Gilets Jaunes: le bilan 4 ans après

Nous publions ici un article inédit tiré du journal imprimé (Nouvelle Epoque n°7).

Le mouvement des Gilets Jaunes a profondément marqué le pays et a eu un retentissement mondial. Cela fait déjà 4 ans, mais la reprise de manifestations en ce début d’année est l’occasion de revenir sur ce mouvement et d’en faire une synthèse.

Pour comprendre pourquoi il y a eu ce mouvement, et pourquoi il a eu une résonance dans de nombreux autres pays, il faut d’abord parler de la période actuelle. Sans comprendre le contexte général, on ne comprend pas les mouvements de masse et on finit par les interpréter comme surgis de nulle part. L’impérialisme est entré dans une phase de crise aigue dans le monde entier, les repercussions pour les masses c’est une dégradation des conditions de vie, un appauvrissement plus grand. Les capitalistes peinent à accroitre leurs profits et donc ils font payer aux masses les politiques les plus sauvages pour tenter de se remettre à flots. L’Etat comme instrument de domination des monopoles se révèle comme un ennemi du peuple qui lui retire sa confiance, la supercherie pseudo-démocratique ne tient plus. C’est dans ce contexte que les Gilets Jaunes sont apparus, et c’est pourquoi dans plus de 30 pays les gens ont mis un gilet jaune pour aller manifester. La crise qui a vu naitre les Gilets Jaunes ne fait que s’approfondir, et immanquablement de nouveaux mouvements de révolte apparaitront.

Ce mouvement a commencé par un appel à manifester contre la hausse du prix du carburant qui est devenu viral sur internet. Très rapidement de grandes manifestations s’organisent en toute autonomie le 17 novembre 2018 et bloquent les ronds points et les routes, ouvrent les péages, occupent les parkings de centre commerciaux. Les patrons et la police qui avait affiché son soutient au mouvement, dès les premières actions, se retire immédiatement: les patrons car ils réalisent que les masses vont contre leurs intérêts pécuniers, et la police car elle sert à réprimer toute contestation. Les syndicats disent comprendre les revendications mais ne veulent pas s’en préoccuper, et les partis politiques sont comme des charognards à essayer d’en récupérer un morceau, sans succès.

Macron lance le « grand débat » pour tenter de faire rentrer le mouvement sous le giron de l’Etat, de discuter sans broncher sans rien faire d’autres, mais les Gilets Jaunes s’organisent, et du mouvement émergent des organisateurs et des porte paroles, d’une certaine manière le mouvement génère ses propres « dirigeants », et ils organisent en opposition au « grand débat » le Vrai Débat pour faire la synthèse des revendications. Celles ci sont politiques: rétablissement de l’ISF, revalorisation du SMIC et des retraites, plus de droits démocratiques avec le RIC, renforcement du service publique avec l’éducation et la santé, mais aussi des revendications féminines avec l’égalité hommes-femmes et la lutte contre les violences sexuelles. Les Gilets Jaunes veulent contrôler les lobbies et lutter contre la corruption, et aussi contre les violences policières. Ce sont toutes des revendications progressistes, dans le sens premier du terme, les Gilets Jaunes veulent un progrès dans les conditions de vie et dans la démocratie.

Le mouvement a commencé à s’organiser et se structurer, le point culminant de cet effort a été l’Assemblée des assemblées qui s’est réunies 4 fois sur plusieurs jours. L’ADA a réuni des centaines de délagations de tout le pays, des votes ont été organisés et ont mobilisé plus d’un million de personnes au total. À la fois dans les revendications comme le RIC, que dans le mode de fonctionnement, le mouvement a montré un caractère profondément démocratique et une revendication de fond qui, même si elle n’est pas formulée comme telle directement, est une revendication pour le pouvoir. Les portes paroles qui ont émergé, les « dirigeants » même si ils ne dirigeaient pas par mandat, n’ont existé que parce qu’ils incarnaient les aspirations de l’ensemble du mouvement, et on a vu pour chacun d’eux une campagne médiatique pour les dénigrer, les attaquer personnellement, leur faire perdre tout crédit. De fait, en conséquence, les masses ont aussi grandement vu leur confiance dans les médias baisser, ce qui n’a fait qu’empirer avec le Covid.

