Alors que les célébrations petites-bourgeoises pour l’arrivée de l’administration Biden s’estompent, la réalité de l’impérialisme yankee s’affirme de nouveau avec la réouverture de deux des camps de concentration de « l’ère Trump » destinés aux enfants migrants. Le centre Homestead a été ouvert en 2018 en tant que camp de concentration pour des enfants migrants et fut fermé en août 2019. Le complexe de Carrizo Springs, avec une capacité maximale de 700 détenus fut également ouvert et fermé sous Trump en juillet 2019. Ces camps ont été fermés surtout grâce aux pressions du mouvement de masse contre l’enlèvement et l’emprisonnement d’enfants par l’État, et celles, supplémentaires, des démocrates sur le gouvernement fédéral. Aujourd’hui, ils sont rouverts sous le prétexte de « moyen provisoire » pour gérer le flux de migrants venant de véritables zones de guerre du Mexique et d’Amérique Centrale.
Maintenant que le Parti Démocrate détient la présidence, seules les têtes d’affiche de la « gauche » sociale-démocrate du Parti maintiennent leur indignation sur le sujet, comme Ilhan Omar ou Alexandria Ocasio-Cortez. Le nouveau régime étatsunien justifie les réouvertures par le prétexte de la pandémie de COVID-19, puisque les centres pour enfants migrants doivent diminuer leur capacité de presque la moitié. En même temps, le départ de l’administration ultra-réactionnaire de Trump a mené à encore plus de migrations via le Mexique. En janvier 2021, 5 700 enfants migrants non-accompagnés étaient arrêtés. Cependant, sous le régime de Trump, les enfants non-accompagnés n’étaient même pas autorisés à rentrer dans le pays. En ce moment, il y a environ 7 000 enfants détenus par BCFS Health and Human Services, un sous-traitant gouvernemental à but non lucratif du Bureau de Réimplantation des Réfugiés (Office of Refugee Resettlement), faisant partie de Health and Human Services (HHS). Contrairement aux centres permanents, les centres de détention prétendument « provisoires » ne sont pas soumis à des exigences de licence d’État et sont plus de deux fois plus chers à opérer que les centres permanents. Les enfants détenus arrivent normalement sans tuteur légal, mais avec un membre de la famille éloignée ou bien avec une soeur ou un frère ainé, afin de se réunir avec un parrain aux États-Unis. Après deux semaines de quarantaine, l’Office of Refugee Resettlement détient les enfants pendant qu’il identifie et vérifie les parrains. Selon HHS, le but est de compléter ce processus en environ 30 jours, aprèsquoi l’enfant est réuni avec le parrain. Cela est ensuite suivi des procédures judiciaires en matière d’immigration.
Biden était déjà assez mal vu pendant sa campagne par les communautés migrantes. Lorsque qu’il était le vice-président d’Obama, les déportations annuelles ont atteint des chiffres records, dépassant de loin les déportations sous Trump. Presque trois millions de migrants sans-papiers ont été déportés pendant les huit ans de la présidence d’Obama. Au lieu de tirer avantage de l’importante majorité démocrate au congrès pendant le début de son mandat présidentiel, Obama et Biden se sont concentrés premièrement sur le sauvetage du système financier et deuxièmement sur la réforme de l’assurance maladie. Pour remédier à cette situation, Biden a fait de la réforme de l’immigration une priorité en 2021. Son U.S. Citizenship Act permet aux résidents non-citoyens de devenir citoyens en huit ans et représente une opportunité conséquente pour les onze millions de personnes qui résident aux États-Unis illégalement. Biden souhaite augmenter la limite annuelle de réfugiés de 18 000 à 125 000 et envisage de dépenser 4 milliards de dollars pour aider les États et économies des pays de l’Amérique Centrale que tant de personnes fuient. Biden a aussi arrêté la construction du mur à la frontière entre les États-Unis et le Mexique.
