Alors que le mouvement social contre l’infâme loi de sécurité globale prend de l’ampleur, on entend de plus en plus parler de « dérive autoritaire » de Macron et du régime de manière globale. Il s’agit là d’une erreur d’analyse. Les lois répressives qui passent les unes après les autres ces dernières années ne sont pas caractéristiques d’une quelconque dérive autoritaire, elles sont l’évolution logique en période de crise du régime dans lequel nous vivons, de la même manière que les violences policières ne sont pas des bavures mais le fonctionnement normal de l’institution policière.
Le dictionnaire Larousse définie une dérive comme étant une « déviation par rapport au cours normal ». Nous devons donc nous interroger : les évènements que nous vivons en ce moment constituent-ils une déviation par rapport au cours normal du fonctionnement de l’État ? La réponse à cette question est non, et considérer le contraire, c’est mal comprendre la fonction de l’État dans le cadre du système capitaliste, c’est mal comprendre également les évolutions de l’État en période de crise.
Dans un ouvrage intitulé « Critique de la Philosophie du droit de Hegel » rédigé en 1843, Karl Marx défend l’idée selon laquelle l’apparition et le développement de l’État sont le résultat de l’évolution des structures socio-économiques (appelées infrastructures par Marx). Ainsi, Karl Marx révèle dans cet ouvrage la nature profonde de l’État qui, loin de représenter un idéal, représente en réalité les intérêts de la classe dominante. En partant de cette analyse marxiste, nous pouvons aisément comprendre en quoi la situation actuelle n’est pas une dérive. En effet, si l’État a pour rôle premier de défendre les intérêts de la classe au pouvoir, en l’occurence la bourgeoisie, alors il est évident que les lois répressives mises en place pour briser toute résistance populaire face au capitalisme ne sont pas des dérives, étant donné qu’elles font précisément partie du cours normal des choses.
Alors, nous pourrions nous interroger : pourquoi ces lois sont-elles mises en place aujourd’hui ? Pourquoi la violence de la police s’est-elle tant accentuée ces dernières années ? La réponse à ces questions nécessite une analyse de l’intensité de la lutte des classes au sein de l’État français, mais aussi de la situation globale de l’impérialisme français. En effet, il faut comprendre que, quand elle peut le faire, la bourgeoisie a tout intérêt à gouverner de manière « pacifiée » (même si cette paix est toujours très relative dans le cadre du système capitaliste-impérialiste). En réalité, la bourgeoisie n’a aucun intérêt à voir la violence sociale augmenter au sein de la société. Alors, lorsque la situation est pacifiée, lorsque le mode de gouvernance des intérêts de la bourgeoisie ne fait face à aucune crise d’ampleur, la bourgeoisie n’a pas besoin d’augmenter le niveau de répression. C’est donc bel et bien l’intensité de la lutte des classes qui fait l’intensité de la répression.
Ainsi, les années de 2010 à 2016 ont été très calmes au sein de l’État français en terme de luttes sociales, c’est pourquoi, sur son territoire, l’État s’est contenté de gouverner avec une répression relative et sporadique, utilisant uniquement le terrorisme de manière opportuniste pour faire passer l’état d’urgence et réprimer notamment les militants écologistes.
Cependant, sur le plan international, l’État impérialiste français a été largement mis à mal durant cette même période, c’est pourquoi il a grandement renforcé son armée et sa présence militaire en Afrique et au Moyen-Orient avec des opérations armées au Mali, en Centrafrique, en Irak et en Syrie. En effet, alors que les parts de marché des entreprises françaises s’effondrent à l’échelle internationale, alors que, au sein de l’Union Européenne, l’État allemand prend le leadership, laissant l’État français sur la touche, alors que l’impérialisme français est concurrencé notamment par la Russie et la Chine jusque dans son pré-carré d’Afrique de l’Ouest, la bourgeoisie française sait qu’elle n’a pas d’autre choix que de se préparer à la guerre et d’intensifier ses agressions militaires contre les peuples pour défendre ses intérêts.
Ainsi, si à l’échelle internationale l’État français se renforce militairement depuis déjà une dizaine d’années du fait de la crise de son impérialisme, sur son propre territoire, l’État s’est contenté pendant plusieurs années de gouverner sans trop de difficultés, et sans avoir à augmenter son niveau de répression. Cependant, depuis 2016, les luttes sociales ont connu une très grande intensification au sein de l’État français. Du mouvement social contre la loi travail en 2016 aux révoltes en cours contre la loi de sécurité globale, en passant par les grèves contre la réforme des retraites, et bien évidemment le mouvement des gilets jaunes, l’État français est devenu en Europe de l’Ouest le centre névralgique de la lutte des classes. Dans ce contexte, et alors que la pauvreté ne va cesser d’augmenter avec la crise sanitaire qui est venue accentuer une crise économique déjà présente, l’État français renforce donc son arsenal répressif dans le but de se préparer à réprimer des mouvements de contestation de plus en plus importants dans les années à venir.
En faisant cela, en menant des lois de plus en plus répressives (loi renseignement, état d’urgence permanent, loi anti-casseurs, loi de sécurité globale etc), en renforçant l’arsenal de la police et de l’armée, l’État français remplit ainsi totalement sa mission, il fait ce pourquoi il existe : il s’assure de protéger par tous les moyens les intérêts de la bourgeoisie.
Une fois que nous avons fait ce constat, une fois que nous avons pris conscience de la nature profonde de l’État, il apparaît évident que l’État bourgeois, capitaliste et impérialiste, ne peut pas être réformé par un quelconque candidat providentiel aux élections bourgeoises, comme espère l’être l’opportuniste Mélenchon. Non, l’État bourgeois doit être détruit de fond en comble par la révolution, pour reconstruire sur ses ruines un nouvel État dirigé non pas par la bourgeoisie mais par les travailleurs, un État garantissant la défense des intérêts de la majorité du peuple contre la minorité de parasites capitalistes.
Ainsi, la loi de sécurité globale n’est pas le problème de fond, elle n’est qu’une conséquence, un symptôme du pourrissement de l’État capitaliste-impérialiste français qui, miné par ses contradictions internes, fait face à une fronde de plus en plus grande de la population. Par conséquent, si nous nous opposons à cette loi de sécurité globale, ce n’est pas pour « protéger la République d’une dangereuse dérive autoritaire » mais bel et bien pour imposer un réel rapport de force avec l’État capitaliste, pour exposer au grand jour ses plans et les combattre par tous les moyens, pour pousser toujours plus loin la lutte des masses populaires contre ce système. En un mot, pour préparer les conditions de la révolution.