Dans une perspective révolutionnaire, nous devons nous saisir de la multitude de mécanismes animant le monde actuel : le système capitaliste à l’époque impérialiste. Le meilleur outil d’analyse de ce dernier est le marxisme, proposant une lecture de classes de la société. Lorsqu’on s’interroge sur ce mode de production, on en vient inévitablement à interroger nos habitudes de consommation, les biens de consommation étant les produits de l’appareil productif capitaliste. Cet article concerne la cigarette. Cette petite chose faite de papier, d’un filtre, de tabac et de pleins d’autres choses ; fumée quotidiennement par 25,5 % des français.e.s en 2020 (Santé Publique France) ne se résume pas qu’à une simple inspiration suivie d’une expiration de fumée. Il s’agit de l’un des exemples, si ce n’est le meilleur, de comment les grands monopoles s’enrichissent immoralement et au détriment des consommateurs et des prolétaires sous le système capitaliste.
Une brève histoire du tabac
Tout d’abord, il semble nécessaire de fournir quelques repères historiques. Il est en effet important de préciser que l’un des principaux composant de la cigarette, le tabac, est directement issu du colonialisme et de l’esclavagisme européen d’après 1492 (expédition en Amérique de Christophe Colomb). En effet, les autochtones usaient du tabac comme pratique médicinale notamment ou en guise de cérémonie d’hommage aux divinités. Après la découverte d’un tel produit en terre nouvelle, c’est l’exportation de ce dernier qui a lieu. Dans un premier temps le tabac est envoyé au Portugal, pour s’étendre progressivement au reste de l’Europe et même à l’Asie. La demande en tabac ne cesse d’augmenter d’année en année. La volonté est alors la suivante : faire baisser les coûts de production en usant d’une main d’œuvre peu chère. C’est alors que la traite négrière ou le commerce triangulaire (de l’Europe à l’Afrique pour finir en Amérique) permet à la classe dominante de s’enrichir plus fortement sur un marché nouveau, celui du tabac. La cigarette que nous connaissons aujourd’hui est une manifestation de cette période coloniale, où le mercantilisme s’étend.
Sautons quelques siècles pour arriver directement au 21ème siècle. Entre temps la Révolution Industrielle marque l’essor de la machine dans l’industrie. La grande phase de mécanisation n’échappe pas à l’industrie du tabac et à sa star montante, la cigarette. En effet, vers la fin du 19ème siècle, les cigarettes étaient faites par des travailleurs et travailleuses, roulées à la main. Une main d’œuvre qui faisait 200 cigarettes de l’heure. Mais encore une fois, il faut faire diminuer les coûts de production pour gagner des parts de marché. C’est ainsi que la mécanisation de la production des cigarettes prend place. La première machine début 1900 tourne à 200 cigarettes la minute, puis en 1924 c’est 1000 pour le même temps, pour enfin atteindre 20 000 en 2008. Grâce à la mécanisation de la production permettant un faible coût de production et donc un coût d’achat moins fort, la machine capitaliste est en parfaite position pour empoissonner le plus de consommateurs possibles. Aujourd’hui, le marché du tabac est dominé par ce qu’on appelle « Big Tobacco » : 5 entreprises qui contrôlent 80% du marché mondial. Il faut cesser de penser aux marques comme « Fleur du Pays » en France, ou au tabac cubain, comme représentatifs de l’industrie. Le tabac, c’est bien plus souvent des fermes usines ultra mécanisées et des sièges sociaux en Suisse, à New-York, Pékin ou à la Défense à Paris.
Un monopole et un lobby meurtriers
Il semble qu’aujourd’hui, grâce à des enquêtes et aux effets objectivement négatifs que nous avons pu constater, les gens sont d’accord sur le fait suivant : la cigarette c’est dangereux pour la santé. Mais comment l’est-elle ? C’est très simple. Déjà, le tabac est nocif en soi. L’inhalation provoque des cancers en tout genre, de même que le fait de ne pas l’inhaler la fumée. Mais il y a dans le tabac une substance psychoactive, c’est-à-dire qui engendre des sensations particulières dans notre cerveau telles que le plaisir, la détente… pour faire rapide, elle libère de la dopamine, la « molécule du bonheur ». A cela les industriels ont rajouté quelques composants aux noms compliqués, l’acétaldéhyde et du pyridine, afin d’augmenter l’effet de la nicotine. Il faut alors seulement 7 secondes après inhalation pour que la nicotine fasse effet. La volonté des industriels en ajoutant ces deux composants était de faire accroître le sentiment de manque, l’envie de fumer. En bref, ils ont créé une drogue légale à laquelle les consommateurs deviennent trop rapidement dépendant.
