Nouvelle Epoque vous présente aujourd’hui une interview réalisée avec une membre du Comité Féminin Populaire, une organisation de femmes créée il y a peu, lors du 8 mars 2023.
NE : Bonjour camarades. Tout d’abord, merci de nous accorder cette interview. Pour commencer, pouvez-vous présenter le Comité Féminin Populaire ?
CFP : Le Comité Féminin Populaire (CFP) est le produit d’un travail de plusieurs années d’activistes révolutionnaires, au travers des Comités Populaires d’Entraide et de Solidarité (CPES) au cœur des quartiers populaires. En partant du constat matériel que ce sont principalement les femmes des quartiers qui se mobilisent pour leurs familles et pour leur classe, la nécessité d’une organisation révolutionnaire de femmes s’est rapidement imposée à nous. Les premiers pas du CFP se font autour de la participation active aux luttes des habitants dans les CPES, mais aussi avec la présence du Comité sur les piquets de grèves, où une fois de plus les femmes se mobilisent en masse. Au niveau idéologique, nous nous basons sur une analyse marxiste et internationaliste de la situation des femmes du prolétariat en France et ailleurs.
NE : C’est intéressant. Pouvez-vous nous expliquer de quel héritage idéologique et historique vous vous revendiquez ?
CFP : Les femmes ont toujours été à l’avant-garde des révoltes et dans le feu de la lutte des classes. Une des premières expériences de véritable organisation de femmes prolétaires en France remonte à 1936, avec l’Union des Jeunes Filles de France (UJFF), fondée par la grande camarade Danielle Casanova, figure de la résistance. Les Jeunes Filles de France ou le Comité Féminin, en tant qu’organisations, ont historiquement joué un rôle fondamental dans la résistance en France sous l’Occupation, c’est aussi un marqueur important.
A l’époque, ces organisations travaillaient conjointement avec la Jeunesse Communiste et les Comités Populaires d’Entraide et de Solidarité sur les lieux d’habitation, pour servir le peuple en mettant en avant la nécessité d’un Front unique. Ces femmes ont porté au plus haut le principe de l’unité de la classe. En tant que femmes révolutionnaires, nous sommes également profondément internationalistes, et nous nous inspirons actuellement des mouvements féminins populaires qui ont fleuri dès les années 1980 en Amérique latine et qui continuent d’embraser non seulement la révolte des femmes mais celle de la classe toute entière.
NE : Quels sont selon vous les aspects spécifiques de la lutte des femmes en France ? On dit souvent que la spécificité du prolétariat de France est d’être très combatif, qu’en
est-il pour les femmes en particulier ?
CFP : En tant que pays impérialiste, la France se drape dans une égalité et un «féminisme» de façade. Au regard des lois, hommes et femmes sont strictement égaux. La bourgeoisie est incapable de voir la base matérielle du problème, car cela remettrait en cause son existence, elle est donc aussi incapable d’expliquer pourquoi le patriarcat continue de subsister, malgré le fait que l’égalité ait été décrétée. Elle finit donc par en faire une affaire individuelle, ou une division infranchissable entre hommes et femmes. Le prolétariat prouve le contraire chaque jour, car hommes et femmes de notre classe vivent, travaillent et luttent côte-à-côte. Nous ne disons pas par-là que les hommes prolétaires ne sont pas sexistes, mais nous y voyons la preuve que le problème est ailleurs, dans le système.
Tout comme les hommes, les femmes de France portent une combativité millénaire, qui se ressent dans la lutte, sur les piquets de grèves, devant les bailleurs sociaux et dans les émeutes où nous sommes toujours présentes, malgré les faux discours de certains. La combativité des femmes de France est montrée chaque jour qui passe, quand nous nous battons pour nourrir notre famille, quand nous survivons aux violences du système, quand nous nous tuons au travail sans jamais flancher.
Si on devait décrire les camarades que nous avons croisées récemment dans le mouvement contre la réforme des retraites ou sur les piquets de grèves, nous devrions citer leur abnégation sans faille, leur sens profond de la justice et surtout leur optimisme inébranlable. Mais c’est sans doute le feu des barricades qui réchauffe les cœurs. (Rires)
NE : Dans le contexte actuel, pouvez-vous nous dire ce que vous avez pensé de la lutte des travailleuses de Vertbaudet ?
CFP : La lutte des travailleuses de Vertbaudet a fait beaucoup de bruit pour plusieurs raisons. D’abord, la répression inadmissible qu’elles ont subi, un exemple criant de la réactionnarisation en cours. Mais également car depuis la lutte des travailleuses de l’hôtel Ibis des Batignolles, les grandes grèves dans les secteurs majoritairement féminins ne sont pas les plus nombreuses ou les plus médiatisées. Nous étions habituées à la grève des cheminots, des énergéticiens, des éboueurs… bien moins aux caissières, vendeuses, couturières et assistantes maternelles. Et pourtant elles deviennent si nombreuses !
D’abord, si elles étaient autrefois plus rares, elles étaient aussi moins médiatisées. Ensuite, la précarité des travailleuses, qui cumulent les métiers les moins bien payés avec des temps partiels, rend difficile la tenue de grèves sur de longues durées. Mais ce qui est principal, c’est que c’est une situation qui va se multiplier, puisqu’elle est le fruit de son époque. La seconde crise de l’impérialisme que nous connaissons accentue la précarité des exploités, et quand il y a oppression il y a résistance ! Pour se tenir debout la bourgeoisie française, au travers de son gouvernent pantin, va faire passer nombre de réformes assassines, va augmenter les prix, va dégrader les conditions de travail. En réponse à cela, nous multiplierons les mouvements de révolte, les grèves, les luttes contre ceux qui nous volent. Et nous, femmes du peuple, serons en tête.
NE : Comment lisez-vous la campagne récente du gouvernement « contre le harcèlement de rue » ?
CFP : Le gouvernement du réactionnaire Macron, qui avait fait de son précédent quinquennat celui de «l’égalité hommes-femmes» utilise maintenant les Forces du désordre pour distribuer des tracts de prévention contre les violences sexistes et sexuelles. L’objectif, selon eux, est d’alerter sur la bonne conduite à tenir si vous êtes témoin d’une agression.
D’abord, c’est l’occasion de rappeler l’accueil déplorable fait aux femmes après une agression dans les commissariats en France (refus de plainte, moqueries, attente, inversion de la charge de culpabilité…). Ensuite, c’est une fois de plus compter sur la voie légaliste pour régler le problème et invisibiliser l’essence de ces violences, qui ne sont rien d’autre que le fruit du patriarcat.
Le fond de l’affaire, c’est que cette campagne n’est pas du tout une bonne chose pour nous. Au contraire, elle fait partie de la réactionnarisation du régime que l’on connaît depuis quelques années, et qui va en s’empirant. Ce n’est pas un hasard si ce sont les policiers qui distribuent les tracts et font la prévention, cela permet de «redorer leur blason». C’est une nécessité pour l’État de défendre sa colonne vertébrale qu’est la police. Tout est bon pour cela, même utiliser les justes revendications des femmes ; comme si d’ailleurs, ils n’avaient déjà pas le pouvoir et n’étaient responsables en rien des violences faites à notre encontre.
NE : Y a-t-il autre chose que vous souhaiteriez partager avec nous ? Citations, anecdotes, références ?
CFP : Je terminerai avec cette simple citation, qui en dit beaucoup pour nous, car elle signifie que notre émancipation ne viendra que de la lutte pour une société nouvelle, débarrassée du capitalisme :
«Pour être l’égale de l’homme, la femme doit être la camarade de l’homme», Danielle Casanova.