Quand les profits du système impérialiste financent les candidats «anti-système»

Alors que l’abstention aux élections en France continue à augmenter, les diverses fractions de la bourgeoisie française cherchent le candidat le plus à même d’emporter les présidentielles de 2022 et de défendre leurs intérêts lors du prochain quinquennat. Depuis la victoire d’Emmanuel Macron et La République en marche à la présidentielle de 2017, les partis bourgeois «mainstream» comme Les Républicains et le Parti socialiste ne sont plus capables de présenter un candidat présidentiel prometteur. Pendant que les prolétaires les plus conscients ont déjà abandonné les urnes, tout ce qui reste ce sont les voix de la bourgeoisie, de la petite bourgeoisie et d’une partie confuse et en déclin du prolétariat à gagner. L’abstention est en croissance à la suite de l’élection présidentielle de 2007, quand il a atteint plus de 16 % pour les deux tours. En 2012, ce pourcentage a monté à 20,52 % au premier tour et 19,65 % au deuxième. En 2017, le taux d’abstention a atteint 22,23 % au premier tour et 25,44 % au deuxième. Les plus hauts taux d’abstention aux élections législatives ont eu lieu aux dernières présidentielles en 2017 avec 51,3 % au premier tour et 57,36 % au deuxième. Plus récemment, le taux d’abstention record a été atteint lors des élections régionales en juin 2021 avec 66,72 % d’abstention au premier tour et 65,31 % au deuxième. Puisque les masses croient de moins en moins à la farce électorale, la bourgeoise française doit se montrer créative si elle veut convaincre une démographique de plus en plus petite et réactionnaire, tout en espérant persuader les masses à revenir aux urnes. Cet objectif est particulièrement important pour la présidentielle de 2022 puisque l’impérialisme français a de grandes ambitions à réaliser avant la fin de cette décennie afin de ne pas se laisser définitivement distancer par de plus gros concurrents. La stratégie électorale bourgeoise par défaut est donc de miser sur le candidat «hors du système», un candidat qui prétend représenter une rupture avec le fonctionnement normal de l’État bourgeois. Il est difficile de trouver un candidat aux présidentielles de 2022 qui ne se présente pas comme le futur dirigeant «rebelle» dont la République a besoin. C’est Éric Zemmour qui incarne le mieux et le plus ironiquement cette posture, inspirée par celle de Macron en 2017.

Macron 2017 : la bourgeoisie fait un pari osé

L’image publique de la campagne présidentielle de 2017 de Macron reposait sur le mensonge selon lequel LREM et son dirigeant seraient l’expression d’un soutien populaire prenant la forme de petits dons faits à la campagne présidentielle par des gens «normaux». En tant que nouveau Parti, LREM n’a reçu aucun financement de l’État sur la base de résultats électoraux précédents. Macron a donc été préparé par son équipe de relations publiques pour apparaître comme un candidat qui démontre une rupture avec le dernier gouvernement PS détesté et les autres partis établis. Il a d’abord quitté le PS pour créer un parti autour de sa propre personne représentant la figure du leader brillant, «libre-penseur», qui dépasse le clivage gauche-droite… À la suite des «Macron Leaks», de la publication des données de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) et surtout après cinq ans de politiques anti-populaires, l’illusion Macron s’est érodée. Il est vrai qu’aucun candidat n’a rassemblé autant de financement auprès des particuliers en ne partant de rien, mais la Cellule investigation de Radio France a découvert en 2019 que la source de ces fonds était largement composée de dons de plusieurs milliers d’euros provenant des plus riches. LREM avait simplement menti dans sa propagande, sachant qu’il prend normalement deux ans pour la CNCCFP à publier les données sur le financement des campagnes présidentielles. Entre la création d’En Marche en mars 2016 et décembre 2017, la campagne présidentielle de Macron a récolté 15 994 076 euros sous forme d’environ 99 361 dons. Pourtant, 48 % de cette somme provenaient de dons de 4500 euros et plus. Christian Dargnat, l’ancien patron de la branche de gestion d’actifs de la BNP, a aidé la campagne en attirant des contributions d’amis banquiers. Il deviendra un mobilisateur indispensable de gros donateurs.

