Trois ans des Gilets Jaunes, ce n’est qu’un début !

Le 17 novembre 2021 a eu lieu l’anniversaire du mouvement des Gilets Jaunes, qui sera fêté ce samedi 20 dans la rue. Que pouvons-nous retenir comme enseignements des gilets jaunes ? Tout d’abord revenons sur l’apparition de ce mouvement inédit. En effet qui aurait pu imaginer que ce mouvement lancé sur internet prendrait une telle ampleur ?

Nous sommes alors en octobre 2018 et comme cela est le cas depuis de nombreuses années sous les gouvernements à la solde des capitalistes, le prix de l’essence augmente fortement. Jusque-là, rien d’anormal. Quelques appels sur internet et Facebook surgissent, exprimant un ras le bol de ces hausses incessantes du prix des choses quotidiennes telles que l’essence, la nourriture, le gaz. En un mot, la vie chère. Ces vidéos étant monnaie courante sur internet, personne ne s’en est plus préoccupé que nécessaire. Ce qui est étonnant et plutôt rare, c’est la vitesse de diffusion de ces vidéos, relayées sur des centaines de pages Facebook différentes. Très rapidement ces vidéos appellent tous les français à déposer leur gilet jaune sur leur tableau de bord pour protester contre les hausses du prix de l’essence. Cet appel n’est pas pris au sérieux par la gauche qui, coupée des masses, ne comprends pas ce qui deviendra un des mouvements de Masse le plus important depuis mai 68.

Défiant toute attente, cet appel va être pris au sérieux. C’est comme ça que du jour au lendemain, des dizaines de milliers de français de toutes les classes sociales vont déposer leur gilet jaune sur le devant de leur tableau de bord. Le prix de l’essence cristallise alors la rancœur des masses, payant la crise au prix fort. Très rapidement, de nouveaux appels à bloquer des ronds-points et à les occuper quotidiennement circulent. Ces appels sont étonnants, loins des cadres de mobilisations traditionnels en France. Cela va séduire encore une fois des dizaines de milliers de français, dont une grande partie en zone rurale. Le mouvement va ainsi prendre de plus en plus d’ampleur. En très peu de temps, des milliers de ronds-points sont investis quotidiennement et fonctionnent comme une agora, une place de grève. Des cabanes sont créées, des lieux de vie également, les Gilets Jaunes se réapproprient l’espace public. C’est une lutte des périphéries loin des centres villes où turbine l’hyper capitalisme.


Tout s’enchaîne très vite et un premier appel à manifester et à envahir les rues pour se faire entendre et exiger une baisse du prix de l’essence va apparaître. Nous sommes le 17 novembre 2018, et une marée jaune va envahir Paris et la France, mettant les sceptiques de la gauche traditionnelle comme les pseudo-révolutionnaires devant leurs responsabilités et leur manque de perception. Cette marée jaune, présente tant dans les grands pôles urbains que dans les plus petites villes, voire dans les villages, défie les statistiques et les oiseaux de mauvaises augures.


Les revendications populaires dépassent dès le début la question du prix de l’essence, elles sont dès le début politiques, et comme une longue répétition de l’Histoire depuis 1789, l’exigence première est le pouvoir au peuple ! La volonté d’être entendu par les élus, d’avoir une démocratie directe, en somme d’avoir le pouvoir, s’exprime pleinement. Loin de s’arrêter, déjouant encore une fois tous les pronostic, la manifestation du samedi d’après le 17 rassemble encore plus de monde, plus de ronds-points sont occupés, plus de péages ouverts gratuitement, plus d’actions, plus de mobilisations et de détermination.

Les masses, sûres de leur bon droit, constituées en majorité de travailleurs, ne voyaient pas encore la police comme soutien actif du vieil ordre de domination bourgeois. Elles manifestaient même en chantant « la police avec nous ». Tout le monde s’attendait donc à ce que l’acte 2 se déroule de la même manière que le premier, c’est à dire dans la « bonne humeur ».

Et pourtant, cette journée aura des allures insurrectionnelles dans la plus pure tradition révolutionnaire française, avec comme symbole inaltérable, bien que dépassé militairement, la barricade. Mais aussi la Marseillaise et le Tricolore, marquant pour de bon le caractère populaire du mouvement. Bien que le drapeau rouge ait été fièrement brandi, les faits sont là. Ils confirment, une fois n’est pas coutume, que la classe a un contenu idéologique, politique, outre le rapport de production. La classe va se reconstituer en classe pour soi autour du drapeau rouge, mais pour l’instant, faute de mieux, elle utilise le potentiel révolutionnaire historique des symboles nationaux. Que pouvait espérer un pouvoir qui a comme symbole un hymne guerrier et révolutionnaire, une fête nationale qui est une insurrection, si ce n’est un juste retour de bâton ?