Aucune tentative de récupération par des partis ou par le gouvernement n’abouti, les GJ sont fondamentalement anti-opportunistes et n’ont plus confiance, à raison, dans les politiciens. Les réactionnaires ont tenté de faire avancer leurs mots d’ordres en parlant d’immigration mais les GJ ne sont pas chauvins, ils revendiquent la dignité humaine et des travailleurs. Le mouvement a été massivement soutenu par la population, malgré une campagne de propagande pour dénigrer le mouvement, dénoncer les violences, souligner les contradictions internes au mouvement.

Les tactiques utilisées ont été l’ouverture des péages pour les rendre gratuits, le blocage de ronds points et de routes pour appeler à la mobilisation. En parallèle les lycéens ont bloqué plus d’une centaine de lycées, on se souvient particulièrement des 148 lycéens menottés et mis à genoux par la police pendant des heures à Mantes-la-Jolie, et de nombreuses grèves ont éclaté un peu partout. Deux tiers des radars ont été détruits ou mis hors service. Le plus fort du mouvement était bien sûr les manifestations au centre ville, principalement à Paris mais aussi Nantes et Toulouse où le niveau de combativité des Gilets Jaunes était élevé. Face à la répression brutale et à l’intimidation policière, les masses ont répondu par la lutte. Il y a eu des milliers de blessés, l’usage du LBD et de la nasse a été dénoncé par de nombreuses instances associaives mais aussi inter-étatiques. Des 227 procédures de plaintes contre la police, aucune n’a donné de suite par l’IGPN, en revanche plus de 20,000 personnes ont été condamnées pour outrage, des milliers ont une peine judiciaire dont de la prison ferme, tandis que 9000 policiers sont récompensés par une médaille. C’est l’illustration la plus parfaite de la manière dont la bourgeoisie instaure sa dictature, en dernier lieu c’est par la violence, c’est donc par la violence qu’il faudra y mettre un terme, c’est sûrement la leçon la mieux apprise par les masses suite aux GJ.

Si les manifestations de Gilets Jaunes en ce début d’année n’attire pas les foules il y a une raison évidente. Les masses ne veulent pas foncer dans un mur, aller dans les centre villes se faire gazer et mutiler, malgré la démonstration d’héroïsme des masses ça ne donne aucun résultat. Le mouvement a atteint ses limites: il n’a pas le pouvoir d’obtenir ses revendications car le pouvoir appartient à la bourgeoisie, et celle ci ne partage pas ce pouvoir. Ce qu’il manque aux masses c’est une stratégie, et une organisation capable de mettre en oeuvre cette stratégie pour la prise du pouvoir et pour l’application réelle de la démocratie et des aspirations profondes des masses. Dans l’histoire moderne, une telle organisation prend la forme d’un Parti Communiste, pas un de ceux qui pleurent pour participer au parlement, et qui se réfugient derrière un cordon policier en touchant leur subvention de l’Etat, mais un de ceux qui combattent pour mettre fin à l’exploitation et aux souffrances infligées par les capitalistes aux masses. Un Parti Communiste qui, comme les Gilets Jaunes, se montre anti-opportuniste et combattif, et préfère l’action aux discours sans suite sur des plateaux télé. Un tel parti, opposé à tous les autres partis et à l’Etat, doit être reconstitué dans l’Etat français.

Ce que les Gilets Jaunes veulent, c’est s’organiser pour combattre avec des principes révolutionnaires, guidés par les intérêts du prolétariat, et obtenir petit à petit gain de cause pour chaque revendication jusqu’à démasquer totalement la barbarie de la bourgeoisie et rendre impossible son gouvernement, à faire émerger un Nouveau Pouvoir.

©Illustration / G.K. / Actu Toulouse