Cependant, les règles de campagne visent à limiter l’influence des grandes fortunes en plafonnant les dons particuliers aux Partis à 7500 euros par an et par personne, et les dons particuliers à une ou plusieurs associations de campagne d’un candidat dans une même élection à 4 600 euros. Le financement de la campagne Macron de 2017 a bien démontré l’inefficacité de ces lois. Les gros donateurs ont pu donner 7500 euros à En Marche en 2016 et de nouveau en 2017. En plus, ils pouvaient faire un troisième chèque de 4 600 euros à l’association. Les donateurs les plus enthousiastes ont pu doubler leur soutien financier en contribuant au nom de leur conjoint. e, avec l’argent provenant du même compte bancaire. Au total, la victorieuse campagne présidentielle de Macron a reçu 1 212 dons dépassant les 4500 euros. En prenant en compte ceux qui ont fait plusieurs dons et ceux qui ont doublé leurs contributions en contribuant sous le nom de leurs conjoint. e. s, les estimations indiquent que la campagne a été portée par environ 800 grands donateurs qui ont pu donner jusqu’à 39 200 euros chacun et chacune en soutien à la campagne. En plus, quasiment la moitié de la somme des dons provient de Paris et surtout des arrondissements bourgeois de l’ouest de la capitale.

Alors que la campagne présidentielle de LREM se présentait comme une expression populaire qui ne partait de rien pour aller à l’encontre des choix politiques habituels, en réalité, ce n’était qu’une tentative audacieuse et fructueuse de la bourgeoisie française pour mettre en place un gouvernement pour perpétuer la lignée des gouvernements dont les politiques impérialistes sont au service de leurs profits. Les politiques antisociales du Parti socialiste sous François Hollande l’on rendu impossible à élire, et François Fillon n’avait aucune chance de l’emporter avec des affaires de corruption sur le dos. La bourgeoisie avait rapidement besoin d’un candidat «anti-système» pour rassurer l’électorat et stabiliser leur dictature à travers la farce électorale. Elle l’a trouvée à travers le candidat Macron.

Zemmour 2022 : la candidature dont a besoin l’impérialisme français?

Cinq ans plus tard, la bourgeoisie française se trouve dans un dilemme semblable qu’en 2017. Macron, universellement détesté par les masses, ne peut plus se promouvoir comme un alternatif au «système». Sa politique a démontré qu’il est un fantassin sans scrupules du capital monopoliste et de l’impérialisme français. Déjà en 2017, le taux d’abstention exprimait un important manque de consentement sur son rôle à la tête de l’État français et pour la dictature bourgeoise en général. Une augmentation supplémentaire du taux de l’abstention à la présidentielle de 2022 porterait un coup sérieux à l’illusion que la dictature bourgeoise en France soit démocratique. Cependant, la classe dirigeante pourrait avoir dans son arsenal une arme à double tranchant qui se révélerait très utile pour cette situation : la candidature Zemmour.

Premièrement, il y a une section importante de la bourgeoisie qui voit Zemmour comme le prochain candidat «rebelle» capable de remporter la victoire à la prochaine présidentielle en faisant appel aux sections les plus réactionnaires de la société de classe française. Ce fait est exemplifié par l’association Les Amis d’Éric Zemmour, qui finance la précampagne du candidat potentiel. En septembre 2021, la Cellule investigation de Radio France a dévoilé les grandes figures du capital financier qui se cachent derrière cette association. Le siège officiel de l’association partage une adresse avec la société Checkmyguest. Cette start-up conseille les entreprises sur comment reconvertir des locaux commerciaux en logements et elle loue près de 800 appartements de luxe à Paris pour des durées courtes ou moyennes. C’est le directeur général de Checkmyguest, Julien Madar, qui a mis l’adresse du siège à la disposition de l’association. Madar est un ancien banquier d’affaire chez Rothschild. Selon Madar, «Jonathan Nadler gère la cellule économique» d’une dizaine de personnes. Nadler a également travaillé chez Rothschild avant d’être embauché par JP Morgan.

