Ce jeudi 21 janvier au soir, Thais d’Escufon, de son vrai nom Anne-Thaïs du Tertre, porte parole du groupuscule fasciste Génération Identitaire, était invitée de l’émission Balance ton Post sur la chaîne C8. Que signifie une telle invitation, en prime time, sur une grande chaîne de télévision, dans une émission qui rassemble des millions de téléspectateurs ?
Qui est Anne-Thaïs du Tertre ?
Anne-Thaïs du Tertre est issue d’une famille bourgeoise, anciennement aristocrate. Elle a vécu avec sa famille nombreuse (dix frères et sœurs) dans le riche village de Drémil-Lafage, dans la région toulousaine. Son père est un bourgeois. En effet, il dirige depuis 2006 le cabinet du Tertre, un cabinet de gestion de patrimoine, dans le village de Lavalette, près de Toulouse. Sa mère est une commerçante en auto-entreprenariat à Drémil-Lafage. Anne-Thaïs du Tertre (alias Thaïs d’Escufon) a donc grandi avec une cuillère en argent dans la bouche. Ainsi, elle confiait récemment au journal d’extrême droite Valeurs Actuelles avoir pris conscience de « l’islamisation et du grand remplacement » en se rendant à l’Université Toulouse Jean Jaurès, située dans la cité du Mirail. Cela illustre parfaitement la déconnexion de Génération Identitaire vis à vis du quotidien des masses populaires. Quand des millions d’ouvriers vivent en banlieue des grandes villes, parfois dans des logements insalubres, les bourgeois fascistes, qui prétendent représenter « la France d’en bas », sont horrifiés de découvrir l’existence de ces quartiers sur leur trajet en direction de l’Université depuis leurs appartements luxueux de centre ville, ou, pour le cas de Thaïs d’Escufon, depuis sa grande maison dans la riche périphérie de Toulouse. Au sein de Génération Identitaire, Anne-Thaïs du Tertre est loin d’être une exception : à Lyon par exemple, Olivier Marin Laflèche, cadre du mouvement, est lui aussi issu d’une des plus vieilles familles aristocratiques de la région lyonnaises. À Paris, c’est Antoine Oziol de Pignol, issu lui aussi de l’aristocratie, qui tient un rôle de cadre de Génération Identitaire.
Pourquoi l’avoir invitée elle, plutôt qu’un autre membre des identitaires ?
Les quelques exemples non exhaustifs de membres de Génération Identitaire cités plus haut sont une illustration de ce qu’est réellement ce groupuscule : une organisation bourgeoise ultra réactionnaire dont les membres défendent les intérêts de leur classe, la bourgeoisie. En ce sens, Anne-Thaïs du Tertre était la candidate idéale pour aller sur le plateau de l’émission Balance ton Post. En effet, en tant que bourgeoise porte parole d’un groupe fasciste, elle a bien-sûr ses entrées dans les médias bourgeois. De plus, une jeune femme blonde, issue d’une famille nombreuse, passe mieux à la télévision que d’autres membres de Génération Identitaire comme par exemple Rémi Falize, néo-nazi lillois, filmé il y a deux ans en train de faire des saluts nazis, d’agresser une jeune femme et de projeter un attentat raciste. De même, inviter Olivier Marin Laflèche, condamné pour avoir donné des coups de couteau dans le dos à des mineurs en 2014, aurait été mal vu. Avec Anne-Thaïs du Tertre, les cheveux blonds et les petits pulls en laine ont remplacé les crânes rasés, les rangers et les croix gammées tatouées. Mais il s’agit seulement de la vitrine de Génération Identitaire : derrière un discours réactionnaire policé et bien préparé, derrière des fiches apprises par cœur, se cachent des agressions racistes, des saluts nazis et des liens étroits avec des terroristes, à l’image de Claude Hermant, identitaire et indic de la police ayant vendu à Amedy Coulibaly les armes qui ont servi à l’attentat de l’Hyper Casher en janvier 2015, ou à l’image de Brenton Tarrant, terroriste néo-nazi ayant assassiné 51 musulmans en Nouvelle-Zélande, quelques mois seulement après avoir fait d’importants dons à Génération Identitaire.
