Photo d’illustration : Hedi, victime d’un passage à tabac par la BAC à Marseille, ici à l’hôpital avec ses parents et un ami qui était présent avec lui le soir de l’agression.
3 moments symbolisent la violence réactionnaire de l’État en France depuis janvier 2023 :
Premièrement, la « bataille de l’eau » à Sainte-Soline. Le 25 mars, autour de gigantesques trous vides (les fameuses « bassines »), les forces armées de l’État tirent plus de 5 000 grenades. Parmi elles, des GM2L. Ce sont des grenades à gaz lacrymogène, armés avec une charge explosive. Elles sont censées ne pas « faire d’éclats » en explosant, et pourtant, les tests prouvent qu’elles en font. Lors de la manifestation, plus de 200 personnes sont blessées par ces grenades, ou par des LBD, avec des blessures importantes : plaies, lacérations, trous dans la peau. Serge, 32 ans, a été mis dans le coma par une de ces armes. Tout ça, sans compter l’impact psychologique d’un déferlement continu de détonations, lancées par les unités de gendarme en quads.
Deuxièmement, le 1er Mai et les manifestations. Pendant tout le mouvement contre la réforme des retraites, et surtout après le passage du 49.3 par le gouvernement, des éruptions spontanées de combativité ont été réprimées par l’État bourgeois. Le 1er Mai, où plus de 300 personnes ont été arrêtées, fait office de date phare.
Troisièmement, et c’est le plus évident, le meurtre de Nahel à Nanterre et les révoltes qui en ont découlé. En une semaine, plus de 1000 personnes sont mises en prison, et on apprend surtout la mutilation de Hedi (22 ans) et la mort de Mohamed Bendriss (27 ans) à Marseille. En face, le ministère de l’Intérieur ne rapporte aucun blessé grave dans la police.
Ces événements ont été longuement commentés.
Du côté de la politique bourgeoise, la justification de la répression est toujours la même : on accuse les manifestants d’être des hordes sanguinaires. Darmanin parlait d’un 1er Mai « vengeur ». La droite criait à la « décivilisation » et Le Pen à des « tentatives d’assassinat » sur les forces de l’ordre. Voilà des arguments qui sentent bon le 19e siècle ! Même si les bourgeois actuels ont troqué leurs chapeaux et leurs moustaches de l’époque pour des costumes et du botox, ils n’ont pas fondamentalement changé d’idée. Le prolétariat qui bouge, et qui entraîne d’autres couches du peuple avec lui, c’est toujours mauvais, il faut l’écraser.
Mais du côté du prolétariat, et même des personnes qui ont sincèrement des idées révolutionnaires, ce déferlement de violence a causé beaucoup de confusion. Sommes-nous en démocratie ? Le fascisme est-il déjà là ? La violence de l’État empêche-t-elle de larges masses de personnes de participer aux mouvements car elles en ont peur ? Comment comprendre la violence de l’État bourgeois ?
Premièrement : l’État, c’est la violence organisée
Pourquoi existe-t-il un État dans notre société ? Voilà une question qui peut paraître étrange au premier abord. Pourtant, l’État n’est pas une chose de la nature, comme le ciel ou la mer, dont l’existence s’impose à nous. C’est un appareil qui est utilisé dans les sociétés humaines pour un but. Quel est ce but ? Utiliser systématiquement de la violence pour contraindre les hommes à se soumettre à l’ordre actuel des choses.
Il y a eu les États des maîtres esclavagistes qui usaient de la violence sur leurs esclaves : c’était le cas de la Rome antique par exemple. Il y a eu les États des seigneurs féodaux, qui étaient la propriété des nobles. Et progressivement, dans le processus de développement de l’État, l’État bourgeois est né. En France, l’État bourgeois est le produit du développement de l’État monarchique français d’un côté, et de son chamboulement par la période ouverte par la révolution bourgeoise de 1789 de l’autre. Aujourd’hui, nous vivons encore sous la domination de cet État, qui s’est bien développé depuis.
Comment impose-t-il la violence ? Le grand marxiste russe, Lénine, nous dit la chose suivante :
« Si l’on fait abstraction des doctrines religieuses, des subterfuges, des systèmes philosophiques, des différentes opinions des savants bourgeois, et si l’on va vraiment au fond des choses, on verra que l’Etat se ramène précisément à cet appareil de gouvernement qui s’est dégagé de la société. C’est quand apparaît ce groupe d’hommes spécial dont la seule fonction est de gouverner, et qui pour ce faire a besoin d’un appareil coercitif particulier, – prisons, détachements spéciaux, troupes, etc., afin de contraindre la volonté d’autrui par la violence, alors apparaît l’Etat. » De l’État, Lénine (1919).
Autrement dit : vous cherchez l’État ? Vous le trouverez dans les gouvernants et dans tous les groupes armés qui le soutiennent. En France, il y a environ 280 000 membres des « forces de l’ordre » (police nationale, municipale, gendarmerie) et 270 000 militaires. On peut y rajouter les 41 000 fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. Voilà, concrètement plus de 600 000 personnes dont la seule raison d’être est de garantir la sécurité (intérieure et extérieure) de l’État par la violence réactionnaire.
Deuxièmement : La répression violente de l’État a aussi lieu en démocratie bourgeoise
Ces 600 000 personnes dédiées à l’utilisation de la violence systématique ne sont pas tombées du ciel. Elles sont entraînées, intégrées dans des institutions et mises en service par l’État bourgeois depuis des décennies, voire des siècles. Certains de ces groupes armés, comme la gendarmerie, sont directement issus d’une longue histoire remontant aux Rois de France. Cela fait donc depuis longtemps que la violence réactionnaire systématique est organisée par l’État.