Le soutien à Zemmour aux présidentielle s’étend déjà au-delà de l’association Les Amis d’Éric Zemmour. Il y a bien sûr Charles Gave, fasciste «identitaire» déclaré et dirigeant fondateur de Gavekal, société de conseil financier. Plus important encore, il y a Vincent Bolloré, dirigeant de Bolloré SE, monopole géant français du transport, de la logistique, de la distribution d’énergie, du papier et plus récemment de l’automobile, la communication, la publicité, la télécommunication et les médias. Bolloré Logistics contrôle un des plus importants réseaux logistiques du monde avec un fort accent sur l’Afrique. Le monopole français domine le transport ferroviaire du continent et grâce à sa collusion avec les politiciens corrompus de la région, a fini par dominer les ports d’Afrique de l’Ouest. Bolloré avait donné à Zemmour quelque chose d’encore plus important que l’argent : son image publique. C’est surtout sur la plateforme de propagande d’extrême droite CNews, qui fait partie de l’empire médiatique de Bolloré, que Zemmour a pu soigner son image «libre-penseur» et «anti-système» devant des millions de téléspectateurs. En septembre 2021, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a dû intervenir pour que Zemmour n’intervienne plus dans l’émission «Face à l’info» sur CNews afin de l’empêcher d’avoir un temps d’antenne trop important compte tenu sa possible candidature lors des élections présidentielles à venir.

Alors qu’une section importante, et très puissante, de la bourgeoisie française a décidé de soutenir la possible candidature de Zemmour afin de réaliser les buts de l’impérialisme français, la bourgeoisie française entière peut espérer que l’effet Zemmour baisserait le taux d’abstention en faisant peur aux masses. Même si Zemmour ne présente pas sa candidature finalement, cet effet secondaire pourrait rester efficace. Tout d’abord, la bourgeoisie en général préfère éviter le fascisme autant que possible. Dans L’État et la révolution, le révolutionnaire Vladimire Lénine exprime que la «démocratie» bourgeoise est le système d’État optimal pour la dictature de la bourgeoisie. Comparé au système parlementaire, mettre en place et tenir un régime fasciste de dictature ouverte n’est ni efficient ni durable. Ce processus nécessite, premièrement, une lutte acharnée au sein de la bourgeoisie nationale elle-même, avec de diverses fractions cherchant à profiter au maximum du nouveau régime clientéliste. Ensuite, il est nécessaire d’imposer le régime sur les grandes masses qui s’y opposeront sans cesse avec violence. Même aujourd’hui, à l’époque de la surveillance de masse digitale, la surveillance et la répression représentent des coûts énormes pour la bourgeoisie. Il y aura aussi la perte de légitimité, et de prestige, au sein de la «communauté internationale», notamment par rapport aux concurrents impérialistes qui pourront justifier des sanctions économiques, et la guerre, au nom de la démocratie. Finalement, la bourgeoisie n’a pas oublié ce qui est arrivé à Mussolini où Hitler, et leurs sympathisants, lorsqu’ils furent aux mains des partisans antifascistes et de la glorieuse Armée rouge. Le fascisme représente la guerre ouverte de la bourgeoisie monopoliste contre le prolétariat, la grande majorité du peuple. Tant que la bourgeoisie peut garder la paix sociale avec la démocratie bourgeoise et le parlementarisme, elle le fera. C’est surtout dans la perspective de préserver la paix sociale que Zemmour est utile pour toute la bourgeoisie française. Sa possible candidature réussira à emmener une section oscillante des masses aux urnes pour voter contre lui, où un autre candidat d’extrême droite, ce qui sert à unir le plus de personnes sous le système de la république, et de renforcer le régime bourgeois existant, tout en détournant des forces de la lutte anti-impérialiste.

Lutter au sein de l’impérialisme ou lutter contre l’impérialisme ?

Le théâtre des candidats «anti-systèmes» tels que Zemmour montre l’intelligente flexibilité tactique du régime bourgeois. Quel que soit le «rebelle» ou «libre-penseur» qui gagne les présidentielles de 2022, le prolétariat perd puisque l’impérialisme français perdura avec une légitimité renouvelée. La tâche principale des travailleurs en France reste d’écraser l’impérialisme français pour s’émanciper de l’exploitation capitaliste, et surtout pour faciliter la libération de peuples opprimés et parasités par la France depuis des siècles. Cette tâche met en avant la question du pouvoir prolétaire, que les impérialistes cherchent à cacher sous une pile de candidats «rebelles», à la gauche comme à la droite, financés d’une manière ou d’une autre par les profits sanglants de l’impérialisme.

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