Que signifie son invitation sur le plateau de Balance ton Post ?
C’est probablement la première fois que Génération Identitaire bénéficie d’une telle tribune pour exposer ses idées réactionnaires, et cela n’est pas un hasard si c’est sur la chaîne C8 que ça se passe. En effet, C8 fait partie du groupe Canal+, un grand groupe audiovisuel détenu par le milliardaire Vincent Bolloré, qui a fait fortune notamment via des opération financières impérialistes en Afrique. Vincent Bolloré a toujours été proche du plus haut sommet de l’État. Il a par exemple été un des plus importants soutiens de Nicolas Sarkozy pour l’élection présidentielle de 2007. Aujourd’hui, c’est le Rassemblement National et Marine Le Pen qui ont le soutien de Vincent Bolloré. Et ce soutien est très important, puisqu’en magnat de l’audiovisuel, Vincent Bolloré bénéficie de très importants relais médiatiques pour diffuser ses idées. C’est pourquoi, depuis quelques années, la chaîne Cnews, propriété de Bolloré, s’est transformée en véritable relais de la propagande d’extrême droite : il suffit d’allumer Cnews à n’importe quelle heure pour voir s’y exprimer des idées ultra réactionnaires et racistes par des chroniqueurs toujours plus à droite, à l’image d’Éric Zemmour. Avec Cnews et les autres chaînes du groupe Canal, Bolloré souhaite donc peser sur les élections présidentielles de 2022 pour faire élire Marine Le Pen. Dans cette optique, il cherche à faire l’acquisition du groupe Lagardère, propriété actuelle du milliardaire Bernard Arnault, grand soutien d’Emmanuel Macron. En rachetant le groupe Lagardère, Vincent Bolloré mettrait ainsi la main sur Le Journal du Dimanche, mais aussi sur la radio Europe 1. Cette mise en avant des idées d’extrême droite sur tous les médias du groupe Canal, mais aussi sur de nombreux autres médias, s’inscrit dans le processus de réactionnarisation de la bourgeoisie et de l’État, à l’image du gouvernement de Macron qui multiplie les lois ultra réactionnaires, comme la loi sécurité globale ou la loi sur le « séparatisme ». Pourtant, là où les chaînes du groupe Canal jouent la réaction pour faire élire Marine Le Pen, Macron, lui, joue le rassembleur, il se pose en défenseur des « valeurs de la République menacées par le populisme » et essaye de ce fait de calmer la lutte des classes.
Il faut bien comprendre ici que si des milliardaires achètent des grands médias, ce n’est pas pour faire du profit. En effet, la plupart des grands médias sont déficitaires. Les milliardaires comme Bolloré ou Bernard Arnault font leur profit dans l’industrie, le premier dans le transport, la logistique, l’énergie ou encore le plastique, le second principalement dans le luxe. Détenir des médias n’est ainsi pas pour eux un moyen de gagner de l’argent mais bien de faire passer leurs idées, de défendre leurs intérêts, d’influencer l’opinion publique. Vincent Bolloré, par exemple, de par ses activités impérialises en Afrique, représente la part la plus agressive de l’impérialisme français, et il a donc tout intérêt à faire de la propagande pro-impérialiste au travers des médias qu’il possède afin de faire accepter à l’opinion publique l’impérialisme français en Afrique. En choisissant d’inviter certains politiciens plutôt que d’autres sur leurs plateaux, en choisissant de mettre en avant un parti politique plutôt qu’un autre, les grands médias peuvent ainsi très largement influencer les résultats électoraux, mais aussi nouer des liens étroits avec le plus haut sommet de l’État. Pour un milliardaire comme Patrick Drahi par exemple, faire la promotion de la politique menée par Macron sur les chaînes du groupe Altice, en premier lieu desquelles BFMTV, est sans doute un moyen d’obtenir en retour une politique favorable de la part d’Emmanuel Macron, comme des exonérations de cotisations sociales ou des baisses d’impôts. Pour Vincent Bolloré, influencer l’opinion publique en direction du Rassemblement National est là aussi probablement un moyen de s’accorder les faveurs de Marine Le Pen en vue d’une potentielle élection de celle-ci en 2022.