Bien que le nouveau régime yankee représente une amélioration des conditions des immigrés aux États-Unis, elles concernent surtout les migrants déjà arrivés dans le pays qui ont maintenant une meilleure chance de recevoir un statut légal et de se sortir de la pire précarité. Pour la grande majorité des nouveaux migrants qui ont encore à compléter le long chemin vers la frontière, la situation reste largement inchangée. La misère et la violence dans certaines régions du Mexique et dans la plupart des pays d’Amérique Centrale mènent à des conditions de vie intolérables. Ces conditions se reproduiront sans fin tant que les pays de la région resteront des semi-colonies de l’impérialisme états-unien. À long terme, il y aura seulement de plus en plus de migrants partant pour les États-Unis en espérant profiter un peu eux-mêmes de la richesse pillée par l’impérialisme. Face à cette réalité, le débat politique sur l’immigration illégale aux États-Unis n’est ni moral ni un moyen de trouver une solution durable, mais un calcul spéculatif et économique. La contradiction entre la politique de Trump et de Biden représente avant tout la lutte au sein de la bourgeoisie états-unienne sur l’exploitation optimale de l’immigration afin de favoriser les monopoles étatsuniens. Si ce n’était pas le cas, le débat serait beaucoup plus simple : soit accepter d’ouvrir totalement les portes au flux de migrants arrivant, soit cesser de dominer et exploiter leurs pays. En vue de maximiser les profits impérialistes, ces deux options sont inacceptables. En essence, Trump et Biden cherchent à réaliser la même chose : une « gestion de flux » favorable à l’exploitation des prolétaires et paysans de pays opprimés. La plus-value produite par ces travailleurs est essentielle pour l’économie des États-Unis, surtout dans l’immense secteur agricole qui s’effondrerait sans la main-d’œuvre immigrée. En 2015, le Internal Revenue Service (IRS) a perçu 23,6 milliards de dollars seulement avec les impôts sur le revenu de 4,4 millions de travailleurs sans numéro de sécurité sociale, dont beaucoup sont sans-papiers. Ils choisissent de payer leurs impôts afin de renforcer leurs dossiers pour un statut légal. De plus, le flux de migrants généralement assez jeune contrebalance le déclin des petites villes états-uniennes, causé par le déplacement des jeunes vers les grandes métropoles, ainsi que la crise démographique causée par le vieillissement de la génération des baby boomers. Pourtant, il n’est pas dans l’intérêt de l’impérialisme de trop faciliter la vie de ces immigrés, et ce afin de maintenir un niveau de semilégalité et de précarité les forçant à accepter le pire travail dans les pires conditions et souvent pour moins que le salaire minimum. L’immigration est un riche fruit pour l’impérialisme yankee, mais il faut le presser pour obtenir son précieux jus.
L’histoire de la politique d’immigration états-unienne envers ses voisins du sud démontre très bien la stratégie de l’impérialisme états-unien pour exploiter la main-d’œuvre immigrée. Déjà au début du 20e siècle, les travailleurs mexicains étaient indispensables à l’agriculture des États-Unis. La grandissante industrie agricole attirait les travailleurs mexicains aux dépends du développement économique du Mexique. L’émigration a causé un tel manque de main-d’œuvre au Mexique que, dans la première moitié du siècle, il arrivait que les récoltes pourrissent dans les champs. L’agro-industrie moderne des États-Unis s’installait grâce à la main-d’œuvre mexicaine, alors que le développement économique le plus fondamental du Mexique était étouffé par cette pénurie de main-d’œuvre. Avec le début de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont profité de la situation du Mexique encore davantage avec le Programme Bracero, de 1942 à 1964. Avec ses soldats mobilisés aux fronts, les États-Unis avaient besoin d’une main-d’œuvre fiable pour le secteur agricole, qui est essentiel à son engagement dans la guerre. En même temps, le Mexique voulait contrôler et limiter l’émigration aux États-Unis afin de résoudre sa pénurie de main-d’œuvre. L’entente entre les États-Unis et le Mexique a permis aux Mexicains de travailler aux États-Unis avec des contrats de travail à court terme. En retour, les États-Unis devaient mettre en place une sécurité plus stricte aux frontières et des restrictions en matière de travail illégal, ce qui a entraîné le retour d’un grand nombre de travailleurs illégaux au Mexique. Malheureusement pour le Mexique, les États-Unis n’ont pas réussi à suffisamment contrôler le flux de travailleurs clandestins. Cela a mené à des tensions entre les deux pays, avec le Mexique menaçant de bloquer les travailleurs légaux si les États-Unis ne remplissent pas leur part de l’accord. En réponse, les ÉtatsUnis ont lancé le premier grand programme de chasse aux immigrés en 1954 : Operation Wetback. Dans le cadre de cette opération militarisée, plus d’un million de travailleurs mexicains seront déportés au Mexique. C’est précisément dans cette période que les États-Unis se sont transformés en la première superpuissance impérialiste. Dans ce temps, leur relation avec les travailleurs migrants du sud de leur frontière a aussi été définie. Cette relation est toujours définie par les mêmes deux aspects : l’exploitation et la répression.
