En janvier 1871, le Second Empire de Napoléon III capitule face à la Prusse. Depuis plusieurs mois, la population parisienne subit le siège de l’armée ennemie. Réfugié à Versailles, le gouvernement du président Adolphe Thiers ne cesse de prendre des décisions aggravant les conditions du peuple. Mais au matin du 18 mars 1871, les premières réveillées, ce sont les femmes : elles lancent l’alerte et s’opposent aux troupes venues récupérer les canons, financés par le peuple par souscription, entassés sur la Butte Montmartre. Commence alors la Commune de Paris.
Majoritairement ouvrières, la plupart de ces femmes – encore soumises à l’autorité du mari – travaillent depuis leur domicile pour pouvoir s’occuper de leur famille. Elles sont des employées à faibles coûts et sont même perçues comme des concurrentes des hommes, et leurs salaires le font ressentir en étant deux fois plus faible. Certaines doivent se prostituer pour pouvoir subvenir aux besoins de leur foyer. Des revendications se font peu à peu entendre. Déjà, à partir des années 1860, certains mouvements féministes avaient commencé à apparaître, revendiquant l’égalité avec les hommes. Mais ces mouvements étaient portés par les femmes intellectuelles, délaissant complètement la question des femmes du milieu ouvrier. Quand se déroule l’élection de la Commune le 26 mars 1871, les femmes ne possèdent pas le droit de vote : elles n’y participent pas et n’obtiennent aucun poste important. Mais ce n’est de toute façon pas leur première revendication : elles ne tardent pas à prendre d’elles-mêmes la place qu’on ne leur a pas donnée. Des mesures en leur faveur sont d’ailleurs prises en l’espace de seulement deux mois. Elles obtiennent la reconnaissance de l’union libre, la fermeture des maisons closes et l’interdiction à la prostitution ainsi que l’égalité salariale, dans un premier temps pour les institutrices.
Au début du mois d’avril, un petit groupe de femmes, qui comprend par exemple Nathalie Lemel[1] et Elisabeth Dmitrieff[2] appelle les ouvrières à davantage s’investir dans la vie de la Commune. Le rendez-vous est donné dans un café rue du Temple et l’Union des femmes voit le jour. Cette organisation se compose de comités dans chaque arrondissement de la ville, et d’un comité central. Entièrement connue sous le nom d’« Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés », elle marque le premier mouvement concret du féminisme de masse. Les femmes remplacent le rôle de l’Église suite à la séparation avec l’État au sein des écoles et hôpitaux de manière caritative. Les travailleuses sont encouragées à se révolter contre la bourgeoisie et à lutter pour le socialisme. On leur transmet les idées du socialisme scientifique, notamment celle que les femmes ne pourront s’émanciper qu’à travers la libération du prolétariat tout entier. Le 14 avril est d’ailleurs publié un Manifeste, dans le Journal Officiel de la Commune, à l’adresse de la Commission Exécutive : « Toutes unies et résolues, grandies et éclairées par les souffrances que les crises sociales entraînent toujours à leur suite, profondément convaincues que la Commune, représentante des principes internationaux et révolutionnaires des peuples, porte en elle les germes de la révolution sociale, les Femmes de Paris prouveront à la France et au monde qu’elles aussi sauront, au moment du danger suprême, — aux barricades, sur les remparts de Paris, si la réaction forçait les portes, — donner comme leurs frères leur sang et leur vie pour la défense et le triomphe de la Commune, c’est-à-dire du Peuple ! »
Les ouvrières revendiquent le droit au travail, en organisant le recensement des ateliers délaissés par les patrons blottis au chaud à Versailles auprès du gouvernement, et les transforment en ateliers autogéré, avec le soutien de la Commune. D’un autre côté, Louise Michel (institutrice) et André Léo (journaliste militante) mettent en place un système d’ambulances, qui est ensuite entièrement pris en charge par les femmes. Elles organisent également des distributions de vêtements et nourriture.
Outre leur organisation et leur investissement irréprochables au sein de la Commune de Paris, les communardes prouvent plus que jamais qu’elles peuvent faire preuve d’autant de combativité que leurs frères. À l’époque, à l’inverse des hommes, elles ne sont pas formées au combat mais elles ne reculent pas pour autant devant l’adversité. Au contraire, elles se tiennent en réelles combattantes sur les barricades. Le 17 mai, « l’Appel aux Ouvrières » est produit par l’Union des femmes dans le but de créer différentes chambres syndicales au sein de la ville, mais ce projet est interrompu par l’arrivée des Versaillais à Paris. C’est le début de ce que l’on appelle aujourd’hui « la semaine sanglante ». Des milliers d’ouvrières s’opposent aux envahisseurs en première ligne de combat et ne reculent en rien face à la répression. « Opposer aux envahisseurs une barrière de flammes plutôt que de se rendre », disait Louise Michel. Nombre de femmes défendent la gare de Montparnasse au prix de leur vie.
Lorsque le gouvernement reprend les lieux, beaucoup des communardes sont exécutées ou emprisonnées. Mais aucun de leurs sacrifices n’aura été vain : les quelques mois qu’ont duré la Commune de Paris ont prouvé l’importance capitale de la place que les femmes travailleuses doivent occuper. Par l’organisation dont elles ont fait preuve, que ce soit avec l’Union des femmes ou dans différents clubs, elles se sont montrées tout aussi capables que les hommes, et leur courage a été reconnu. Surtout, l’année 1871 n’est pas seulement celle de la naissance d’un véritable féminisme de masse, mais démontre que l’émancipation des femmes et celle du peuple tout entier sont des combats communs.
[1] Membre de l’Association Internationale des Travailleurs.
[2] Membre de l’Internationale envoyée en France par Marx.