Mais tout cela est secondaire : la principale motivation des bourgeois qui rachètent des médias est de diffuser une certaine vision du monde bien plus que de s’attirer les faveurs de politiciens bourgeois dont la politique est déjà très largement favorable aux intérêts de la bourgeoisie. Ce n’est pas un hasard si les voix qui critiquent le système capitaliste sont quasiment exclues des médias, ce n’est pas un hasard si les grands médias parlent bien plus des faits divers macabres ou de l’islam que des questions sociales, comme le fait que de plus en plus de travailleurs n’arrivent même pas à payer leurs factures à la fin du mois. Les grands médias détenus par des milliardaires jouent un rôle de contrôle social, ils diffusent largement la propagande de la classe au pouvoir, ils vantent les mérites du système capitaliste et de l’impérialisme tout en essayant de discréditer les mouvements sociaux. Et dans cette période de réactionnarisation de l’État, il est donc tout naturel que les thèses défendues par les chroniqueurs et éditorialistes bourgeois sur les plateaux télé soient de plus en plus réactionnaires. Les grands médias sont donc avant tout un puissant instrument au service de la classe au pouvoir, au service des quelques milliardaires qui exercent un contrôle quasi total sur la vie économique.
Si Génération Identitaire est invité sur le plateau de Balance ton Post, cela signifie donc que Génération Identitaire ne représente pas de réel danger pour le système capitaliste. Par ailleurs, le dispositif de l’émission était totalement favorable à l’extrême droite, puisqu’Anne Thaïs du Tertre n’était pas seule à défendre des thèses réactionnaires, elle était accompagnée de l’ex-membre du Rassemblement National Jean Messiha et du directeur de la rédaction du magazine d’extrême droite Valeurs Actuelles, Geoffroy Lejeune. Bien-sûr, face à eux, il n’y avait aucun contradicteur sérieux, capable de révéler la vraie nature de Génération Identitaire, à savoir une organisation bourgeoise, au service direct des intérêts de la bourgeoisie.
Génération Identitaire, un lobby fasciste
Génération Identitaire est avant tout un lobby fasciste. Leur rôle, tel que le décrivait une de leurs militantes filmée en caméra cachée pour un reportage, c’est de « tenir la rue » pendant que le Rassemblement National s’occupe des aspects plus politiques (au sens de la politique bourgeoise). Ainsi, Génération Identitaire est un groupuscule d’activistes dont le rôle est de faire des coups d’éclat, des coups médiatiques dans le but de mettre sur le devant de la scène des thématiques chères au Rassemblement National (islam, immigration, sécurité etc). En ce sens, Génération Identitaire joue un rôle de division du prolétariat : en faisant de la division entre européens et extra-européens la contradiction principale, ils occultent volontairement la division de classe qui structure les sociétés capitalistes. Leur rôle est ainsi de travailler à une union artificielle entre prolétaires blancs et patronat afin d’opposer les prolétaires européens aux prolétaires extra-européens. En ce sens, ils jouent la division du prolétariat et donc servent directement les intérêts de la bourgeoisie à laquelle ils appartiennent. C’est là une des caractéristiques du fascisme : créer une unité artificielle dépassant les classes sociales afin de pacifier les rapports de classe, afin d’essayer de convaincre les prolétaires que leurs intérêts convergent avec ceux des exploiteurs bourgeois.
