Cet article est issu de notre version imprimée disponible ici. C’est la première partie d’un article en deux temps.
Le 25 novembre 2017, Emmanuel Macron annonçait dans un discours à l’Élysée que l’égalité entre les femmes et les hommes serait la « grande cause du quinquennat ». En 2018 et 2019, la lutte contre les violences faites aux femmes a été deux fois « grande cause nationale ». Quelques semaines auparavant, le 5 octobre, le producteur américain Harvey Weinstein était accusé de harcèlement, d’agression et de viol par plusieurs femmes. Puissant dans l’industrie hollywoodienne, Harvey Weinstein chute au cours du mois d’octobre après 93 accusations successives. L’affaire se cristallise autour d’un hashtag sur les réseaux sociaux : #MeToo (moi aussi en français). En France, #balancetonporc est repris des centaines de milliers de fois. Sans aucun doute, c’est en réagissant à ce mouvement dans la société que Macron et son gouvernement ont cru bon de déclarer l’égalité femmes-hommes « grande cause du quinquennat ». Pourtant, cette réaction de l’État bourgeois est marquée par le cynisme de la bourgeoisie. Elle ne s’attaque pas aux causes du problème, mais se contente d’opérations de communication successives pour se donner une apparence féministe. Mais derrière les faux semblants, rien n’a changé dans l’État bourgeois et le féminisme bourgeois, comme nous allons le voir.
Le bluff du gouvernement bourgeois rattrapé par la réalité
Immédiatement après son élection, en mai 2017, le nouveau président Macron forme son premier gouvernement. Il réforme alors le pompeux « Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes » et crée un secrétariat d’État, c’est-à-dire un « sous-ministère ». Il nomme ainsi la femme politique et romancière Marlène Schiappa secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes.
Suite au mouvement #MeToo dont nous avons parlé en introduction, elle est régulièrement mise en avant dans les médias : en effet, Marlène Schiappa se présente avant tout comme une « militante féministe », un terme qu’elle réutilisera à plusieurs reprises depuis 2017. Pour le gouvernement de Macron, cette médiatisation est le signe d’un quinquennat « progressiste » et « féministe ». Étant donné qu’un Français sur deux se déclare féministe depuis ces dernières années selon les études d’opinion, il n’est pas étonnant de voir l’État bourgeois tenter de rallier à son compte ce sentiment.
À l’automne 2017 commence la « grande cause quinquennale » que nous avons évoquée. Le « féminisme » bourgeois se matérialise de plusieurs manières dans l’action de l’État français pour essayer de masquer ses aspects les plus réactionnaires. Sur le plan du travail, le gouvernement développe une politique autour de « l’entrepreneuriat féminin » (plus de patronnes femmes, génial !). La loi Rixain passée sous le quinquennat de Macron prévoit une féminisation des conseils des grandes entreprises par des quotas, ce qui signifie une augmentation du nombre de femmes cadres supérieures et managers. Autrement dit, c’est une politique à destination de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie, qui vise à « féminiser » les exploiteurs. Ne craignons rien, les femmes prolétaires pourront désormais se faire exploiter plus souvent par d’autres femmes ! Des « formations » sur les violences sexuelles ont eu lieu dans la police, ce qui n’a pas empêché des affaires dans les commissariats lorsque les policiers n’enregistrent pas les plaintes. À Montpellier par exemple, le commissariat central essuie un scandale lorsqu’on apprend que les policiers demandent aux victimes de viol si elles ont joui. Le gouvernement propose en 2018 une loi contre le harcèlement de rue qui fait suite à #MeToo. Encore une fois, c’est une politique de façade, destinée à la bourgeoisie. En effet, en prétendant punir par la loi les comportements sexistes, le gouvernement déclare avoir réglé le problème en ayant proclamé l’égalité devant la loi. Mais voilà, l’égalité réelle ne dépend pas des textes, mais des conditions matérielles concrètes. Cette manière de voir les choses, superficiellement et juridiquement, est une reprise directe du féminisme libéral adoubé par la bourgeoisie au début du XXe siècle.
L’action du gouvernement fait finalement le miroir parfait à celle des grands capitalistes et des monopoles de l’impérialisme français. Après #MeToo, de grands groupes ont fait des annonces en déclarant imposer des « formations » et « temps d’écoute » au sujet de l’égalité femmes-hommes et des violences au travail. Mais tout est retombé comme un soufflet : ces « séminaires » n’ont mené à aucune amélioration (et il fallait être malhonnête pour penser qu’ils auraient le moindre effet), mais ils ont permis aux monopoles de l’impérialisme français de se donner une image positive auprès des femmes. Cette façon de faire a été reprise de nombreuses fois dans le marketing et la publicité. Monoprix se déclare par exemple « féministe » pour vendre des vêtements, tout comme H & M. En 2019, Nike fait sa pub en mettant en avant des femmes sportives et « puissantes ». Ce mouvement n’est pas nouveau : en 1961, l’entreprise d’électroménager Moulinex lance son slogan : « Moulinex libère la femme ! ». Bien sûr, 60 ans plus tard, ce slogan fait tache. Il montre cependant bien la tentative de la bourgeoisie de faire son beurre sur les bons sentiments du peuple et ses revendications.
Tout cela n’est évidemment que de l’hypocrisie et le revers de la médaille du patriarcat. Ce qui se passe au sommet de l’État en est la preuve. En juillet 2020, le nouveau premier ministre Jean Castex nomme Gérald Darmanin ministre de l’Intérieur. Celui-ci est accusé de viol, de harcèlement et d’abus de faiblesse. Macron lui accorde sa confiance « d’homme à homme », selon ses mots le 14 juillet 2020. Tandis que des manifestations ont lieu contre sa nomination, le gouvernement fait bloc en soutien à Darmanin. Sa nouvelle principale collègue est Marlène Schiappa, devenue ministre de la Citoyenneté, un ministère lié à l’Intérieur. Elle déclare ne pas ressentir de malaise face à Darmanin et le défendre. Ce n’est pas la première fois que cela arrive. En 2018, Nicolas Hulot était ministre de la Transition écologique. Il est rattrapé par une accusation de viol révélée par un magazine. Le gouvernement fait à nouveau bloc : sur suggestion de ses conseillers et d’une demande directe de Macron, Marlène Schiappa écrit une longue tribune dans le Journal du Dimanche pour défendre Hulot. Trois ans plus tard, en 2021, plusieurs femmes accusent Hulot pour des faits similaires.
Mais au-delà des scandales, même l’action concrète du gouvernement n’est que de la poudre aux yeux. La grande réussite mise en avant par l’État bourgeois, c’est le 3919, le numéro d’appel destiné à la lutte contre les violences faites aux femmes. Ce numéro existe depuis longtemps, mais c’est Macron et son gouvernement qui ont particulièrement insisté sur son importance. Entre 2017 et 2020, le nombre d’appels a plus que doublé. Cependant, ce n’est pas l’État français qui est à l’origine de ce numéro, ni même qui le gère : ce sont les associations de la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF, 60 associations). Autrement dit, le gouvernement sous-traite au milieu associatif la prétendue « grande cause quinquennale » ! Pire que ça, en 2020, en pleine pandémie où les violences conjugales ont bondi à la suite des confinements successifs, l’État annonce qu’il souhaite ouvrir le 3919 à la concurrence, avec un appel d’offres ! Tout cela montre bel et bien l’hypocrisie remarquable du gouvernement bourgeois. Dès que l’on gratte un peu, on se rend compte que la réalité est celle d’un État réactionnaire activement engagé dans l’exploitation et l’oppression des femmes des masses, notamment prolétaires.