Les médias se sont empressés d’accuser les fameux infiltrés d’extrême gauche ou black bloc, venus pour saccager le mouvement. Pourtant, ils étaient très peu présents lors de cette seconde manifestation. Le Gauchisme a cette tendance de se mettre à la remorque du mouvement de masse. Que s’est-il donc passé ce jour de basculement ? Dans un État ultra centralisé comme la France, sa force est son talon d’Achille. Paris, entendu au sens des lieux de pouvoir, doit être protégé à tout prix, c’est à dire en vidant la province de la troupe.

Bien qu’alerté depuis des années d’un risque d’explosion, l’Elysée n’avait pas pris au sérieux les Français qui sont, soi disant, des veaux. Ils ont réagi à la va vite en vidant littéralement la province des bonnes troupes, en ne laissant que l’arrière garde. Dans de nombreuses villes, la police, sans ordre, en sous effectif, aura eu des sueurs froides. Et ce n’est que parce qu’il n’y avait ni organisations sérieuses, ni plan, que les lieux de pouvoir (comme les mairies par exemple) n’ont pas été investis ce jour-là.

La colère pacifique des masses s’est transformé en rage quand, sûr de la justesse de leurs revendications, le pouvoir a répondu par les gaz et les flashball. Le temps des chants pro-police est désormais révolu lorsque Macron décide de casser ce mouvement par la force le 1er décembre 2018, pensant ainsi briser la détermination des Gilets Jaunes. Mais comme l’ont dit les Gilets Jaunes, ces derniers plient mais ne rond-point. Macron a fait un pari, il l’a perdu en ce 1 décembre. La répression va déchaîner la colère des manifestants qui vont prendre d’assaut les Champs-Elysées, et dans toutes les villes de France, montrer un niveau de combativité extrêmement élevé. Les symboles de l’ordre bourgeois, des médias bourgeois, sont ciblés, la préfecture tombe aux mains des manifestants au Puy-En-Velay, la police recule sur les Champs-Elysées, la nuit tombe mais les manifestants ne rentrent pas chez eux. « Paris est à nous, la rue est à nous » scandent les gilets jaunes. Le lendemain matin c’est un lendemain de stupeur, la France entière a pris une claque, les politiques retiennent leur souffle, les médias passent en boucle les même images des héroïque Gilets Jaunes affrontant les forces de police et la réaction la tête haute, le regard digne aux côtés de leurs camarades de lutte. Le temps semble s’être arrêté. C’est de ces moments, si intenses, qui paraissent des années. En quelques jours explosent des décennies d’accumulation.


Dès la semaine qui suit, Macron déploie des blindés militaires contre sa propre population, ayant bien compris que son pouvoir ne tenait que par la force des baïonnette. Dans les semaines qui suivent, la machine des Gilets Jaunes est lancée, le nombre d’actions se multiplie sans cesse, les Champs-Elysées sont de nouveau pris d’assaut, l’arc de triomphe, symbole des vieilles et pourries gloire impériales, est saccagé. « Les Gilets Jaunes triompheront » devient un nouveau cri de victoire, mais cette fois ci du peuple, à son actif. L’espoir est là, la combativité aussi, des appels à la Révolution sont scandés de partout. Est-ce le moment ? Le moment où le peuple souverain va reverser l’ordre Bourgeois et ainsi récupérer le contrôle de sa vie ?

Comme nous le savons, ceci n’est pas arrivé car cela ne peut arriver sous une forme spontanée, sans direction, sans organisations. Pour autant cela ne fait pas de ce mouvement une défaite, bien au contraire. Un mouvement a un début et une fin cela ne peut être autrement.

Nous allons maintenant tenter d’analyser les principales failles de ce mouvement héroïque et historique car ouvrant une nouvelle étape de la lutte des classes.

