Les premières leçons de la lutte contre la réforme des retraites

Article publié dans le n°69 de la Cause du Peuple.

Voilà plus de 3 mois qu’a été engagée une lutte de classes décisives en France. Dans ces multiples facettes, ce mouvement commence à nous donner des leçons et des perspectives claires pour la suite des événements. Dans cet article, nous allons présenter quelques unes de celles-ci et évaluer la situation dans laquelle se trouve le camp de notre ennemi, la réaction bourgeoise, et celui du peuple, c’est-à-dire du prolétariat et de ses alliés.

Quelle est la situation actuelle en France ?

Premièrement, il faut répondre à cette question : quelle est la situation actuelle ? Pour le gouvernement, la réponse est claire : la réforme a passé les « étapes démocratiques » malgré le 49.3, elle est donc promulguée. Tout est fini, rien à voir ! Circulez mesdames et messieurs, il est l’heure de passer à autre chose ! Bien sûr, cette tactique vise à nous imposer le silence sur la réforme et les autres revendications, à les considérer comme étant du passé. C’est dans ce sens que Macron a lancé son appel aux « 100 jours pour l’apaisement » dans son allocution.

D’un autre côté, pour les syndicats et les organisations politiques bourgeoises, la fin de la séquence parlementaire et législative pose problème. En effet, on sait que la CFDT a déjà précisé qu’elle ne parlerait pas des retraites pour toujours, et qu’elle aussi, elle passerait au final à autre chose. Pour la NUPES, il n’y a pas de débouchés, puisque le Parlement n’a servi à rien et que le référendum (le fameux « RIP » – Référendum d’Initiative Partagée) est pour l’instant rejeté par le Conseil constitutionnel. Par conséquent, toutes ces forces opportunistes n’ont désormais plus beaucoup à offrir au mouvement en terme de sortie politique. Le meilleur témoin de cette tendance, c’était l’appel pathétique de la CFDT et du PS au Président afin de ne pas promulguer la loi, comme Chirac l’avait fait en son temps. Mais qui peut croire que Macron n’allait pas promulguer cette réforme ? C’est un bel aveu d’impuissance d’en être arrivé là.

Cependant, dans les larges masses, une colère gronde, qui refuse que tout soit perdu. Le slogan « Nous aussi on va passer en force ! » s’est répandu comme une traînée de poudre. Les rassemblements, manifestations, casserolades et autres continuent à fédérer, et plusieurs secteurs d’activité n’ont pas dit leur dernier mot dans la lutte et la grève. Bien plus que ça, au-delà de la question des retraites, les revendications non-traitées du prolétariat sont toujours en suspens. Santé, éducation, logement, et surtout dans la période actuelle prix et salaires, sont dans toutes les têtes. Pas un rassemblement ne passe sans que des centaines de personnes ne se rencontrent et échangent sur ces sujets. Pas une manifestation n’a lieu sans que, même dans des petites villes, des affrontements et débordements spontanés arrivent, avec une répression acharnée.

Par conséquent, la situation objective est révolutionnaire, en développement inégal. Révolutionnaire, car la bourgeoisie ne parvient pas à gouverner « comme avant ». Elle vit une crise politique interne. Et elle ne peut pas ramener dans le rang les masses qui se lèvent depuis les Gilets Jaunes et faire taire la contestation. L’impérialisme français s’est illustré à l’international dans sa démagogie, sa brutalité et sa barbarie à l’égard de ses « citoyens ». Une situation révolutionnaire en développement inégal, car il est faux de dire que nous sommes aux portes du pouvoir, que le gouvernement de Macron et l’État bourgeois sont sur le point de s’effondrer sous notre pression. Mais de façon objective, une majorité des masses (64 % de la population / Sondage de l’Institut Elabe pour BFMTV, paru le 17 avril. Parmi eux, 70 % sont favorables à un durcissement.) soutient la continuation du mouvement, et la détestation du gouvernement bourgeois a augmenté drastiquement. Par exemple, la Première ministre Borne, en visite dans un supermarché, a été copieusement huée, tandis que Macron tente de se racheter une côte de popularité.

La bourgeoisie en crise politique, vers une crise de régime

En appuyant sur tous les leviers de la constitution de la 5ème République, Macron a fait passer sa réforme anti-populaire. Mais en le faisant, il a aggravé une tendance qu’il avait déjà dès son premier quinquennat : le présidentialisme. En effet, comme prévu dans la 5ème République, le Président a des rôles étendus, et le Parlement peut se retrouver n’être qu’une chambre d’enregistrement des désirs du Président.

