Uber Eats : interview d’un livreur sans-papiers en Bretagne

« Je suis arrivé en 2019 et j’ai choisi la France parce que pour nous les africains, les gens qui viennent de l’Afrique de l’Ouest, c’est plus facile parce que la majorité on est colonisés. Chez nous on parle déjà français et c’est une opportunité de s’intégrer plus rapidement » Pour un grand nombre de sans-papiers, après avoir cherché de l’aide auprès d’associations, Uber Eats paraît être la source de revenu la plus accessible. Il suffit de s’inscrire sur une application, pas d’entretien d’embauche ni contrat de travail. Les coursiers sont autonomes, gèrent leurs horaires et leurs commandes à leur guise. Que demander de plus ?

Seulement, sans papiers il n’y a pas de compte. « Il faut trouver quelqu’un qui a des papiers pour ouvrir un compte. Uber ne sécurise rien, tu dois tout faire toi-même. Ton vélo tu dois l’acheter, tu payes le propriétaire des papiers… » Ce dernier touche donc en contrepartie du prêt de son identité une certaine somme d’argent sur le revenu hebdomadaire des livreurs. Pouvant toucher dans les 500€ à la fin du mois, certains profitent de leur position pour devenir les généreux propriétaires de seconds comptes chez la concurrence. « On paye le propriétaire des papiers, 120€ des fois, il y a d’autres ça monte jusqu’à 150€. Si tu es malade lui il touche pas ses 120€, ses 150€, il est obligé de reprendre le compte et le donne à une autre personne pour qu’elle travaille pour lui »

Mais n’oublions pas qui tient les ficelles de ce qu’on pourrait qualifier d’esclavagisme moderne. Uber Eats nous vend l’image du travailleur indépendant mais la réalité est tout autre. « Pour les commandes, c’est toi qui les accepte. Tu peux refuser mais une fois que tu fais trois quatre courses refusées ils peuvent te bloquer définitivement le compte » Le travail est en continu toute la semaine, du matin au soir, sans relâche.

La main d’œuvre est peu coûteuse et les profits élevés. Des kilomètres parcourus pour des salaires plus que réduits, sans oublier le nombre d’utilisateurs de l’application qui ne cesse de se multiplier naturellement suivi par la charge de travail des coursiers. L’application a en réaction réfléchi à des moyens d’optimiser le service de ces nouveaux consommateurs. Il est aujourd’hui possible pour un livreur de recevoir jusqu’à deux commandes en même temps.

« Ils ont dit « ok, c’est pas obligé de prendre les deux commandes » mais ça aussi si tu le fais, au bout de cinq six fois la journée ils peuvent te bloquer. Comme ça ils ont plus d’intérêt, ils gagnent plus » Tout est bridé. Uber Eats profite allégrement de la situation précaire d’immigrés pour s’enrichir. Du travail facile d’accès « sans contrainte » mais au moment même où les livreurs s’engagent sur l’application ils renoncent à toute considération. En cas de problèmes, nécessiter de l’aide c’est déjà trop leur demander. « Ça m’est arrivé beaucoup, que j’ai mon pneu qu’est crevé et la commande avec moi. Je peux appeler le client pour discuter avec lui, des fois il te comprend. Mais Uber… tu appelles Uber pour t’informer ils disent « démerde-toi, essaye d’envoyer la commande, il faut que la commande parte » Tu as pas le choix des fois, il faut demander à un ami, t’es obligé de lui laisser ton téléphone, il part, il livre la commande. C’est comme ça, c’est pas facile parfois » A défaut d’être un minimum supportés, beaucoup de livreurs s’organisent d’eux-mêmes via messageries pour prévenir des contrôles ou en cas d’accidents.

Avec le client, c’est leur parole qui est mise à mal. Pour Uber, il n’a jamais tort. Lorsqu’il attend sa commande mais se trouve être absent au moment de son arrivée, le livreur a pour devoir de lancer un chronomètre de huit minutes. Une fois écoulé, il est en droit de valider la commande et de partir. « Tu fais tout ça, le client lui il appelle Uber pour lui dire « j’ai pas reçu ma commande» et ils peuvent directement te bloquer et t’envoyer un message après pour soit-disant une course non-livrée, pourtant dans l’application c’est écrit que tu as mis un chrono. Normalement, dès que ça s’est déclenché même eux, le service Uber, peut voir que tu attends un client »

Certains n’hésitent pas à modifier leurs informations personnelles pour des commandes moins chères. « Une fois que tu es en route, il t’appelle le client il dit « ah mais je suis vraiment désolé, je me suis trompé d’adresse, j’habite pas ici » Et là toi tu réfléchis, il faut que tu appelles Uber parce que la course que tu avais prise pour venir ici elle était payée à 2€50 et ils te disent c’est ton travail, t’as le droit d’y aller même si le client s’est trompé » Que ce soit des restrictions de livraison imposées par la Covid ou encore des sacs mal fermés, si le client a pour désir de se plaindre, le coursier en paye toujours le prix.

Les restaurateurs s’y mettent aussi parfois comme si ce n’était pas suffisant. « Des fois tu peux venir attendre devant le restaurant pour réclamer ta commande mais de 15 à 20 minutes tu attends. Normalement, ils ont pas trop le droit de faire ça mais ils te disent « attend, tu vois pas qu’y a du monde ? » comme si la personne que tu vas livrer c’est pas un client. Juste parce que toi t’es un livreur, ils s’en foutent de toi. Y’a même des restaurants, tu as besoin de brancher ton téléphone, ils te donnent pas l’autorisation ».

Aujourd’hui, l’exploitation que subissent les livreurs Uber Eats ne cesse d’évoluer malgré les revendications. « On s’est mobilisés, on a parlé de tout ça mais y’a rien qui sort » Exploitation d’autant plus intensive pour les sans-papiers. « Il y en a qui voiten ta photo et peuvent signaler parce que c’est pas ton visage. Après ils te demandent directement une photo et si au bout de 15 minutes tu arrives pas à prendre la photo,ils peuvent te bloquer. Le propriétaire avec qui tu travailles lui aussi il travaille, pour le joindre au téléphone, il faut tenter, tenter… Tout est devenu compliqué maintenant ».

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