L’actuelle situation catastrophique en Amérique Centrale a mis à la disposition des monopoles états-uniens une réserve pratiquement infinie de travailleurs migrants prêts à faire n’importe quel travail pour survivre. Les violences extrêmes entre les différents cartels de drogue mexicains, et celles entre ces mêmes cartels et l’État mexicain, produisent de véritables zones de guerre à travers le pays et exacerbent les autres problèmes sociaux, tels que le chômage et la prostitution. Cependant, la situation au Mexique est relativement bonne comparée à celle du « triangle du Nord », composé du Guatemala, du Salvador et du Honduras. Entre octobre et janvier 2020 seulement, plus de 19 000 enfants de ces quatre pays avaient illégalement traversé la frontière états-unienne. Ce nombre va continuer à monter avec la politique du président Biden attirant plus de migrants. Les pays du « triangle du Nord » sont parmi les plus dangereux du monde. Des décennies de dictatures militaires et de guerres civiles dans l’intérêt de l’impérialisme yankee ont mené aux conditions actuelles. Les peuples de ces pays sont piégés dans un cycle de violence brutal entre deux gangs transnationaux, Mara Salvatrucha (MS-13) et Barrio 18 (La 18), les forces de répression de l’État et d’innombrables petits gangs et milices. En effet, les gangs contrôlent de grands pourcentages des territoires de ces pays. Selon les statistiques de 2018 du Bureau des Nations unies Contre les Drogues et le Crime, le Guatemala a connu 22,5 homicides pour 100 000 habitants et le Honduras 38,93. Le Salvador a connu le taux le plus élevé du monde avec 52,02. Pour comparer, le taux en France était de 1,2 et celui des États-Unis de 4,96. Au Mexique, le taux était aussi parmi les plus élevés de 2018 à 29,07. En Amérique Centrale, c’est particulièrement les féminicides qui renforcent le taux d’homicide élevé. La plupart des femmes ne sont pas tuées dans le contexte de violences entre les diverses factions armées, mais par leur mari, petit-ami ou par un membre de la famille. Dans ces pays très catholiques et conservateurs, les relations féodales règnent au sein de la famille et la femme est perçue plus ou moins comme une servante qui doit obéir aux hommes. Les femmes qui désobéissent sont souvent brutalisées et tuées. Au Guatemala, le taux de féminicide est de trois fois la moyenne mondiale. Au Salvador, il est de six fois la moyenne, et au Honduras, 12 fois ! Les statistiques illustrent mal la brutalité extrême de cette violence. Que ce soit la violence des gangs, la violence domestique ou encore la violence policière. Cette dernière ne pourrait pas être pire : tortures prolongées, brûlures, viols collectifs, mutilations, décapitations. Même les enfants ne sont pas épargnés. L’État n’aide pas dans cette situation et est généralement impliqué dans le narcotrafic, comme montré par l’implication du président actuel du Honduras, Juan Orlando Hernández, dans un procès au District Sud de New York. Il est accusé d’avoir accepté des millions de dollars de potsde-vin de la part de trafiquants de drogue, et son frère Juan Antonio Hernández, ancien membre du Congrès hondurien, a été reconnu coupable de trafic de drogue et d’accusations liées au trafic d’armes aux États-Unis en octobre 2019. Il n’est pas étonnant que tant de femmes et d’enfants entreprennent le dangereux voyage vers le nord pour traverser la frontière des ÉtatsUnis. En tout cas, cela ne peut pas être plus dangereux que de rester au Guatemala, au Salvador ou au Honduras. Arrivés là-bas, beaucoup des migrants de cette région demandent le statut de réfugié, surtout les femmes.