La nicotine est la drogue la plus consommée en France. Tout cela se fait en toute impunité et en connaissance de cause de la part des industriels, malgré quelques vaines tentatives de masquer les effets néfastes en biaisant des études scientifiques par le lobbying. La nicotine est également à l’origine du mythe de la cigarette anti-stress. En effet, fumer ça fait du bien. Cette agréable sensation n’est qu’une conséquence directe de la nicotine, conséquence par ailleurs accentuée par les modifications apportées par les industriels comme dit plus haut. De plus, le stress est souvent une conséquence de l’addiction à la cigarette. Fumer répondrait au stress justement créé par une autre cigarette. Nous voyons se dessiner un cercle vicieux, le serpent se mordant la queue.
Enfin, même si la nicotine n’est pas responsable des cancers, elle fait augmenter la pression artérielle et le rythme cardiaque. A cela s’ajoute une liste non exhaustive des composants rajoutés par les industriels : Polonium 210 (élément radioactif), Goudron, Cadmium (utilisé dans les batteries), Méthanol (Carburant pour fusée), Arsenic (poison violent), Ammoniac… Il semble évident que les grands monopoles du tabac ont fait se diffuser dans le monde une épidémie industrielle. Une épidémie qui cause de nombreuses morts, encore une fois imputables au système capitaliste. C’est, par année, environ 7 millions de personnes qui meurent du tabagisme.
La paysannerie et le prolétariat international sont en première ligne
Après avoir posé ceci, il apparaît que l’industrie du tabac est une industrie meurtrière et cela à l’échelle du monde. Mais tout en empoissonnant les consommateurs, elle tue également à petit feu les travailleurs et travailleuses. En effet, les planteuses et planteurs de tabac sont exposés à des potentielles maladies comme la « maladie du tabac vert ». Cette dernière, conséquence d’un contact trop important avec des feuilles de tabac, provoque des nausées, vomissements, vertiges et dans certains cas des effets sur la tension artérielle ou sur la fréquence cardiaque. Pourquoi autant d’effets nocifs ? Tout simplement car travailler dans une ferme à tabac, c’est faire face à une quantité de nicotine équivalente à une consommation de 36 cigarettes par jour.
Pensez-vous que l’immoralité des grands monopoles du tabac s’arrête ici ? Pas le moins du monde. De fait, il s’agit d’une industrie qui fait travailler des enfants pour son profit ! Il semble pourtant que cette pratique est aujourd’hui loin derrière nous. C’est loin d’être vrai, et l’impérialisme, profitant de la misère dans les pays exploités et dominés depuis plusieurs siècles maintenant, nous prouve que le travail des enfants est encore d’actualité. Par exemple aux États-Unis pour 8,5 euros de l’heure, comme au McDo (entre grands monopoles on se ressemblent) des adolescents et parfois même des enfants de 6 à 13 ans travaillent dans des fermes à tabac, notamment en Caroline du Nord (1 800 fermes, 30 000 prolétaires, 182 000 tonnes de tabac par an). La plupart se retrouvent ici car ils suivent leur parent. Faut-il alors les blâmer ? Absolument pas, ce serait se tromper de cible. Il s’agit dans la majorité des cas de latinos et d’immigrés, de travailleurs et travailleuses parfois sans papier. La précarité, la misère, est quotidienne. C’est grâce à cette même précarité que les patrons peuvent profiter de leur position en faisant accepter l’ inacceptable à des gens qui n’ont presque rien, si ce n’est rien. C’est sur le dos et au détriment de la santé de travailleurs et travailleuses qu’ils s’enrichissent en les laissant mourir. Là est la réalité de l’impérialisme.
Nous pouvons également trouver cette pratique dans d’autres pays, comme en Indonésie, au Kazakhstan… Dans le cas de l’Indonésie, 1/4 de la production de tabac est exportée pour être vendue par les grands monopoles. Face à cette exploitation planétaire des travailleurs et travailleuses vendant leurs forces de travail à des grands monopoles avides de profit, la phrase de Karl Marx et de Friedrich Engels « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » prend tout son sens.
