A l’occasion de l’hommage aux martyrs de la révolution en Turquie, nous publions cet article inédit.
La révolution, ce n’est pas une chose abstraite. Ce sont des vies concrètes, des récits de masses de tous les pays qui se révoltent contre leur misère et prennent la voie de la lutte pour transformer le monde. Les révolutionnaires ne sont pas des héroïnes ou des héros de film ou de série, mais leurs histoires nous montrent l’exemple de personnes dévouées, à l’opposé des modèles individualistes. Loin de tout égoïsme, leurs vies sont belles car elles servent le peuple. Dans cet article, nous voulons mettre l’accent sur des portraits de femmes combattantes rouges dans la guerre populaire en Turquie. Souvent méconnues en France, ces figures révolutionnaires de Turquie sont des inspirations pour nous, une mise en pratique de nos luttes et de nos principes. Elles appartiennent à l’Armée de libération des ouvriers et des paysans de Turquie (TİKKO) sous la direction du Parti Communiste de Turquie/Marxiste-Léniniste (TKP/ML). Le slogan des femmes révolutionnaires de Turquie : « Vous n’allez pas nous vaincre ! Soit nous gagnerons, soit nous gagnerons ! » est rempli d’optimisme. Nous invitons nos lectrices et nos lecteurs à découvrir ces portraits inédits.
En introduction, citons une interview du Comité des femmes de l’Armée de libération des ouvriers et des paysans de Turquie (TİKKO) :
« Selon la perception sociale, “la guerre est un travail d’hommes”. La place des femmes est dans leurs maisons, réputées très “protégées”. Il n’est donc pas considéré comme “normal” qu’une femme lutte pour son émancipation. Mais c’est aussi un fait que “Là où il y de l’oppression, il y a/il y aura de la résistance et de la révolte”. En fait, l’Histoire regorge d’innombrables récits de rébellion et de résistance des femmes. Dans notre pays, les femmes ont pris leur place à différents niveaux dans cette guerre populaire depuis des années, et elles le font toujours. Il existe d’innombrables exemples qui montrent qu’une femme peut se battre, qu’elle est “pouvoir”. Nous le savons par notre propre histoire, par l’histoire d’autres organisations luttant pour la libération sociale et nationale. Les guérillas féminines combattant sur le front à Kobanê et à Shengal en sont les meilleurs exemples récents. Les Cinq martyrs de la TİKKO [voir plus bas] en sont l’exemple le plus proche. […] L’expérience accumulée par les Cinq et la valeur qu’elles de ce qu’elles ont créé sont notre plus grand héritage. Elles nous ont laissé la leçon que les femmes peuvent aussi assumer des responsabilités dans la guerre populaire, qu’elles peuvent devenir commandantes, commissaires politiques, dirigeantes, bref, qu’elles peuvent être des actrices de la guerre populaire. »
La camarade Meral Yakar, aussi appelée Kinem, est née à Gaziantep Nizip. Elle s’intègre à la lutte de la jeunesse étudiante d’Istanbul, où elle est allée faire ses études, en peu de temps. Elle a été très intéressée par les conditions des jeunes et a rapidement appris à leur contact. L’assimilation des idées révolutionnaires n’a pas été difficile pour Meral Yakar. Après avoir fait siennes ces idées, elle a fait de grands efforts pour être à la pointe de la lutte révolutionnaire. Sous la direction d’İbrahim Kaypakkaya, grand dirigeant du prolétariat, elle a pris part à l’intense lutte idéologique et politique contre les révisionnistes et toutes sortes d’opportunistes. Elle a mené avec ses camarades une lutte glorieuse contre l’État des seigneurs terriens et des patrons.
Elle est devenue la première femme membre du TKP/ML. Elle met de côté ses études pour se donner intégralement au service du peuple et de la révolution. Elle a montré son dévouement au peuple, à la révolution et à son parti par les valeurs d’abnégation et de don de soi auxquelles elle croyait.
Meral Yakar a été blessée le 22 janvier 1973, lorsque le pistolet dans la main de son camarade a accidentellement tiré dans une maison où ils séjournaient à Istanbul. Meral Yakar a posé l’une des premières pierres angulaires de la tradition de résistance du Parti à la répression. En effet, alors qu’elle était blessée, les tortionnaires de l’État turc sont allés à l’hôpital pour l’interroger. Elle n’a rien livré. Ils l’ont tuée le 25 janvier 1973. Meral Yakar est la première femme martyre après Maria Suphi, une des fondatrices du communisme en Turquie assassinée en 1921.
