Les douze gars présents sont tous là pour la même chose : passer le CACES, le Certificat d’Aptitude à la Conduite en Sécurité, qui permet de conduire les chariots de manutention de type 1, 3 et 5. En période de confinement et de développement du drive, on est plusieurs chômeurs à avoir choisi de dépenser nos points de formation dans cette formation, qui, globalement, donne une chance d’avoir un boulot payé au-dessus du SMIC.
Le matin, on capte déjà que tout le monde n’est pas là par plaisir. Plusieurs anciens ont appris à conduire les clarks « sur le tas », et ne comprennent pas l’intérêt ni de payer 930 € pour une semaine, ni d’être formé pour seulement quelques heures de pratique. L’un d’entre eux passe son CACES pour la quatrième fois, car il faut l’actualiser tous les cinq ans. Il conduisait déjà avant. Bien sûr, la formation permet d’éviter certains accidents. Mais elle n’a pas franchement d’autre utilité que d’éviter les bêtises les plus grossières.
Après deux heures dans la salle, petite pause. Un ouvrier algérien qui n’a pas été assez longtemps à l’école pour apprendre à lire le français me demande de l’aider, pour les questions du premier formulaire. Le formateur le voit… et s’en fout. Il ne le note même pas. Le collègue devra copier pour réussir l’épreuve théorique, alors qu’il connaîtrait les réponses à chaque question si on les lui avait posées à l’oral. C’est un père de famille, un « honnête homme » très fier de son honnêteté et de sa culture, qui ne veut pas ressembler à un « paysan du bled ». C’est une petite humiliation.
C’est à ce moment qu’on nous annonce que, comme on est trop nombreux, la formation sera divisée en deux groupes. Matin et soir. 6 h-13 h et 13 h-20 h. Peu importe que l’on soit dans une zone sans bus avant 7 h et après 19 h. Peu importe que 5 collègues n’aient pas de voiture. Peu importe que l’on soit au chômage, c’est souvent justement à cause de ça. Plusieurs collègues protestent. Encore une fois, ça passe au-dessus du formateur. On sera obligé de s’organiser nous-mêmes pour remonter les gens, avec des détours assez conséquents. Un gars me dit que son père ne peut pas venir le chercher car il doit garder de l’essence pour son travail, il n’a plus rien en fin de mois. Un autre, que sa femme va le déposer à 6 h (les enfants ? Le boulot ? Promotrans s’en fout).
Vient ensuite la formation. 12 personnes pour… deux chariots. Le mardi, on sera six. En gros, si on fait 4 heures de pratique avant les tests, on est content. Donc, une demi-journée pour des choses, qu’avant, on apprenait directement à l’usine. À quoi sert donc cette formation franchement ? D’autant que le formateur nous explique tout sans faire d’effort, à la va-vite. Un autre formateur, d’une autre agence, avec un minimum de conscience professionnelle, n’en revient pas. Les tests sont également une catastrophe ; jeudi midi, je n’ai toujours pas touché un seul chariot ni fait mon test écrit. Un d’entre nous n’en fera même aucun. Il a passé la journée à attendre, pour rien. Les élèves sont laissés seuls dans l’entrepôt, sans aucune surveillance hormis le testeur, qui hallucine également.
À 930 € la semaine (pour 4 h de pratique avant les tests, donc !), Promotrans a intérêt à bourrer. Plus on est de fous, plus il y a de pognon. Un budget de 48 000 € par semaine, s’il y a douze stagiaires à chaque fois. Peu de formateurs, qui s’occupent aussi de gens qui passent des diplômes de préparateurs de commandes (il faut payer pour faire ce boulot-là aussi ?). Deux millions et demi de bénéfices en 2018. Le tout payé par les fonds sociaux des entreprises, ou directement par les cotisations de la sécu. Promotrans, en sous-traitant à prix d’or le travail qui se faisait autrefois dans l’usine, fait des bénéfices monstrueux. Cet argent devait revenir aux masses : sécurité sociale et Conseil d’Entreprise. Il reviendra aux actionnaires de Promotrans. Attendons un peu, et la sécurité sociale ne financera plus ces formations : il faudra le faire nous-mêmes, via des mutuelles obligatoires d’entreprise, peut-être.
Ce n’est pas une « formation », c’est un racket.