Tout d’abord, ce mouvement a cruellement manqué d’un programme, en général, et d’un état-major centralisé et uni en particulier. En effet, quoi qu’en disent les idéalistes de tous bords, les masses réclament d’être dirigées et organisées. Si il n’y a pas de chefs à même de montrer la route pour le pouvoir, elles les secrètent. Malgré les dires de certains idéalistes anarchisants, les Gilets Jaunes n’ont pas dérogé à cette règle. Que sont les Rodriguez, FlyRider, Drouet, Ludosky si ce n’est des leaders surgis des masses, et synthétisant dans le moment les aspirations du plus grand nombre (n’oublions pas qu’au début du mouvement, 70% des français le soutenaient) ? Cette direction informelle, ni centralisée, ni unie, a connu plusieurs grosses fractures qui ont divisé le mouvement, notamment sur la question de la violence. Il est plutôt ironique de remarquer que ceux et celles ayant refusé la violence politique, seul instrument à même de changer le cours de l’histoire, ont rapidement cessé le mouvement pour se présenter sur des listes électorales et ainsi tenter de développer leur carrière politique personnelle. Dans le même temps, des pères et de mères de famille se faisaient éborgner ou arrêter par les forces de répression. La question de la violence est et restera la question marquant la ligne entre les opportunistes et ceux qui sont sincèrement du côté des masses et de la classe ouvrière.


Le programme est aussi important car c’est avec lui qu’on peut unir les larges masses. De fait, la nature ayant horreur du vide, un programme s’est élaboré au fil des milliers de discussions, de rencontres, de débats. Après maturation, le RIC (referendum d’initiative citoyenne) est apparu comme le point central du programme des Gilets Jaunes. Nous devons avoir à l’esprit que des larges masses ont goûté à un début de pouvoir prolétaire, où tout se discute en assemblée. il manquait bien-sûr la centralité politique pour qu’il s’agisse réellement d’un pouvoir prolétaire. Mais tous et toutes ont vécu ces moments comme des moments de grande dignité, où enfin leur parole existait.

Ainsi nous pouvons conclure rapidement ce premier point sur le manque d’un programme, d’une direction qui n’étant ni unie, ni centralisée, qui n’a ainsi pas pu avoir une vue d’ensemble sur le mouvement et donc proposer des initiatives nationale cohérentes. Cela a été une des causes de l’essoufflement du mouvement, car sans but précis, ni planification pour atteindre ce but, on finit forcément par tourner en rond puis tout simplement s’arrêter. Tout mouvement, qui par nature a une fin, doit avoir des buts précis et atteignables.


Le deuxième point a été l’absence notoire de la présence des partis de la gauche traditionnelle et des syndicats, qui se sont montrés plus que timides, quand ils n’étaient pas critiques ou moralisateurs. Ils ont fini par « rejoindre » le mouvement, mais seulement avec un pied dedans et un pied dehors, une fois que les risques politiques de cette engagement étaient moindres. Nous pouvons comprendre que la gauche historique ait été désarçonnée par le mouvement. Il est vrai que, comme toute chose, les gilets jaunes portaient en eux deux aspects, l’un progressiste, l’autre réactionnaire. Notamment avec de l’anti-syndicalisme, de l’anti-politique que nous avons bien souvent retrouvé. Son caractère inter-classiste, où dominait, sur le long terme, la petite bourgeoisie en déclassement, portait un appel d’air à d’autres choses beaucoup moi enviables.

Nous ne pouvons que déplorer le rôle des organisations de routiers, par pur corporatisme, qui ont accepté de ne pas participer au mouvement des Gilet Jaunes si leurs revendications étaient acceptées, ce que le gouvernement s’est empressé de faire. Il est également important de rappeler que la fédération des chasseurs, en échange de garanties politiques, a accepté d’énoncer publiquement un appel enjoignant les chasseurs à ne pas se joindre au mouvement des Gilet jaunes.


Face à ça, nulle stratégie n’a été adoptée, ni aucune réponse faite, ce qu’une direction aurait pu proposer. Nous pouvons donc conclure qu’il nous faudra, à l’avenir, établir une stratégie dès le départ englobant plusieurs plans de secours, car le refus des routiers de participer a porté un coup fort au mouvement, qui a perdu un allié très précieux. Tout comme la fédération des chasseurs, mais de manière très secondaire, présents en zone rural et comptant plus d’un million de membres, mais qui est de manière notoire réactionnaire.

