La police et la justice main dans la main pour écraser la révolte des banlieues

Face aux révoltes ayant suivi la mort de Nahel, la justice s’est montrée
implacable et les peines prononcées sont particulièrement lourdes.
C’est l’illustration la plus flagrante d’un élément central du rôle de
l’institution judiciaire : être au service de la police dans sa mission de
répression.

Les peines tombent les unes après les autres : un an par ci, six mois par là. Le
mot « ferme » revient à de nombreuses reprises, et le terme « mandat de
dépôt » également. Au total, 350 personnes ont déjà été jetées en prison
depuis le début des révoltes, il y a seulement une semaine. Les comparutions
immédiates s’enchaînent, et dans certains tribunaux, les audiences ne durent
pas plus de vingt minutes par affaire.


Il s’agit là de l’application des consignes de fermeté données par le
gouvernement. Envolé le mythe de l’indépendance de la justice, le ministère de
la justice a en effet demandé aux procureurs dans une circulaire du 30 juin une
réponse « rapide, ferme et systématique ». Le ministre a également plaidé
pour un usage massif de la comparution immédiate et de celle sur
reconnaissance préalable de culpabilité, afin d’expédier les affaires le plus
rapidement possible. En outre, la circulaire incite les procureurs à engager le
maximum de poursuites pour « participation à un groupement en vue de la
préparation de violences ou de dégradations
».


Ces trois préconisations du ministère esquissent une stratégie de répression
particulièrement intense. Le motif de participation à un groupement en vue de
la préparation de violences ou de dégradations étant particulièrement flou, il
permet d’arrêter quasiment n’importe qui. Le caractère systématique des
poursuites exigé par le ministère permet de multiplier les procédures. Enfin,
les comparutions immédiates servent à expédier rapidement les affaires, tout
en empêchant au maximum les accusés de préparer leur défense avec leurs
avocats. L’objectif est également que les procès aient lieu tant que l’émotion
lié aux révoltes est encore fort dans une partie de l’opinion publique, et ainsi
légitimer des condamnations particulièrement lourdes. Ces trois éléments
cumulés visent ainsi à permettre un maximum d’arrestations et
d’incarcérations pour briser le mouvement de révolte et faire peur.


Chaque condamné prend pour tous les autres


La justice, prétendument indépendante, se plie à ces exigences. L’interdiction
faite au pouvoir politique de donner des consignes aux procureurs dans des
affaires individuelles est contournée par des consignes collectives, comme
celles citées plus haut. Les magistrats du siège – ceux qui jugent et prennent
les décisions finales – se montrent quant à eux si sévères dans leurs décisions
qu’il est désormais évident pour tout le monde que celles-ci sont prises en
fonction des intérêts du gouvernement, et plus largement de l’État bourgeois.
En effet, les placements en détention provisoire pleuvent, y compris pour des
individus au casier vierge. Les peines, quant à elles, suivent bien souvent les
réquisitions des procureurs, avec des mandats de dépôt qui tombent les uns
après les autres. Parfois jusqu’à l’absurde, comme pour cet homme de 28 ans
condamné à dix mois de prison ferme et immédiatement incarcéré après avoir
volé une seule canette de Redbull le 29 juin à Marseille.


Face à une révolte de grande ampleur, la justice en oublie ainsi ses propres
principes, notamment celui de l’individualisation des peines : chaque
participant aux révoltes arrêté et jugé prend pour tous les autres. Près de 11%
des personnes arrêtées sont déjà passées derrière les barreaux, alors que de
nombreux procès n’ont pas encore eu lieu. Le message est clair, il ne s’agit pas
de juger chaque cas spécifiquement et uniquement pour les faits commis, mais
bien de juger le mouvement de révolte dans son intégralité afin d’envoyer un
message. Une situation parfaitement résumée par le procureur lors d’une
audience à Strasbourg, dans des propos rapportés par Rue89 Strasbourg : «
Cette vague de violence est socialement inacceptable et n’a rien à voir avec la
mort du jeune Nahel. Ce sont des attaques aux valeurs qui font la République.

» À elle seule, cette phrase illustre la peur des autorités : voir la révolte
dépasser largement le cas de Nahel et attaquer les fondements mêmes de
l’État capitaliste français.


En période de crise, l’État montre son vrai visage


La particulière sévérité avec laquelle la justice a expédié ces affaires illustre la
nécessité pour l’État de régler la crise engendrée par le meurtre de Nahel. Si
en période normale, hors mouvement social, la justice peut se permettre de
juger individuellement chaque cas, et de respecter – au moins dans certains
cas – ses principes, comme celui de ne pas condamner sans preuves ou aveux,
en période de crise, la priorité change. C’est dans ces périodes de crise intense
que le pouvoir et toutes ses composantes, y compris la justice, montre son vrai
visage.


Ces derniers jours, nous avons toutes et tous pu voir que la justice est au
service de la police. Elle est ainsi un élément de l’arsenal répressif étatique.
Son indépendance, toute relative habituellement, a volé en éclats, et les juges
ont fait exactement ce que l’État attendait d’eux. Loin de comprendre les
raisons des révoltes et envisager des peines légères en raison du contexte
d’intense colère, les juges ont choisi de participer, activement et avec zèle, à la
répression. Le gouvernement, de son côté, a choisi la même voie. Aucune loi
d’amnistie pour les milliers de participants aux révoltes n’est à l’ordre du jour,
bien au contraire. C’est là toute l’illustration d’un changement d’époque depuis
quelques années : si l’État pouvait encore jouer l’apaisement face aux grands
mouvements sociaux et aux révoltes populaires, comme l’avait par exemple
fait Chirac en 2005 dans une allocution télévisée après la mort de Zyed et
Bouna, le climat est aujourd’hui tellement tendu et les luttes tellement
intenses en France que cela n’est plus possible. Les menaces proférées par
Emmanuel Macron et son gouvernement à l’encontre des parents des
participants aux révoltes en sont la parfaite illustration.