« La république est attaquée ». Voilà le discours que tenaient tous les responsables politiques le 1er décembre 2018. Les patrons, dont beaucoup avaient aidé à lancer le mouvement des Gilets Jaunes, commençaient à se rétracter, à se rendre compte que le mouvement était dirigé par des prolétaires. Le mouvement avait, à partir de là, de plus en plus des revendications et des méthodes spontanées de la classe ouvrière. Le 1er décembre, l’Avenue des Champs Élysée et les beaux quartiers parisiens subissaient un raz-de-marée prolétarien. Les boutiques sont pillées, des barricades érigées par des milliers de travailleurs et de travailleuses. Difficile de savoir si les dégradations sont conscientes, si les prévenus savent réellement que l’Arc de Triomphe fût un symbole anti-républicain, un symbole des guerres Napoléoniennes pour soumettre l’Europe, devenu par la magie de la communication un « symbole de la République ».
À l’époque, la stratégie du pouvoir était celle-ci : empêcher la gauche et les syndicats de s’unir à la base à l’explosion sociale. Les responsables dénoncent « l’ultra droite » – au final, quelques jeunes bourgeois protégés par la justice – comme responsable des dégradations. Le procès de 12 Gilets Jaunes montre qu’il n’en est rien. La procureure, à l’ouverture du procès, cite d’ailleurs des tags et graffitis : « Vive le vent, vive le vandalisme », « Les gilets jaunes triompheront », « Augmenter (sic) le RSA », « Le diable avec nous », « Classe contre classe » … Et même « Abba les flics et les fachos ». Les chants dans les rues sont les mêmes : contre les bourgeois, contre Macron, contre les bas salaires. Seuls les drapeaux et les marseillaises aident la droite à ne pas se sentir complètement en décalage.
421 interpellés et 378 ces jours-là seulement, des milliers le week-end suivant ; des centaines de personnes finiront en prison, d’autres éborgnées ou mutilées. Mais ça ne suffit pas. Il faut un procès, pour ces actes, perçus comme des affronts par la bourgeoisie et les populations des XVe-XVIe-XVIIe arrondissements de Paris, touchés directement par l’irruption des masses populaires, qui chez eux se limitent habituellement aux livreurs, femmes de ménages, personnels de service et des restaurants, éventuellement le BTP, toujours pour les servir.
Il y a donc 10 prévenus. Six autres seront jugés plus tard pour l’intrusion dans l’arc de Triomphe. Un déféré devant un juge pour enfants. « C’était totalement surréaliste », « dramatique pour l’image de la France », déclare l’avocat de l’association Halte au Pillage du Patrimoine Archéologique et Historique (Happah), partie civile. C’est totalement hypocrite : on juge des gens pour le « pillage du patrimoine archéologique » en déclarant que ce serait pour cela que « l ‘image de la France qui touchée », alors que l’image de la France a été touchée… parce qu’une grande révolte ouvrière a éclaté, ce qui n’a rien à voir avec le patrimoine. D’ailleurs, les prévenus sont aussi jugés pour avoir récupéré des objets pillés sur les Champs-Élysées. Évidemment, c’est là-dessus que tourne le procès. Comment des travailleurs peuvent il croire qu’ils ont le droit ou la légitimité à s’emparer de ce qu’ils ont – ou auraient pu – produire, transporter, mettre en rayon ? Ils comparaissent devant le juge pour « vol, dégradation et recel ». Dans le même temps, les juges d’instruction le soulignent eux-mêmes dans leur ordonnance de renvoi de fin août : « les instigateurs, voire les principaux auteurs des faits, n’ont pu être identifiés pour les violences et dégradations organisées en marge de la manifestation » Les magistrats ajoutent que les faits ont été commis par un très grand nombre d’individus. A ce titre, il est presque impossible de déterminer avec certitude le rôle des uns et des autres.
À ce moment du mouvement des gilets jaunes, il n’y a pas d’énorme politisation, mais un marqueur plutôt à gauche, comme nous le voyons sur les tags. Les dirigeants de la mobilisation sont plutôt issus de la gauche ouvrière, des syndicats, des partis de gauche. Dans l’ouest en particulier, ils organisent la lutte dès début novembre. Mais dans le mouvement, beaucoup de gens sont proche du Rassemblement Nationale. Cela n’empêche pas la lutte de classe de pointer, au-delà des idées des ouvriers. C’est aussi pour cela que le pouvoir tente de taper fort, d’éloigner le procès politique. D’abord, pour éviter le soutien des premiers partis, revenus à leur isolement réactionnaire. Mais aussi par peur ; car une immense masse de Gilets Jaunes est passée, objectivement, dans le camp de la révolution et s’est organisée, de manière certes encore trop superficielle. L’État veut décourager les formes d’organisation, les réduire à l’état de proto-syndicats incapables de reproduire ce que le mouvement a déjà produit. Il faut marquer les consciences. L’État veut empêcher la jonction entre les ouvriers, dont certains sont individuellement réactionnaires, votent RN, souvent comme « vote rébellion » et les organisations crées par les révolutionnaires ou par les ouvriers eux même.
Ce procès est donc un procès politique, non pas le procès d’individus ayant commis des actes répréhensibles, ayant mis en danger le fonctionnement de la société et les membres de celle-ci, mais le procès d’une révolte intolérable aux yeux de la bourgeoisie. Il est évident que les prévenus risquent de devenir des prisonniers politiques et que les révolutionnaires devront alors les considérer comme tels.