Le second point important à développer est la répression. Comment parler des Gilets Jaunes sans parler de la répression ? dénoncée à de nombreuses reprises par Amnesty International, cette répression a causé un mort, des milliers de blessés dont 82 graves, 152 blessés à la tête, 17 éborgnéset quatre mains arrachées, en plus de toutes les violences psychologiques d’une police en roue libre appliquant sa même méthode de violence délibérée (mais réfléchie) qu’elle applique depuis des dizaines d’années dans les quartiers prolétariens. Plus de 3000 manifestants et manifestantes ont fini derrière les barreaux pour s’être battus pour une vie digne. Dans ces moments historiques, chacun montre son vrai visage, la droite et l’extrême droite ont appelé de tout leur voeux à la répression dès le début du mouvement. L’État a montré son vrai visage, loin des jérémiades de Macron osant dans un cynisme le plus profond se déclarer lui aussi Gilet Jaunes, ou lancer un grand débat, ou plutôt une vaste mascarade que le peuple a boycotté et dénoncé comme tel.


Cette répression n’est que la conséquence logique d’une classe s’accrochant au pouvoir de toutes ses forces et qui, voyant la roue de l’Histoire avancer, tente de la détourner de son chemin par la force. En réalité, cela ne fait que la ralentir pour mieux la relancer par la suite.

Les Gilets Jaunes ont montré deux choses très importantes : premièrement, nous ne pouvons pas rivaliser sur le long terme avec l’appareil répressif étatique dans des manifestations de ce type. Deuxièmement, les manifestations, bien qu’extrêmement violentes font parties du « jeu démocratique ». Passés les premiers moments, la ré-organisation du dispositif policier a fait que les possibilités offensives, c’est à dire d’attaquer le cœur du pouvoir, étaient réduites à néant. Nous étions contenus dans notre rôle de manifestants, et nous l’avons subi. Les policiers étaient cantonnés au leur, qui est la répression. L’État a très bien géré tout cela, montrant ses capacités d’adaptation très rapides, et validant le fait que le prolétariat doit avoir une état-major à opposer à celui de la bourgeoisie.

Comprenons que ce mouvement était le chant du cygne des Black Block. La question maintenant va être d’apprendre à passer entre les lignes ennemies, pour frapper là où il ne ne nous attends pas. Cette répression constante a eu deux côtés, elle a forgé une partie des masses dans la violence révolutionnaire, ce qui est très important pour l’avenir et a servi à faire peur à une autre partie des masses. Tout cela lié avec la lassitude et l’essoufflement de manifestations devenues des nasses mobiles géante et le manque de perspective a fait décroître le mouvement des Gilets Jaunes.

Nous pouvons évoquer un troisième point et non des moindres, le rôle massif et soutenu des femmes dans la mobilisation. Des milliers de femmes se sont mobilisées pour faire entendre leur voix. Elles ont été là où on ne les attendait pas, dans la lutte des classes et non pas à manifester contre le patriarcat. Ces femmes prolétaires sont les premières touchées par la crise. Six smicards sur dix sont des femmes, la grande majorité des foyers pauvres sont des femmes seules avec leurs enfants. Loin des poncifs des féministes bourgeoises, les femmes gilets jaunes n’étaient pas des victimes. Sur les rond-points, en première ligne face aux flics, elles ont montré qu’une femme qui lutte est une guerrière.

Nous nous retrouvons donc trois ans après avec une poignée qui tente de réactiver un mouvement essoufflé, mais est-ce une fatalité ? Non, nous pouvons dire que ce mouvement a été une grande école pour comprendre les lois de la Révolution en France. Le peuple français a relevé la tête de façon organisée, consciente et beaucoup ont accepté l’idée que seule la violence pouvait faire changer les choses. De plus, des liens ont été créés, de l’expérience accumulée, des initiatives crées, et aujourd’hui encore, chaque samedi, des milliers de Gilets Jaunes continuent de se mobiliser.

Ce mouvement est donc une inestimable victoire pour les masses françaises, car nous pouvons maintenant apprendre de nos erreurs, développer nos stratégies pour ne plus les reproduire. Ainsi, lors du prochain grand mouvement social qui ne saurait tarder, avec la crise économique approchant, lutter avec les masses de façon encore plus efficace que lors des Gilets Jaunes. De plus, le Gilet Jaune est maintenant devenu un symbole d’espoir, de dignité, pour le monde entier qui a vu ce que le peuple uni et organisé pouvait réaliser.

Nous pouvons donc conclure en affirmant que, trois ans ans après, même si le mouvement des Gilets Jaunes en lui même est terminé, toutes les graines qu’il a plantés vont germer, car rien, strictement rien, n’a été réglé. C’est même pire.

Ce mouvement, avec celui des révoltes des banlieues de 2005, ouvre une nouvelle époque dans notre pays, celle de l’actualité de la Révolution prolétarienne.