Avec Macron, cette attitude a triomphé à 100 % ! Avec sa volonté de gouverner par décrets, son utilisation du 49.3 et d’autres articles de la Constitution, il n’a pas hésité une seule seconde ! Le Parlement a été mis de côté, ce qui va à l’encontre de principes démocratiques bourgeois fondamentaux. Les autres forces politiques ont échoué avec leur « motion de censure », et sont soit absorbées par Macron (LR), soit dans une opposition stérile (NUPES, RN). La gauche est impuissante et sans recours, tandis que l’extrême-droite et les éléments fascisants surfent sur la crise, sans toutefois pouvoir lui donner de sortie immédiate. En effet, le RN ne cherche pas à gouverner avec un Premier ministre, mais bien à viser 2027 pour s’emparer enfin du pouvoir présidentiel, dans une République qui aura été habituée à son usage extensif et radical.

Il faut rejeter tous les appels à sauver le parlementarisme, car ils ne viennent que de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie, qui versent des larmes de crocodile que leur Parlement, dont une majorité des masses n’a rien à faire, soit effectivement fantoche !

Dans ce contexte, la crise politique du camp bourgeois, sans porte de sortie avant 2027, pose la question d’une crise de régime. Le présidentialisme en toute détente de Macron, qui se permet d’affirmer qu’il y a « trop de lois » en allocution ou encore sa volonté d’aller séduire à droite en accélérant les mesures réactionnaires, montrent que cette crise pointe son nez. En perspective, il reste les 4 ans de quinquennat, où la situation va se préciser et où la bourgeoisie nous mène, pour 2027, à un désastre annoncé. Voilà ce que nous a confirmé, sur le plan de la bourgeoisie, tout ce mouvement.

Pour le prolétariat, la nécessité d’une direction et des forces subjectives

Et sur notre camp, que nous apprend-il ? Eh bien, si la situation objective est excellente, la situation subjective elle, laisse à désirer. Les directions syndicales ont montré que leurs tactiques d’intersyndicale ne marchent plus sur un gouvernement qui n’écoute pas la contestation populaire mais plutôt les sirènes des marchés financiers. Elles ont amené dans la rue des millions de personnes, ont mis en place un front uni historique qui a tenu un temps record… et tout ça pour quoi ? Pour que Macron et Borne puissent leur dire « la récré est finie, on rentre à la maison ! ».

Les directions syndicales ont voulu croire que c’était dans les vieux pots qu’on faisait les meilleures soupes ! Mais elles sont restées en surface des choses, et ont appliqué des vieilles tactiques inefficaces, incapables de pousser la grève générale illimitée et la contestation dure. Après le 16 mars, perdant leur monopole sur le mouvement, elles ont cherché l’apaisement. Dans de nombreux départements, ce sont les intersyndicales elles-mêmes qui ont voulu contenir la colère et là où ça n’arrivait pas, les syndicats se retrouvaient isolés. L’apaisement, c’est la politique voulue par la bourgeoisie et par Macron, symbole des « 100 jours » de son allocution du 17 avril.

Des millions de personnes ont bougé, ont bloqué, ont manifesté. Et pourtant, les organisations révolutionnaires n’ont pas encore pu porter une réelle alternative révolutionnaire jusqu’à toutes ces masses. Le mot d’ordre de révolution socialiste, propagé ici et là, se fraie un chemin, mais n’est pas encore dominant. Pourtant, en toile de fond de cette mobilisation, ce qui se joue c’est l’adhésion grandissante d’une partie de notre classe à l’idée centrale qu’il n’est pas possible de faire de la politique sans avoir le pouvoir. Que le pouvoir est entre les mains de la bourgeoisie, et qu’il faut le lui prendre ensemble.

L’absence d’un Parti Communiste authentique a pesé de tout son poids sur ces mois de mouvement. Le « PCF » était plus concentré à parler de « frontières passoires » qu’à faire ce pour quoi il devrait exister. Cette absence a permis à une direction anti-prolétaire du mouvement de se maintenir, et a contribué à la confusion des gens sur le mouvement. Sans Parti Communiste, alors que le gouvernement n’écoute pas, certaines personnes en parviennent à la conclusion : « Au fond, à quoi bon se mobiliser ? ».

Et pourtant, les luttes ont fleuri comme rarement, et l’enthousiasme a été partagé dans des grandes manifestations. La question du pouvoir a été posée malgré le point de vue étroit de l’intersyndicale sur les retraites, et la violence révolutionnaire a été choisie par un nombre grandissant. Dans ce contexte, il ne suffit pas de dire « Les révolutionnaires seront prêts les prochaines fois ! », il faut poser dès maintenant les fondations les plus solides afin que nous puissions faire des avancées audacieuses sans être soumis à l’agenda de réformes de la bourgeoisie. C’est l’enjeu des mois et années à venir pour le prolétariat.