Ayfer Celep est née dans le village Tekke d’Amasya/Taşova en 1971, dans une famille paysanne d’origine turque et musulmane sunnite. En 1991, alors que le Parti intensifie ses forces pour déployer des guérillas dans les campagnes de la mer Noire, elle demande au Parti de rejoindre la guérilla. Elle souhaite ardemment être l’une des premières à assumer une tâche aussi honorable que de participer à l’enracinement de l’armée de la libération des paysans et des ouvriers (TiKKO) et du parti dans cette région. Dans toute sa vie, elle n’a pas hésité à accepter n’importe quelle tâche confiée par le parti. Elle laisse derrière elle l’école et participe à toutes les missions du Parti dans sa région. Elle travaille dans des briqueteries dans de très mauvaises conditions à Niksar. La même année, elle est détenue et arrêtée lors d’une opération de l’État contre l’organisation régionale. Elle reste en prison pendant 3 mois. Bien qu’il y ait eu une rupture dans ses relations avec le Parti de temps en temps en raison d’une série d’opérations dans la région après sa sortie, elle a participé en juin 1993 aux unités de guérilla TİKKO dans la région de la mer Noire, qu’elle avait voulu rejoindre depuis longtemps.
Ayfer Celep a su affronter toutes les difficultés en marchant « à travers les tempêtes, sur le fil du rasoir ». Elle est devenue l’une des pierres angulaires du développement du Parti. En réponse forte aux politiques de mise en avant et de mobilisation des femmes partisanes dans tous les domaines de lutte, elle a pris sa place parmi les femmes commandantes de la TİKKO. Elle a porté des coups implacables contre le statu quo dans la guerre. Ayfer Celep était membre du TKP/ML, et l’une des commandants d’unité de la TİKKO lorsqu’elle est tombée.
Les médias bourgeois ont fait leurs gros titres sur la camarade Ayfer Celep. Ils écrivaient sur « la femme commandante de la TİKKO ». Elle est importante dans les mémoires au-delà de son rôle de première femme combattante de l’armée populaire. C’est elle qui a accéléré la marche de l’armée populaire dans la région de la mer Noire. L’État turc l’a surnommée « la machine à tuer aux yeux vert » ou encore « le monstre à la tête d’ange ». Elle a toujours pris parti pour son organisation lorsque certains posaient la question de la pertinence de la lutte armée. Elle est l’exemple de ces « nouvelles femmes » et « nouveaux hommes » que produit la révolution. Elle a su se renouveler, effacer les normes imposées par la société fasciste turque. Femme d’une famille turque et sunnite, elle a brisé toutes les limites qui lui étaient imposées.
Voilà quelques exemples d’actions auxquelles Ayfer Celep a participé ou qu’elle a commandées. En 1992, elle a mitraillé le poste de gendarmerie d’Amasya Çengel. En 1993, elle a ouvert le feu sur un minibus de police à Amasya. Elle a abattu le chef du village de Taşova Cafer Avcı pour venger ses camarades en juillet 1998.
Elle tombe en martyr accompagnée de ses camarades le 8 mars 1999, à la suite d’une embuscade faite par l’armée réactionnaire.
Les « Cinq » :
Les Cinq ont une place particulière dans l’histoire de la lutte révolutionnaire en Turquie. Derrière ce nom se trouvent cinq révolutionnaires, combattantes et commandantes de l’Armée de libération des ouvriers et des paysans de Turquie (TİKKO) : Sefagül Kesgin, Nurşen Aslan, Fatma Acar, Derya Aras et Gülizar Özkan. Toutes les cinq sont mortes dans un accident dans l’effondrement de leur camp d’hiver en 2011.
Sefagül Kesgin, qui utilisait le nom de guerre Eylem, était née en 1977. A Istanbul, elle était chargée de la culture et de l’art révolutionnaire, puis elle avait intégré les plus hautes directions politiques du mouvement révolutionnaire. En juin 2007, elle a été nommée commissaire politique régionale de la guérilla, et malgré son inexpérience, elle a accepté, en mettant en avant « l’apprentissage par le combat ». Elle était devenue membre du Comité Central en 2009. Avec une grande humilité, elle avait développé sa confiance en la révolution, son parti, ses camarades et son peuple. Grâce à cette foi, elle pouvait surmonter les moments les plus difficiles.
Fatma Acar, qu’on appelait Dilek, a elle aussi rejoint le mouvement révolutionnaire dans sa jeunesse. Elle a participé aux organisations de jeunes dans les années 2000, puis en 2006 elle a répondu à l’appel de « rejoindre les montagnes », c’est-à-dire d’intégrer la guérilla. Avec ses camarades, elle a mené plusieurs actions qui ont conduit à de lourdes pertes pour les ennemis du peuple, comme des explosions de locaux fascistes.
