Sur le « Nouveau Front Populaire »

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Après la dissolution de l’Assemblée nationale, annoncée par Emmanuel Macron suite aux élections européennes, la nouvelle assemblée sera élue dans une élection par circonscription, à deux tours : le premier ce dimanche 30 juin, le deuxième le dimanche 7 juillet. Nous vous invitons à prendre connaissance de notre article d’analyse suivant les résultat des élections européennes en France.

Nous consacrons un article dédié au « Nouveau Front Populaire », coalition électorale qui se présente pour les législatives de 2024 et allant du NPA au Parti Socialiste. Notre appel au boycott de cette mascarade électorale le 10 juin, lendemain de la dissolution du Parlement par Macron, était très clair. Ainsi nous nous concentrons dans cet article sur le « NFP » car il est la seule nouveauté depuis ce jour, à l’exception de la débandade Ciotti à droite. Le cas LR mérite d’être étudié : premièrement comme un cas typique d’un parti bourgeois qui explose, deuxièmement, comme une comédie navrante sur la bourgeoisie française de 2024. La crise politique qui se déploie depuis 2017 sans discontinuer mène à une crise de régime pour la démocratie bourgeoise française toute entière.

Quant au « NFP », n’est-il pas lui aussi l’enfant de cette crise où, en 10 jours, toute la situation politique en gestation s’est accélérée d’un coup ?

Bien sûr que si !

Premièrement, du point de vue extérieur, les forces de la « gauche » électorale, des sociaux-démocrates aux révisionnistes du PCF, ont tous eu immédiatement la peur de perdre leur place, la peur d’être balayés par les urnes. Face à la vague RN qui emporterait leurs sièges, ils ont immédiatement conclu un accord.

Deuxièmement, d’un point de vue interne, plusieurs groupes s’activaient depuis des mois pour paver la voie vers cette « union » pour 2027. Plusieurs médias ont révélé des dîners organisés par Olivier Legrain, un homme d’affaires français qui a fait fortune dans le groupe Lafarge, un des principaux monopoles de construction français. Monsieur Legrain invitait donc des communistes, des écologistes, des socialistes mais aussi François Ruffin pour discuter de l’avenir de la gauche et paver la voie à une candidature unique laissant Mélenchon sur la touche. De son côté, LFI voulait insister après les européennes sur le fait qu’ils avaient gagné 1 million de voix par rapport à 2019 pour se préparer aux négociations. Au PS, Glucksmann a fait la moue en entendant Macron dissoudre : avec son score aux européennes, il était en position de force pour affirmer sa position dans le reste de la gauche ! Ainsi, ce qu’ils avaient tous prévu de faire en 3 ans, avec de nombreuses « trahisons » et retournements de situation, ils ont été forcé de le faire en une semaine.

Voilà la genèse du « NFP », une alliance électorale de crise : la crise de la gauche bourgeoise et petite-bourgeoise face au reste de la politique bourgeoise, mais aussi face à elle-même.

L’écran de fumée du « NFP » a deux origines : 1) le nom utilisé : Front populaire ; 2) le programme.

Concernant le nom, ils ont décidé de reprendre un nom mythique de la gauche française, ce qu’ils n’avaient pas fait en 2022. Le Front Populaire de 1936, comme Mai 68, fait partie des dates qui éveillent beaucoup d’idées et d’émotions dans les masses qui ont suivi longtemps le PCF ou le PS.

Mais il est clair qu’en 2024, il y a tromperie sur la marchandise. Premièrement, car en 1936, le Front Populaire était une application française de la tactique de Front uni contre le fascisme de l’Internationale Communiste. Elle se basait sur des comités de base et sur l’union des ouvriers communistes, socialistes et sans-partis. Ce n’était pas un accord de gouvernement, d’ailleurs la gauche du Front Populaire n’est pas allée au gouvernement, et les gains sociaux n’ont pas été conquis dans les urnes mais dans la grève de juin 1936. L’équilibre des forces dans le Front Populaire de 1936 penchait au parlement vers les socialistes, mais dans les masses largement vers la gauche du mouvement ouvrier.