Les fumeurs et les fumeuses ne sont pas le principal problème : c’est l’impérialisme qui est déterminant
Certaines personnes auraient la facilité de pointer du doigt l’unique responsabilité individuelle. Horace Greeley, fondateur du New York Tribune, disait « une cigarette, c’est d’un côté du feu et un imbécile de l’autre ». Cette lecture est bien évidemment fausse. Il est nécessaire d’analyser la simple consommation de cigarette à travers le prisme marxiste afin de penser plus loin que le seul individu. Prenons l’exemple d’une industrie majeure à notre époque : la publicité. Le marketing, qui englobe la pub, est l’art de faire acheter, de faire consommer, de faire plier le consommateur. Avant, les publicités flattaient l’égo masculin en mettant en avant la puissance masculine, le culte de l’homme viril. Parfois, c’était la féminité qui était mise en avant. La femme séductrice, la cigarette à la main. Ici, l’émancipation passe par la consommation. Les publicitaires savaient parfaitement jouer sur l’émancipation individuelle. En ce sens, les jeunes étaient également des cibles appétissantes. D’ailleurs, tous les jeunes sont des fumeurs et fumeuses qu’on peut séparer en trois catégories : les pré-fumeurs, les apprenants et les fumeurs. Fumer, c’est être libre (mais à quel prix ?), c’est être indépendant (en réalité dépendant de la grande industrie du tabac), c’est être un homme fort, une femme forte etc.
On pourrait nous répondre qu’aujourd’hui la pub de cigarette est interdite, donc le problème est réglé. Si seulement ! La consommation de cigarette est ancrée dans nos habitudes. Par mimétisme, nous voulons fumer. Autrement dit, les fumeurs et fumeuses sont en quelques sortes des panneaux publicitaires, des hommes et femmes sandwichs.
Enfin, dans l’imaginaire collectif, nous avons l’image du travailleur ou de la travailleuse qui pendant sa pause fume une cigarette. Mais qu’en est-il réellement de la relation entre prolétaire et cigarette ? Fantasme ou réalité ? Pour en savoir plus, nous avons interrogés une employée de commerce :
Question : Qu’est-ce que représente la pause cigarette pour toi ?
Réponse : Ma pause cigarette permet de souffler pendant le travail, comme casser le rythme et évacuer le stress. Je ne dirai pas qu’elle me permet de recharger ses batteries, mais c’est limite ça. Il y a des situations où la cigarette est nécessaire, j’en ressens le besoin pour me calmer. Par exemple suite à une altercation avec un client, un collègue ou un responsable, la pression monte et la cigarette est comme une valve de décompression. Il y a aussi des moments où je suis surchargée de travail, je ne sais plus où donner de la tête. Du coup, la cigarette me permet de prendre l’air dehors. Mais je ne l’apprécie pas forcément, je la fume en deux secondes, le travail est toujours derrière moi. D’ailleurs la pause est égale à une cigarette. Moi, je suis une grosse fumeuse, je préfère ne pas manger mais fumer, plutôt que de manger mais ne pas fumer au travail.
Question : Et la volonté d’arrêter de fumer, qui est presque commune à tous et toutes, est-elle aidée par le travail ?
Réponse : Non. Quasiment tout le monde fume la où je travaille, sauf une exception. Il y a comme une incitation à fumer, on s’appelle et on y va. Puis on fume pas tout seul, toujours avec un ou une collègue. C’est un petit moment convivial où on peut souffler et échanger sur les galères.
La cigarette au travail est pensée comme un anti-stress, démontrant alors la puissance du mythe exposé plus haut. Mais il s’agit bel et bien d’un outil d’oppression du système capitaliste qui lui permet de faire diminuer la colère des travailleurs et travailleuses constamment exploités. Une oppression tout d’abord économique, car le prix de la cigarette ne cessant d’augmenter, elle représente un poids considérable pour le pouvoir d’achat. Un poids dont il n’est pas facile de se séparer une fois la relation de dépendance installée. Les grands lobbys du tabac, en connivence avec les institutions de l’État et les organisations internationales, maintiennent leur emprise sur nous. Et lorsque certains pays mettent en place des politiques « anti-tabac », les grands noms comme « Philip Morris International » développent de nouveaux marchés dans les pays opprimés. En Asie du Sud, la consommation de tabac a énormément augmenté ces 30 dernières années, touchant même les enfants. Nous avons vu l’effet qu’a la production de tabac sur les paysans et prolétaires qui travaillent pour cette industrie. Et pour ceux qui consomment, la cigarette permet de maintenir le prolétariat dans une position d’oppression. Plutôt que d’exprimer la colère de l’exploitation, on s’allume une clope pour tenir le coup. Cela paraît bête dit comme ça, mais il s’agit de la réalité de cet « opium du peuple ». Le responsable est l’impérialisme, d’où qu’on prenne ce problème.
Alors que faire ? Que faire face à ces grands monopoles qui exploitent et tuent ? Face à cela s’impose la nécessaire prise de contrôle par les travailleurs et travailleuses des moyens de production. Ainsi, le profit ne sera plus l’objectif de la production, le profit motivant les capitalistes à modifier les composants des cigarettes pour la rendre plus addictive. Et pour accomplir cela, la révolution socialiste menée par le prolétariat lui-même est la seule solution.