En réponse, la droite Républicaine aux États-Unis cherche à refuser la reconnaissance légale des femmes en tant que groupe social pour bloquer le droit d’asile à celles qui fuient la violence patriarcale. La réouverture prétendument temporaire des camps de concentration par le président démocrate Biden est également une réponse à cette situation. Ce sont tous les deux des moyens de renforcer la répression pour que les périls de la migration soient équilibrés avec les périls que les migrants fuient. Aux États-Unis, cela est appelé de la « dissuasion ». Depuis la présidence de George W. Bush en 2001, la dissuasion a été intensifiée pour répondre au flux d’immigration causé par les dégâts de la sanglante « War on Drugs » (Guerre contre la Drogue) au Mexique. Pourtant, depuis le début du 21e siècle, la consommation aux États-Unis de drogues illégales produites en Amérique du Sud et au Mexique ne cesse de croître. Cette longue chaine de production et distribution est l’huile sur le feu de la violence quotidienne en Amérique latine. Au fur et à mesure que la situation s’aggrave, chaque président doit trouver de nouvelles façons d’appliquer une dissuasion plus forte. Depuis le président Bush, la dissuasion s’intensifie avec la construction d’une barrière sur des centaines de kilomètres à la frontière. La répression a été renforcée avec le lancement du programme « Secure Communities » (Communautés Sécurisées). Ce programme exploite l’accès aux empreintes digitales prises dans les prisons locales pour identifier des migrants illégaux pour la déportation. Le président Obama a réalisé un taux de déportation record en permettant au Contrôle de l’Immigration et des Douanes (Immigration and Customs Enforcement – ICE) de développer ce programme. La réaction populaire n’a pas permis au président Trump de bien exploiter cet outil, mais par contre le niveau de dissuasion qu’il a introduit était sans précédent. Il a construit plus de barrières et de systèmes de surveillance à la frontière. Il a introduit la politique de « tolérance zéro », ce qui veut dire que chaque migrant qui croise la frontière illégalement doit être poursuivi juridiquement et détenu en attente de son procès. Lorsque les familles étaient détenues, elles étaient séparées de leurs enfants, qui étaient ensuite envoyés dans des camps comme Carrizo Springs. La séparation des familles était déjà pratiquée par l’administration Obama pour la dissuasion.
Trump voulait aller plus loin : renverser le « Flores Settlement Agreement » de 1997, qui acte que les mineurs non-accompagnés mis en détention par l’État doivent être rapidement transférés dans des centres non verrouillés et sous licence pour une période maximum de 20 jours. Le but était la détention indéfinie de mineurs venant illégalement d’Amérique latine ; bref, des camps de concentration pour enfants. Trump avait dit qu’il existait une base de données avec les informations permettant de réunir les enfants avec leurs parents, mais apparemment c’était un mensonge. La réunification n’a jamais fait partie du plan. Cette politique a duré jusqu’en juin 2018.
La tendance continue
Depuis le début du 21e siècle, le niveau de répression, de déportations, et de dissuasion contre les migrants monte rapidement et sans discontinuer. Cette tendance ne va pas changer sous la présidence de Biden. L’administration explique que la réouverture des camps est provisoire et que les enfants ne resteront pas là pour plus de 30 jours en attente d’être réunis avec un parrain approuvé. L’administration envisage désormais de détenir les enfants dans des bases militaires pour faire face au flux de migrants. Cependant, quelques milliards de dollars ne règleront pas les situations des pays de l’Amérique Centrale qui sont en crise politique, économique et sociale permanente après avoir été réduits à l’état d’arrière-cour des États-Unis pendant plus d’un siècle. L’administration de Biden va nécessairement continuer sur la voie de ses prédécesseurs, Bush, Obama et Trump, en exploitant la misère des migrants afin de maximiser les profits des monopoles états-uniens en les nourrissant avec la force de travail de migrants précaires. La politique d’immigration doit servir l’impérialisme états-unien.
Ce que tout ce processus illustre, c’est l’efficacité de la « démocratie bourgeoise » à donner l’apparence d’un changement là où il n’y en a pas. Avec chaque farce électorale, la dictature bourgeoise donne l’impression qu’il pourrait y avoir un grand changement politique. Comme avec la politique de Biden après Trump, il est clair qu’il y a eu du changement, mais ce changement est limité aux contraintes de ce qui sert l’impérialisme. En effet, la démocratie bourgeoise est un débat pluraliste dans le but unique de développer un impérialisme plus fort. Le débat divise le peuple et le but réunit la bourgeoisie. L’illusion du changement – car très peu de choses changent en réalité – produit une stabilité politique pour la bourgeoisie.
La dictature bourgeoise peut seulement être contrée par son opposé : la dictature du prolétariat et la révolution, le socialisme et l’étouffement de l’impérialisme. Ce n’est que sous le socialisme que l’Amérique latine connaîtra des conditions de vie acceptables qui élimineront la nécessité de fuir vers les États-Unis. Pour le socialisme, le prolétariat et les peuples opprimés du monde doivent s’unir pour écraser l’impérialisme.