Nous rentrons dans cette nouvelle année en pleine seconde vague de la COVID. Il y a déjà un avant et un après pandémie. Les tendances de fond antérieures à la pandémie se confirment et s’accélèrent : l’État et la société deviennent de plus en plus réactionnaires, et la perspective d’une guerre inter-impérialiste se rapproche, dans un contexte de seconde crise générale de l’impérialisme. Tout est encore flou, mais au sommet de l’État se dessine une tendance qui dépasse le clivage traditionnel gauche-droite. Que ce soit Macron, Montebourg, Le Pen, Mélenchon ou un autre, ils prônent tous un État fort, « stratège », c’est-à-dire qui soutient à bout de bras les monopoles français ; et bien sûr social, avec un exécutif puissant et une armée forte. Certes, chacun rajoute quelques réformes secondaires pour se distinguer mais le fond est le même : la réaction sur toute la ligne.
Il faut dire que les habits de la Ve République, taillés dans le costume d’un ancien militaire (De Gaulle), siéent à merveille à notre époque. La Constitution de la Ve République, la place centrale du président, les élections présidentielles sous forme de plébiscite, la fusion des élections présidentielles et législatives, la place de l’armée dans la vie économique et sociale du pays, tout cela n’a rien d’incompatible avec la mise en place d’un régime profondément réactionnaire, qui garderait des allures de démocratie. On pourrait même dire que la Ve république anticipait cette époque. Cependant, ne nous y trompons pas : le système va garder ses habits de démocratie libérale pour un bon moment, car c’est le meilleur des déguisements pour la bourgeoisie. Cette réactionnarisation ne sera possible qu’autour des valeurs de la « République » et de la Révolution de 1789. Tout régime a besoin d’une justification idéologique, et la Révolution française est la seule matrice commune à toute la bourgeoisie et plus ou moins reconnue par les masses.
Les dominants n’organisent pas cette réactionnarisation de gaîté de coeur : ils le font même avec beaucoup d’angoisse, car cela reste une tentative vaine de freiner l’effondrement économique, social et politique du système. En cette période, l’État fort est une nécessité pour réprimer la lutte des classes, mais aussi pour appuyer et soutenir les monopoles nationaux. Le refus clair et net de l’État de vendre Carrefour à Couche-Tard, un monopole canadien, exprime cette nécessité. Pour que l’impérialisme français puisse continuer à se développer, il lui faut une armée forte : Macron n’est pas Jupiter mais Mars, aucun président n’a autant soutenu l’armée depuis des années. Le complexe militaro- industriel a un poids énorme, tant au niveau économique, avec des dizaines de milliers d’emplois qui absorbent une partie du prolétariat (les armées sont le premier employeur de contrat long en France), mais bien sûr également sur le plan politique. Sans les armées, l’impérialisme français s’effondrerait et deviendrait un nain. Il ne pourrait pas participer au redécoupage impérialiste du monde, et en premier lieu à une éventuelle guerre contre la Chine. Pour avoir une armée forte, il faut un État fort, capable de soutenir les immenses dépenses que nécessite le maintien à flot d’un appareil militaire moderne. Nous le voyons, la boucle est bouclée.
Ce poids de l’armée de plus en plus important va lui donner une influence politique évidente, car elle a sa vision, son projet, qui va se synthétiser dans des hommes, comme toute autre activité humaine . Le Général De Villiers, ancien chef d’état-major, aujourd’hui égérie des médias et des monopoles, est l’allégorie de notre époque. Ancien militaire brillant, homme de lettres, assurément un chef et réactionnaire jusqu’au bout des ongles, il est le type d’homme que la bourgeoisie française génère dans ses périodes de crises.
Une figure de chef va nécessairement émerger dans les années à venir, portant en elle la forme réactionnaire du régime, qui prendra la forme d’un néo-gaullisme. Le chef « au-dessus des partis corrompus », celui au- dessus des clivages, qui rassemble et qui donne une vision à la nation et à l’histoire, sera un des piliers de cette réactionnarisation. Macron n’a- t-il pas déjà commencé ce processus en se réclamant de De Gaulle et de Mitterrand ? De Gaulle est la figure tutélaire du régime qui se met en place.
Tout ce processus ne se fera pas sans heurts, ni contradictions. La bourgeoisie veut maintenir un État social – qui est la forme d’État qui fait accepter la répression aux masses -, conserver une partie des acquis sociaux, en contentant de l’autre côté les monopoles. La bourgeoisie monopoliste ne s’est pas opposée au soutien de l’État à l’économie, au contraire même, mais comme l’affirmait très justement le patron des patrons, Geoffroy Roux de Bézieux, il va falloir payer la dette.
Et les masses dans tout cela ? La crise profonde dont nous voyons à peine le début va placer les masses entre le marteau et l’enclume. En période de crise, elles luttent avec force et détermination, car là où il y a oppression il y a résistance, mais elles préfèrent largement l’ordre au chaos et à l’insécurité. Ne soyons pas dupes, la réactionnarisation va se faire avec un relatif soutien des masses, car elles veulent un État fort qui les protège de la misère. Qui peut leur jeter la pierre ? Nous aussi, révolutionnaires, nous voulons un État fort, un État socialiste, dirigé par la classe ouvrière, au service des masses.
Si nous ne menons pas un travail de masse, si nous ne sommes pas aux cotés du peuple travailleur, lié organiquement à lui, nous serons débordés par l’époque. Nous devons débroussailler le chemin vers la révolution socialiste à coup de mobilisations et de luttes, dénoncer la réactionnarisation et la tendance à la guerre comme opposées aux intérêts des masses, car à la fin, c’est le prolétariat qui payera la note. Nous devons propager dans les faits que la Révolution socialiste est le seul chemin pour mettre de l’ordre dans le chaos du capitalisme.
– La rédaction de la Cause du Peuple