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Classe moyenne – Les révoltés est un bon documentaire à voir d’Arte, réalisé par Frédéric Brunnquell, qui nous fait suivre le quotidien de 3 Gilets jaunes. Sorti en juin, il est disponible jusqu’au 3 décembre en replay.
Il ne faut surtout pas s’arrêter au titre. Frédéric Brunnquell a fait le choix du terme de « classe moyenne », et la description d’Arte indique que Vanessa, Pierre et Anne-Lise — nos 3 protagonistes — appartiendraient à la « petite classe moyenne ».
Pendant le mouvement des Gilets jaunes, la propagande bourgeoise, notamment à travers ses médias, n’a pas arrêté de vouloir faire croire qu’en fait les Gilets jaunes, c’est la révolte de la classe moyenne, des ruraux, de la province, du périurbain, de la « France périphérique », créant volontairement une confusion entre toutes ces catégories. C’est une confusion qu’on pourrait relier à l’essai du géographe français controversé Christophe Guilluy La France périphérique : Comment on a sacrifié les classes populaires paru en 2014, dont la thèse pourrait se résumer à : à la campagne vivent les Blancs, en banlieue les immigré.e.s et leurs descendant.e.s. Ce sont des idées largement diffusées par l’extrême droite, par exemple par Éric Zemmour qui pouvait affirmer pendant le mouvement des Gilets jaunes « Deux peuples, deux mondes, deux France ».
Ainsi, la véritable classe travailleuse, la « classe moyenne » blanche de la « France périphérique » pavillonnaire, aurait constitué les contingents des manifestations des Gilets jaunes, tandis qu’en banlieue, on aurait à faire à une population immigrée, au chômage, profitant des aides sociales, qui elle se révolte dans ses quartiers de façon nihiliste et n’aurait eu aucun rapport avec les Gilets jaunes. Évidemment, toutes celles et ceux qui ont lutté dans ces manifestations savent que l’on avait affaire au prolétariat en lutte dans son ensemble, et d’ailleurs principalement de banlieue/quartiers populaires urbains puisque c’est là que vit la majorité de la population, n’en déplaise à ceux qui croient qu’un banlieusard est forcément un jeune.
Vanessa, Pierre et Anne-Lise ne font pas partie d’une « classe moyenne » seulement parce qu’ils sont propriétaires de pavillons, c’est une fausse idée que de penser cela. C’est un aspect négatif du documentaire, de tenter de s’inscrire dans le cadre de ces idées fausses (pourtant complètement balayées par nos protagonistes) et ne pas se focaliser sur des comités de Gilets jaunes de quartiers populaires urbains, plus représentatifs du prolétariat tel qu’il est réparti géographiquement, mais moins politiquement correct.
Le documentaire se déroule dans la petite commune de Sainte-Tulle dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Anne-Lise, Vanessa et Pierre y résident et se sont liés d’amitié à travers le mouvement sur les ronds-points.
Anne-Lise est aide-soignante, son mari est technicien aéronautique. D’emblée, elle résume la situation du prolétariat « Notre classe est en mode survie, tout le temps. ». Elle et son mari sont propriétaires de leur maison car ils se sont endettés sur 25 ans avec un haut niveau d’endettement « C’est ça le but, quand on est pris à la gorge, on se tait, on dit rien, on fait. C’est une manière de soumettre les gens. ».
Vanessa est psychologue. Elle s’était reconvertie à 35 ans en quittant son boulot de commerciale pour reprendre des études et avait déménagé du nord pour s’installer ici. Elle touche 1612 €, comme tous les prolétaires calcule tout, tout le temps, sans trop d’écarts possibles, avec des difficultés pour aller en vacances.
Pierre est artisan métallier et formateur pour adultes en reconversion. Arborant fièrement le drapeau jaune sur le toit de sa maison, Pierre nous dit avec conviction « Faut qu’on trouve un autre modèle, y’a que ça qui nous sauvera ! », « Plus ça va, plus y’a la précarisation et d’autres qui se gavent de plus en plus… sur le dos des autres !! C’est ça qu’il faut qu’on arrive à changer ! ».
Ces 3 sœurs et frères de classe tout au long du documentaire nous partagent leurs réflexions d’ouvriers d’avant-garde et nous montrent leur lutte et comment cela s’articule avec leurs vies : travail, vie de couple, de famille, organisation pour aller en manifestations à Paris, tractage sur les ronds-points, confection de banderoles, drapeaux, solidarité envers des réfugiés mis dehors localement, etc.
Leurs mots sonnent tellement juste et témoignent d’une forte conscience de classe qui a émergé à nouveau en France. Anne-Lise nous dit : « On vit ici, on a des enfants, nos familles… c’est NOUS qui vivons dans ce monde, dans ce pays. Autant se battre pour vivre, mais vivre comme on l’aura décidé ! Se lever le matin, être content d’aller travailler, pas avoir la boule au ventre, ne pas dormir en pensant aux comptes. Aller au ciné, restaurant, avoir du chauffage l’hiver. On va y arriver ! Parce qu’on peut plus continuer comme ça, c’est pas possible. ».
Les mots de Pierre sont puissants et montrent à quel point le mouvement des Gilets jaunes a bouleversé notre société : « Je me suis jamais retrouvé dans cette société individualiste. On nous pousse tous à être les uns contre les autres, pour tout : consommation, carrière professionnelle… Globalement, la société nous pousse à nous diviser. Grâce aux Gilets jaunes, je me suis dit ça y’est, on peut générer une énergie nouvelle tous ensemble, construire quelque chose de nouveau. ».
Vanessa quant à elle, insiste sur l’effroyable dédain de la bourgeoisie envers le peuple au sujet des moyens de santé organisés pour lui et le traitement du personnel : « Je suis quelqu’un d’en colère parce que je trouve que la société ne prend pas soin des gens […]Les métiers qui s’occupent de l’humain, du social, n’ont pas de valeur, sont sous-payés, les femmes qui s’occupent des personnes en EHPAD, des handicapé.e.s, c’est des salaires de MISÈRE ! La classe dirigeante s’essuie les fesses avec nos visages au quotidien, avec un non-complexe avéré ! ». Elle esquissera plus loin dans le documentaire la société socialiste pour laquelle nous luttons à la Cause du Peuple, planifiée par et pour les travailleurs et opposée à l’anarchie de la production capitaliste : « La force d’un pays, c’est sa population. On a tous des savoir-faire et des savoir-être, c’est tous ces grains de sable qui pourront faire le ciment d’une société nouvelle, articulée, pensée. ».
Ce documentaire est à voir pour nous rappeler que lorsque des épisodes de la lutte de classe comme celui des Gilets jaunes surviennent, cela impacte profondément les consciences des prolétaires et crée tout une frange d’ouvriers très avancés politiquement et déterminés pour détruire le capitalisme qu’il nous faudra bien retrouver pour agrandir et renforcer nos rangs révolutionnaires.