Existe-t-il une différence fondamentale entre une organisation révolutionnaire qui créée un réseau de solidarité alimentaire dans un quartier prolétarien et une organisation humanitaire qui distribue des produits de première nécessité dans le même quartier ? Oui, il existe bien une différence importante : là où la première organise la solidarité populaire sur des bases de classe en assumant un discours révolutionnaire, la seconde se contente de faire de l’humanitaire, de la charité sans jamais attaquer frontalement le système qui fait que certaines personnes ont besoin d’aide alimentaire pour survivre.
Bien-sûr, il ne s’agit pas ici de dénigrer le travail que font de manière sincère et dévouée de nombreuses organisations qui, quotidiennement, aident des millions de personnes à ne pas sombrer dans la misère absolue. Il ne s’agit pas non plus de remettre en cause toute la bonne volonté avec laquelle chaque jour des milliers de bénévoles s’activent pour faire vivre ces associations. Il s’agit encore moins de mettre toutes les organisations de charité dans le même sac, car il y a bien évidemment de grandes différences entre les clubs de bourgeois qui s’achètent une conscience comme le Rotary et les organisations animées par des bénévoles qui pour certains connaissent ou ont connu la précarité, comme Les Restos du Coeur ou le Secours Populaire. Cependant, il est nécessaire d’identifier la ligne de démarcation qui sépare ce qui relève de l’humanitaire, de la charité, et ce qui relève de l’action politique révolutionnaire, car si la première aide à la survie quotidienne de nombreuses personnes, la seconde permet de créer une réelle unité de classe qui est décisive dans la lutte révolutionnaire pour renverser définitivement le système capitaliste. En effet, même si il est évident que les associations de charité comme Les Restos du Coeur sont traversées par la lutte des classes, elles refusent catégoriquement de politiser leur activité et par conséquent de transformer la simple charité en activisme, en solidarité de classe.
La classe capitaliste tolère et même encourage l’existence d’organisations humanitaires qui travaillent à compenser les dégâts causés par le mode de production capitaliste. Si les dons aux associations reconnues d’utilité publique sont déductibles des impôts, c’est bien pour inciter les gens à faire des dons à ces associations. Si l’État subventionne à hauteur de millions d’euros des associations humanitaires, c’est bien car l’État s’appuie sur ces associations pour permettre à la population de survivre au quotidien. Cette survie quotidienne permet deux choses à la classe au pouvoir : la reproduction de la force de travail du prolétariat (un ouvrier qui ne peut pas se nourrir correctement ou se loger sera moins productif) et le maintien d’une relative paix sociale. En effet, il est évident que sans ces organisations, des millions de personnes sombreraient dans une situation catastrophique, ne pourraient plus se nourrir, se soigner, se loger, s’habiller, ce qui provoquerait probablement des révoltes que l’État capitaliste veut absolument éviter.
Alors, quand on est révolutionnaire, il ne reste que deux options : attendre cyniquement que la pauvreté monte en espérant que cela accélère les révoltes ou construire la solidarité populaire sur des bases de classe afin de poser les fondations d’un mouvement révolutionnaire conséquent.
La première option n’en est en réalité pas une. Espérer que les conditions de vie des masses populaires empirent afin de créer des révoltes est un mode de pensée déconnecté des réalités des masses : il faut vraiment être à l’abris de la misère pour espérer qu’elle augmente. Il faut vraiment ne jamais avoir connu la pauvreté pour espérer que des gens sombrent dedans. De plus, considérer que la révolution ne sera que le fruit des conjonctures sociales est un mode de pensée hasardeux et défaitiste. Lorsqu’on est révolutionnaire, on milite pour les intérêts des masses populaires, on doit contribuer à construire au quotidien un mouvement révolutionnaire de grande ampleur, et il est inconcevable de souhaiter que les masses populaires souffrent encore plus qu’elles ne souffrent déjà, comme il est inconcevable de ne pas avoir de stratégie révolutionnaire et de simplement attendre patiemment que les révoltes se produisent au gré de la conjoncture socio-économique.
Dans ce contexte, la solidarité populaire apparaît comme la seule alternative à la charité humanitaire, elle est un moyen de créer une unité de classe, elle est un moyen de répandre les idées révolutionnaires, elle est un moyen pour le prolétariat de se réapproprier les structures d’entraide. C’est ce que font par exemple les Jeunes Révolutionnaires lorsqu’ils organisent des récoltes et distributions alimentaires à Saint-Étienne et Lyon, lorsqu’ils mettent en place des ateliers de couture et de distributions de masques contre le Covid-19 à Aubervilliers ou encore lorsqu’ils distribuent du gel hydroalcoolique à Caen et Nantes. Ainsi, la solidarité populaire s’oppose frontalement à la fausse générosité des bourgeois. Le prolétariat n’a pas besoin que les millionnaires du Rotary Club lui fassent l’aumône. Les prolétaires ne veulent pas être des « pauvres » condamnés à être « aidés » toute leur vie par des exploiteurs qui cherchent à se donner bonne conscience. La solidarité populaire, au contraire de la charité humanitaire, permet de relever la tête, de sortir de cette situation de « personne recevant de l’aide », elle donne de la dignité, de la confiance et de la conscience de classe, elle brise la division entre l’aidant et l’aidé pour permettre à chaque habitant d’un quartier, à chaque ouvrier d’une usine, de prendre part à un vaste mouvement de solidarité de classe.
Lorsque la solidarité populaire, sur des bases révolutionnaires, prend de l’ampleur, elle permet également, sur le long terme, de poser les bases d’une future société débarrassée de l’exploitation capitaliste. C’est ce que font les révolutionnaires de la New People’s Army aux Philippines, ou ceux de la Ligue des Paysans Pauvres au Brésil lorsqu’ils posent les bases d’une nouveau mode de production et de distribution dans les territoires qu’ils contrôlent.
Ainsi, là où la charité humanitaire envisage une situation comme figée, considère que « il y aura toujours des pauvres et des riches, alors il faut aider les pauvres », la solidarité populaire se construit comme une première étape d’un mouvement révolutionnaire visant à totalement renverser le système capitaliste qui produit des riches en petite quantité et des pauvres par milliards.