Ainsi, ce 21 janvier au soir, la question du travail, la question de l’exploitation quotidienne que vivent des dizaines de millions de personnes en France n’a pas été abordée une seule seconde sur le plateau de Balance ton Post. Pourtant, c’est bien ce sujet qui structure toute la société, c’est bien l’appartenance à une classe sociale ou à une autre qui détermine le quotidien des individus. En effet, quoi de plus important dans la vie quotidienne d’une personne que sa classe sociale ? Ce qui divise la société en deux vastes camps ennemis, ce n’est pas la religion, ce n’est pas la couleur de peau, ce n’est pas l’orientation sexuelle, ce n’est pas le genre, c’est la classe sociale. Deux ouvriers, l’un blanc, l’autre noir ou arabe, auront beaucoup plus de points communs, auront un quotidien qui se ressemble bien plus que deux hommes blancs, l’un prolétaire et l’autre bourgeois.
En mettant en avant des thèses racistes, xénophobes, islamophobes, sexistes, LGBTphobes, Génération Identitaire joue donc parfaitement le rôle que la bourgeoisie attend d’eux : ils travaillent à la division du prolétariat, ils travaillent à « opposer les communautés pour masquer la précarité » comme le disait le rappeur Kery James.
Par ailleurs, cette invitation d’Anne-Thaïs du Tertre sur le plateau de Balance ton Post n’intervient pas n’importe quand. En effet, comme nous avons pu le voir ces dernières années, à chaque fois qu’un grand mouvement social émerge, les médias nous sortent une nouvelle polémique stérile et grotesque sur l’islam. Aujourd’hui, le groupe Bolloré va plus loin en essayant de faire en sorte que tout le débat public, peu importe le contexte, soit focalisé sur ces thématiques. Cette vaste campagne de mise en avant des idées réactionnaires intervient dans une importante période de crise de l’impérialisme français : les parts de marché de la bourgeoisie française à l’international s’effondrent et la crise économique liée au Covid-19 va assurément accentuer cela. En Afrique, par exemple, entre 2000 et 2017, les parts de marché françaises sont passées de 11% à 5,5%, et Vincent Bolloré, dont le business s’est construit sur l’exploitation de l’Afrique, craint plus que tout ce processus de dépérissement de l’impérialisme français. Dans cette période de pourrissement de l’impérialisme, alors que les contradictions de classe au sein de la société française s’intensifient, en témoignent les nombreux mouvements sociaux de ces dernières années, la bourgeoisie cherche tant bien que mal à sécuriser ses intérêts et à freiner les révoltes en cours. Dans cette perspective, les médias sont une arme parmi d’autres aux mains de la classe au pouvoir, et ils servent de ce fait l’agenda politique de la bourgeoisie monopoliste française.
Face aux médias bourgeois, construisons nos médias révolutionnaires !
Face aux grands médias, tous détenus par des milliardaires, nous devons construire nos propres médias révolutionnaires, qui défendent un point de vue prolétarien sur la société, qui analysent profondément l’actualité afin de mettre en lumière les contradictions du système capitaliste-impérialiste, afin de diffuser massivement les idées révolutionnaires, afin de diffuser une autre compréhension du monde que celle mise en avant par la bourgeoisie et afin de populariser les luttes sociales que la bourgeoisie cherche tant à discréditer. C’est le sens de notre action à La Cause du Peuple, c’est pourquoi notre journal n’est pas et ne sera jamais la propriété de milliardaires, c’est pourquoi notre journal est rédigé par des militants révolutionnaires et non par des éditorialistes bourgeois, c’est pourquoi notre journal est vendu au quotidien dans les manifestations, sur les piquets de grève, à la sortie de usines et dans les quartiers prolétariens. C’est pourquoi nous ne construisons pas notre journal, comme un simple média d’information mais comme une organisation au service de la révolution. Lire La Cause du Peuple et la diffuser, c’est ainsi renforcer la presse révolutionnaire et de ce fait le mouvement révolutionnaire !