysans pauvres qui ont ensuite été expulsés. Ces deux facteurs ont aggravé la pauvreté de la population et alimenté sa colère.
La colère du peuple s’est intensifié et les occupations spontanées de terres ont augmenté, ce qui a commencé à menacer les intérêts des impérialistes et à présenter la possibilité d’une révolution. La situation n’était pas favorable à un coup d’État militaire qui aurait pu conduire le pays à un état de guerre civile. Le gouvernement du Parti du mouvement démocratique brésilien, qui dirigeait le pays depuis la fin du régime militaire, n’a pas été en mesure de résoudre cette crise politique.
Alors que le PT s’était présenté aux élections en promettant une « réforme agraire » et une « transition vers l’économie socialiste », son leader Lula (Luiz Inácio Lula da Silva, un ancien dirigeant syndical devenu populaire grâce à ses discours radicaux lors de la chute du régime militaire à la fin des années 70) a prouvé aux investisseurs étrangers qu’il ne mettrait pas leurs intérêts en danger en signant une lettre publique en 2002. Cette lettre stipulait qu’il ne modifierait pas la politique économique du Brésil, ni n’annulerait aucun de ses traités internationaux (inégaux).
Sans surprise, Lula a remporté ces élections avec le soutien malheureux de tous les partis « communistes » du pays qui rêvaient de la possibilité de « radicaliser de l’intérieur » le PT et son futur gouvernement.
Une fois élu, Lula a lancé un programme appelé « Programme National pour la Réforme Agraire II », censé accorder des titres de propriété foncière à un demi-million de paysans pauvres. Ce programme n’a jamais été mis en œuvre et est devenu de moins en moins une priorité, car il serait fait « au moment opportun ». En attendant, Lula a déclaré que le pays était « assez grand » pour l’agrobusiness et les paysans pauvres, et qu’ils devraient faire la paix entre eux (!). Et aux opportunistes tels que la direction du MST, qui se sont engagés dans des manifestations non violentes appelant le président à honorer ses promesses, la direction du PT a répondu : « Soyez patients. »
La LCP et les paysans pauvres de tout le Brésil ont continué à s’emparer et à occuper des terres, et ils ont payé le prix de leur lutte. Au cours de la première année de la présidence de Lula, 73 paysans ont été assassinés, soit le double du gouvernement précédent. (Il y a eu 292 meurtres entre 1995 et 2002, soit une moyenne de 36 par an).
Outre l’intensification de l’assassinat des leaders paysans, l’État a lancé une guerre psychologique pour briser l’unité des paysans pauvres. Par exemple, en 2003, Lula a publié un décret présidentiel qui a défini les critères juridiques des « quilombos ». D’autres définitions juridiques ont suivi, dictant qui était légalement qualifié de « paysan sans terre », qui était « indigène », etc. Ces différentes identités accordaient à des groupes spécifiques de personnes des droits légaux pour revendiquer certaines terres, et les autorités locales les utilisaient pour créer des conflits entre les différentes communautés (par exemple, en disant aux quilombos que les villages paysans pauvres adjacents étaient installés sur des terres qu’ils pouvaient revendiquer).
On a dit aux paysans qu’ils n’avaient pas besoin de se battre, qu’il suffisait de s’enregistrer (ce qui a conduit à la situation absurde où le Brésil a plus de terres enregistrées que sa masse terrestre totale, car le latifundio ne « désenregistre » pas les terres que les paysans pauvres enregistrent comme étant les leurs). Ces actions ont donné l’espoir à certains que c’était le début d’une division plus équitable des terres, mais la réalité est que les latifundio n’ont vu qu’une augmentation de leurs propriétés foncières, puisque le gouvernement leur a permis d’utiliser légalement des terres publiques grâce au programme « Terra Legal », en partant du principe que cela aiderait l’économie brésilienne à se développer. En réalité, le programme a fait progresser des formes destructrices d’exploitation des terres, comme la déforestation rapide de l’Amazonie, et la pratique dévastatrice de la culture commerciale de l’eucalyptus, de la canne à sucre, du bétail et de l’exploitation minière.
4. Intensification du mouvement paysan depuis 2013
Lula a effectué deux mandats et a été remplacé en 2011 par une autre figure du PT, Dilma Rousseff. Elle a joué le rôle de successeur, poursuivant la même politique de soutien à l’agrobusiness et à la monoculture d’exportation (c’est-à-dire le pillage des ressources du pays pour le profit impérialiste) que Lula avait initié.