Pourtant, en France, nous vivons dans un régime de démocratie bourgeoise. C’est-à-dire une forme de gouvernement où la classe bourgeoise organise son pouvoir, sa dictature, avec des libertés relatives, des principes libéraux comme l’État de Droit, la constitution… Mais en 2023, il faudrait être aveugle et ignare pour penser que cette « démocratie » des riches signifie un régime sans violence ni répression !
L’État bourgeois n’a pas pour fonction première de faire tourner les hôpitaux, les écoles ou bien les pôle emplois. Comme nous l’avons vu, il vise avant tout à organiser systématiquement la violence avec des groupes armés. Les dépenses dans ces domaines « sociaux » ont augmenté après la Seconde Guerre Mondiale par le développement de l’État d’un côté, et le développement de la lutte de classes de l’autre. Les prolétaires se sont battus pour la santé, l’éducation et d’autres droits sociaux, et l’État les a mis sous sa coupe (avec d’autres industries comme l’énergie ou le transport) à une période où toute l’économie était en reconstruction. Tout ça s’est déroulé avec le regard bienveillant des opportunistes et des révisionnistes[1] qui vendaient la lutte prolétarienne pour un « plat de lentilles ».
Le capitalisme est bien incapable aujourd’hui de sauver ce « service public » ! Il est évident que le prolétariat devra administrer lui-même la santé, l’éducation ou bien le transport une fois qu’il aura pris le pouvoir. Mais dans les circonstances actuelles, la « casse » du service public est la conséquence de la restructuration de l’État sur ses besoins militaires. De plus, une partie du « service public », et notamment l’école et les entreprises d’État, sont des terrains fertiles à la mise en œuvre de politiques corporatistes qui visent à dépolitiser les masses. Les lois successives sur les universités et les lycées dans les années 2000-2010 avaient précisément cet objectif.
Parce que l’analyse marxiste de l’État n’est pas comprise, on voit surgir deux conclusions erronées.
Premièrement, la violence de la police, par exemple, serait anormale, et il faudrait la « refonder » ou la « transformer » pour qu’elle soit moins violente.
C’est l’argument typique des petits bourgeois réformistes. Le problème ne serait pas l’État bourgeois dans son ensemble, qui organise la violence, mais simplement des petits « bugs » au sein de celui-ci : telle unité de police, telle institution. Aujourd’hui par exemple, cela se manifeste avec les appels des partis de gauche à créer une « Police de proximité » et à réformer l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale, qui passe sous silence les violences policières).
Aux Etats-Unis, le mouvement Defund the Police (littéralement « Couper les fonds à la police ») est devenu commun après 2020 et le meurtre de George Floyd. A Minneapolis, par exemple, le budget de la police a été coupé de 20 millions de dollars après 2020, et 1/3 des effectifs ont quitté la police locale. Pourtant, fin 2022, le budget était revenu à la normale et un rapport montrait que la police était toujours aussi violente et raciste. Ces positions réformistes reviennent, au final, à souhaiter une démocratie bourgeoise sans violence.
Mais c’est une impossibilité : la démocratie bourgeoise, même la plus « démocratique » (et nous savons très bien en France que nous sommes loin des standards les plus démocratiques !), produit de la violence car elle s’accompagne de l’exploitation, de l’oppression, de la pauvreté. Aujourd’hui, lorsque l’on parle de crise en France, ce n’est pas une crise du « modèle français », ou une crise de la « démocratie » en général, abstraite. C’est bel et bien une crise de la bourgeoisie impérialiste française, une crise de la démocratie bourgeoise en particulier.
Troisièmement : Le fascisme n’est pas seulement la terreur violente de l’État
La deuxième erreur, c’est d’associer la violence de l’État bourgeois au fascisme et de dire que, comme l’État est violent, nous vivons dans un régime fasciste.
Le Président Gonzalo, révolutionnaire péruvien, nous prévenait déjà de cet écueil :
« Quant au fait d’identifier fascisme avec terreur, avec répression, il nous semble que c’est une erreur ; voilà ce qui se passe dans ce cas : si on se rappelle le marxisme, l’État est la violence organisée. C’est cette définition que nous ont donnée les classiques et tout État utilise la violence parce qu’il est dictature. Sinon, comment lutterait-il pour opprimer et exploiter ? Il ne pourrait pas le faire. Ce qui se passe en fait, c’est que le fascisme développe une violence plus vaste, plus raffinée, plus sinistre, mais on ne peut pas dire que fascisme est égal à violence, c’est une grossière erreur. […] Chaque fois que les réactionnaires se sont trouvés en difficulté, ils ont appliqué la terreur blanche. Aussi, en aucun cas nous ne pourrions identifier et réduire tous les fascismes simplement à la terreur. Nous devons comprendre qu’il s’agit d’une violence plus raffinée et que bien sûr il développe le terrorisme mais ce n’est pas tout. C’est un des composants, c’est sa manière de développer la violence réactionnaire. » Interview au journal El Diario.
Pour conclure, la répression que nous connaissons aujourd’hui en France est frappante à juste titre. Son ampleur et son côté systématique interroge, et nous rappelle l’essence de l’État bourgeois qui nous gouverne. Cette machine infernale est en crise, et sa violence déchaînée n’est pas un signe de puissance, mais de faiblesse. Si l’État bourgeois français connaît une réactionnarisation, c’est que la bourgeoisie sait que sa fin est annoncée. Elle essaie de conjurer la révolution prolétarienne par des coups de matraque et des LBD. Mais rien ne peut arrêter les masses qui font la révolution.
[1] Partis qui ont abandonné le marxisme et la révolution prolétarienne.