Aujourd’hui, cette coalition est sans principe. Entre le NPA de Poutou et Place Publique de Glucksmann, ce ne sont pas des petits désaccords, c’est soi-disant à l’opposé. Pourtant, il y a une union politique entre eux. Tous les chefs de parti de gauche ne peuvent ignorer qu’en cas de majorité RN, il n’y aura pas de gouvernement fasciste tout d’un coup, pourtant ils font l’alliance, car c’est leur seule manière de se sauver en tant qu’appareils de parti et de candidats. Ainsi, ils jouent ouvertement avec ce qui touche les gens (le « front face au fascisme ») alors qu’eux mêmes savent très bien que ce qui se joue n’est pas ça, mais leurs sièges. En effet, la Vème République est faite pour donner la part-belle au Président, et un Premier Ministre, même majoritaire, ne pourra pas changer ça. La cohabitation a existé précédemment et on peut regarder ce qu’il s’est passé. Il est certain que Bardella dirigerait un gouvernement davantage réactionnaire, qui attaquera les droits du peuple, mais il ne pourra pas instaurer un régime fasciste depuis Matignon.

Ensuite, comment a été négociée l’alliance ? En mode NUPES 2.0, avec répartition des circonscriptions sur une grande carte, où le PS a gagné 100 candidats par rapport à 2022. Tout ça sans accord de gouvernement mais avec la condition explicite que tous les partis devront être présents au gouvernement, dans un remake de la gauche plurielle ou même de l’élection d’Hollande en 2012 (lui aussi de retour). Ainsi, le « NFP » n’est ni nouveau, puisqu’il est un retour de la soupe NUPES d’il y a deux ans, ni un front, puisqu’il n’est qu’une alliance électorale sans pratique de masse hors des urnes, ni populaire, puisque son centre de gravité est le PS, qui représente la bourgeoisie social-libérale.

Concernant désormais le programme, car on nous opposera peut-être qu’un programme « de gauche » a été sorti. Premièrement, il faut souligner la faiblesse du programme, comparable à un programme socialiste d’il y a 10 ou 20 ans qui se contentait de quelques mesures sociales pour appliquer l’étiquette « gauche » à son projet. Deuxièmement, il y a l’hypocrisie de faire figurer un grand nombre de sujets internationaux ou de politiques économiques de long terme alors que Macron reste président les 3 prochaines années. Ainsi, tous les mots sur Gaza, l’Ukraine etc sont des mensonges électoraux inapplicables par un quelconque premier ministre de gauche, que ça soit Mélenchon ou Ruffin. De plus, c’est la ligne du PS qui l’a emporté, ce qu’on voit avec l’emphase sur la « diplomatie française », la livraison d’armes à l’Ukraine etc. LFI a bradé la Palestine, eux qui prétendaient faire leur campagne des européennes sur ce sujet !

Il faut regarder le « NFP » en face : c’est un accord électoral d’urgence, de court-terme, pour aller chercher des postes à l’assemblée et espérer une majorité. Dans le cas où cette majorité deviendrait une réalité, les véritables projets des uns et des autres reviendront sur le devant de la scène. C’est ainsi qu’on peut analyser la présence d’Hollande, de Glucksmann ou de Delga, le rôle de Roussel, l’élimination et la rupture entre le coeur de LFI d’un côté et les personnalités (Ruffin, Autain) et anciens cadres (Garrido, Corbière…) de l’autre, le rôle des écologistes comme centre de négociations etc. Enfin, que dire de l’exemple ironique où Aurélien Rousseau, ancien directeur de cabinet d’Elisabeth Borne pendant la réforme des retraites, est investi par le NFP, qui va soi-disant l’abroger ! Dés que l’élection sera finie, les vautours qui tournent ensemble autour du cadavre de l’Assemblée ressortiront les dents pour se manger les uns les autres !

Que dire de l’entrain d’une partie de la gauche, de la jeunesse et des syndicats (confédération CGT) pour cet accord de crise ? Premièrement, que cela concerne surtout la petite bourgeoisie urbaine, qui panique depuis le discours de Macron. L’injonction à voter et la participation en hausse les touche surtout, bien que cela ait évidemment un relatif impact sur les masses populaires plus généralement. Mais il n’y a pas que la peur qui domine, ou même l’espoir d’une gauche « unie ». Dés le soir de l’accord électoral, au siège des écologistes, les jeunes militants du PCF, des écologistes ou encore des jeunes non-militants venus s’agglutiner devant les lieux chantaient deux slogans. Le premier était évidemment « Front populaire ». Mais le deuxième, c’était « Ne nous trahissez pas ». Au fond, tout le monde sait que la gauche va trahir, même ses militants. La révolution prolétarienne est l’unique opposition réelle à la politique de la bourgeoisie.

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