Pendant son mandat, le mouvement paysan s’est intensifié, en particulier après les manifestations de 2013 qui ont marqué le tournant décisif pour le pays. Plusieurs dirigeants du LCP ont été assassinés ; en 2012, Renato Nathan a été assassiné dans l’État de Rondônia et en 2014, Cleomar Rodrigues, dirigeant de la région du Nord du Minas, a été assassiné aux portes d’une zone révolutionnaire qu’il avait aidé à organiser et où il vivait et travaillait depuis 2008.
La destitution de Rousseff en 2016, conséquence de son implication dans des scandales de corruption, a créé une situation dans le pays où les classes dominantes se sont divisées. La crise économique (tant nationale qu’internationale) menaçant leurs intérêts, elles ont vu que les masses avaient perdu confiance dans le PT, car celui-ci s’est révélé incapable de résoudre les problèmes les plus fondamentaux du peuple, tels que la réalisation de la réforme agraire.
En effet, les treize années des gouvernements opportunistes du PT ont été des années de trahison des paysans et autres travailleurs. Aucune « réforme agraire » n’a été promue. Au contraire, la répression du mouvement paysan révolutionnaire a été plus forte que celle des gouvernements précédents. Quant aux dirigeants du MST, ils ont simplement atteint la sphère de la bureaucratie de l’État bourgeois-féodal. Avec cela, la direction du MST a progressivement abandonné la lutte contre les latifundio, se concentrant sur la défense de l' »agroécologie » et la dénonciation des géants étrangers qui produisent des agrotoxines et des semences transgéniques, des tracteurs et des machines, sous la bannière d’une prétendue « réforme agraire populaire ». Les dirigeants du MST ont non seulement abandonné la tactique de l' »occupation » mais ont commencé à attaquer le mouvement paysan révolutionnaire, ils ont été de connivence et complices de l’assassinat des dirigeants et des masses. Ils faisaient partie de la « force spéciale » de la police politique et des forces de répression et d’autres organes de l’ancien État, malgré les organisations de masse opportunistes qui promouvaient l' »Opération Paix à la campagne », qui était responsable des persécutions, des arrestations et de l’élimination des combattants sociaux.
Et ce manque de confiance croissant envers le PT et son principal promoteur, la direction du MST, a entraîné une augmentation de l’abstention (ne pas voter, votes nuls ou blancs), malgré le fait que le vote soit obligatoire au Brésil. Lors des dernières élections de 2018, de nombreuses personnes se sont tournées vers l’extrême droite pour exprimer leur colère face à la situation, notamment contre les politiques et les conséquences de l’opportunisme. Ces deux facteurs ont conduit à l’élection du fasciste Bolsonaro par seulement 30 % des personnes ayant le droit de vote : Bolsonaro a obtenu 57 millions de voix, Haddad (PT) 46 millions, et le boycott représentait 57 millions de personnes, dans ce qui a été l’élection la plus boycottée de l’histoire du Brésil.
Depuis 1995, le mouvement paysan révolutionnaire a appelé au boycott des élections et depuis sa fondation, la LCP a appelé au boycott des élections. Aujourd’hui, les opportunistes disent que le Brésil est désormais un État fasciste et que la seule intervention politique possible est d’appeler à la libération de Lula (qui a été emprisonné de 2017 à la mi-2019, condamné pour corruption et blanchiment d’argent). Mais la Ligue continue d’avancer sa ligne de destruction du latifundio, en s’emparant de terre après terre, étape par étape, et déclare qu’il n’est plus possible de faire avancer la lutte pour la terre sans rééditer la guerre paysanne sacrée et historique par une stratégie révolutionnaire et une ligne politique correctes et justifiées. Pour cela, ils défendent et déclarent la nécessité d’augmenter le nombre de mobilisations militantes pour résister aux expulsions et continuer à saisir encore plus de terres.
Références
Sources révolutionnaires :
- LCP, Nosso Caminho, 2001, révisé en 2018
- Problemas da historia do Partido Comunista do Brasil, 2016
- Articles de Resistencia Camponesa (journal de la LCP) et de A Nova Democracia
Autres sources :
- Goza, Franklin. Brazilian Frontier Settlement: The Case of Rondônia, 1994
- A Liga dos Camponeses Pobres (LCP) e a luta pela terra no Nordeste, David Pimentel Oliveira Silva, 2014
- Revisiting Agrarian Reform in Brazil, 1985–2016, Wilder Robles, 2018