Derya Aras, aussi appelée Camarade Sevda, est née en 1979 et a rejoint les jeunesses communistes pendant ses années lycée. Alors qu’elle avait seulement 19 ans, en 1998, elle a été arrêtée pour avoir participé aux manifestations du 1er Mai. La prison n’a pas brisé Derya, et lorsqu’elle est sortie, elle a intensifié ses actions. Avide de savoir et de pratique, elle a rapidement beaucoup appris en idéologie et en politique au contact des révolutionnaires. Elle est logiquement devenue membre du Comité Central des jeunesses communistes. Face à plusieurs autres emprisonnements, elle n’a jamais lâché. Elle a finalement rejoint la guérilla en 2009, après de nombreuses années de lutte.
Nurşen Arslan (d’abord appelée Münire puis Emel) avait rencontré les révolutionnaires à Istanbul. Elle a été active avec les jeunes, et a notamment participé à une attaque contre un hôtel dirigé par les fascistes. En 1999, elle rejoint la guérilla sous le nom de Münire. Elle sillonne les rives de la mer Noire et s’intègre avec les paysans et les ouvriers de cette région. Face à toutes les difficultés, elle continue son périple et parcourt de nombreuses régions du pays. En 2005, elle parvient dans les montagnes de Dersim. Elle prend le nom d’Emel en hommage à Emel Kılıç, une autre combattante. Pour la première fois dans l’histoire, une femme prend le commandement des activités à Dersim : ce sera la Camarade Nurşen. Forte d’une grande expérience dans tout le pays, elle a dirigé les activités révolutionnaires d’une main de maître.
Gülizar Özkan (Özlem) est la plus âgée des Cinq. Née en 1967 dans le village de Pancılas, elle se mêle aux révolutionnaires qui viennent régulièrement visiter sa région. Elle vit avec les guérillas, apprend à leurs côtés, et décide finalement de leur demander de les rejoindre en 1990. Sa demande est acceptée, et elle part à la montagne en 1990. L’année d’après, elle fait malheureusement un AVC pendant sa grossesse. Elle prend du repos pendant cette période, mais tente toujours de rejoindre la guérilla. Des problèmes dans le parti coupent ses liens, mais Gülizar décide de ne pas abandonner son projet de repartir à la lutte. Après son accouchement, elle ne perd pas cet objectif. Elle est arrêtée en 1997 et passe 7 ans en prison, et malgré les difficultés, elle parvient à renouer le lien avec le parti. En sortant, elle n’a qu’un objectif : rejoindre la guérilla. Elle n’était pas effrayée par les problèmes de santé ou la question de son enfant. Elle répondait à ceux qui lui posaient la question de ce choix : « Je ne suis pas assez égoïste pour ne penser qu’à mon propre enfant. Ma décision est de combattre pour que tous les enfants vivent dans un monde libre. ». Elle a finalement rejoint la guérilla en 2005.
Les Cinq sont des exemples de lutte : toute leur vie, dès le plus jeune âge, était dirigée pour abattre l’impérialisme, l’exploitation et la réaction. Leur mort ne signifie pas qu’elles ont échoué. Au contraire, comme elles étaient très liées aux masses, leur destin tragique a beaucoup touché les ouvriers et les paysans de la région. A Dersim, des centaines de personnes ont défilé à leurs côtés pour les emmener dans leur dernière demeure, accompagnées de drapeaux rouges et de chants. Des gens sont venus de toutes les villes de Turquie : Istanbul, Ankara, Izmir, Erzingan ou encore Mersin, pour leur rendre hommage. Leurs familles et les révolutionnaires les ont comparés à des œillets rouges, ces fleurs colorées qui poussent parfois au milieu des montagnes et des roches, dans des conditions difficiles, mais qui éclairent le paysage de leur splendeur. Les Cinq sont tout ça à la fois.
Bien entendu, nous aurions pu parler dans cette article de nombreuses autres figures. Récemment, nous pouvons célébrer les camarades Rosa et Asmin, qui étaient des guérillas de la TİKKO, et bien d’autres. L’Histoire de la lutte des femmes en Turquie est celle de la lutte révolutionnaire, celle de nombreuses inconnues, des ouvrières grévistes, des paysannes révoltées, des étudiantes et jeunes révolutionnaires, des mères de famille le poing levé, des courageuses guérillas et de grandes dirigeantes politiques. En rejoignant la révolution, toutes les combattantes que nous avons présentées ont rejoint un mouvement où elles ont pris leur place : diriger leur propre libération en tant que femmes, pour la libération de toutes les masses. Elles ont marqué de leur empreinte la révolution en Turquie, et elles continuent de le faire, en inspirant les jeunes, leurs familles, leurs amis, ou n’importe quelle personne avec le cœur animé de justice à suivre leur exemple.