Snowpiercer : le Transperceneige est une série Netflix, sortie en 2019, et dont la seconde saison sort le 26 janvier. Elle s’inspire d’une première œuvre, une bande-dessinée, et également du film du même nom de Bong Joon Ho. Ce dernier, également réalisateur de Parasite, est parfois présenté comme un réalisateur progressiste, montrant la lutte des classes. Il est scénariste dans la série, beaucoup plus complexe que le film. Ceux qui ont vu le film et connaissent la fin remarquent qu’il est absolument défavorable à l’idée d’une révolution. Comme dans Parasite, « l’homme est un loup pour l’homme », la société de classe est montrée comme un phénomène immuable, et la rébellion comme un complot pour réguler la population. Snowpiercer, comme Parasite, montre la lutte des classes comme un phénomène inévitable de la société bourgeoise, et critiquent la dictature et la tyrannie d’un point de vue libéral. Mais l’ordre des choses est immuable, et on y retrouve la dialectique d’Hegel, du maître et de l’esclave : l’esclave peut renverser le maître et le remplacer, mais pas abolir l’esclavage. Le train peut être conduit par quelqu’un d’autre, mais il y aura toujours un dirigeant exploiteur.
L’univers de la série est celui d’un monde où le froid s’est abattu sur le monde, à cause de tentatives scientifiques pour réguler le climat, menacé par le réchauffement climatique. A l’extérieur, la température est de -47°C, et le train est la seule arche où ce qu’il reste de l’humanité vit. Le train est un monde autosuffisant, une sorte de métaphore de la terre, dont on ne fait que renouveler ou user les ressources. Cet aspect, d’ailleurs, est discutable, car la métaphore de la terre comme un monde « fini » est très réactionnaire, et les mythes sur la « surpopulation » sont des tentatives d’esquiver la critique du capitalisme, comme les malthusiens (ceux qui pensent qu’il faut réduire la population mondiale, que les problèmes ne viennent pas du capitalisme mais de la surpopulation). Il est également intéressant de constater que, pour les scénaristes, l’humanité s’adapte au réchauffement climatique ; la société est bouleversée mais le changement climatique ne va pas à lui seul détruire le capitalisme.
La société du Snowpiercer est divisée en quatre classes hermétiques : la première, qui représente la grande bourgeoisie, la seconde, qui représente la petite bourgeoisie et l’encadrement, la troisième, qui représente la classe ouvrière, et enfin, on y trouve les « hors classes », des gens qui sont montés dans le train sans billet au commencement, et qui survivent à l’arrière, dans le froid. Ils servent de main d’oeuvre. La drogue y fait des ravages parmi eux ; mais ils ont des liens forts avec la troisième classe. Dans ce monde, il n’y a qu’une religion, celle de la « Sainte Loco éternelle » dirigée par « Mr Wilford ». La religion est présentée comme quelque chose de purement négatif, comme un calque de l’ordre social. Le racisme n’existe pas vraiment, remplacé par des préjugés sur les « sans classes ». Toutefois, on y voit clairement la figure du prolétaire refusant l’immigré, s’imaginant ainsi garder sa place et ses quelques biens. Comme le racisme, les différentes contradictions sont abordées d’un point de vue matériel. Les différents aspects des liens entre les classes, de la mobilité sociale et de la lutte des classes sont abordés dans le scénario, ce qui lui donne sa profondeur.
L’intrigue ne veut pas montrer la révolution pendant dix épisodes. Alors, après une nouvelle insurrection de l’arrière, André Layton, ancien inspecteur criminel, doit mener une enquête qui lui permet de recruter dans tout le train pour la révolution, et de nous dévoiler de nombreuses intrigues. Et là est tout l’intérêt de la série. La révolution est un phénomène complexe et contradictoire ; voyant se mêler intérêts sociaux et personnels, contradictions au sein des classes elle mêmes, et volonté de prendre le contrôle du « train », c’est à dire de l’humanité. Les scénaristes sont pris entre un scénario d’insurrection, une volonté de « dénoncer les inégalités » très à la mode, tout en montrant les multiples aspects – qu’ils considèrent comme négatifs – d’une révolution. Ils évitent la question principale de la révolution : qui dirige ? Sans parti, sans avant-garde constituée, les insurgés sont voués à avancer à l’aveuglette et à laisser la bourgeoisie garder une partie du pouvoir. Surtout, ils ne développent pas de culture propre, une culture populaire distincte de la culture des classes dominantes. Le scénario ne fait que montrer une révolte spontanée, qui, dans la réalité, ne peut pas transformer le monde, simplement le changer à la marge.
Tout cela donne un aspect « lisse » à la série, un manque de profondeur malgré un univers vivant et riche. Le cliffhanger final permet d’espérer que la série ne se transformera pas totalement en une série apocalyptique et de survie, car il met les insurgés face à de nouveaux problèmes. Snowpiercer vaut le détour, même si les ficelles sont parfois un peu grosses. Mais la série prouve aussi que montrer la lutte des classes, ce n’est pas toujours se mettre du côté de la révolution.