Rendons hommage à G.N. Saibaba, mort pour la Nouvelle Démocratie !

G.N. Saibaba

Le 12 octobre, nous avons appris avec stupeur le décès de G.N. Saibaba, professeur indien. A moins de 60 ans, il venait de passer 10 longues années dans les prisons du régime de Modi. Il a succombé à un problème médical qui s’était développé dans les geôles.

Saibaba est né dans une famille paysanne de l’Andhra Pradesh. Dés l’âge de 5 ans, après avoir contracté la polio, il souffre d’une paralysie de ses membres inférieurs qui l’oblige à se déplacer en fauteuil. A l’âge adulte, son handicap sera estimé à 90 %. Il n’avait pas d’électricité chez lui. Il n’a obtenu son fauteuil roulant qu’après son arrivée à Delhi en 2003. Avant cela, il se déplaçait en rampant et en utilisant d’autres moyens de soutien. Son père cultivait du riz sur trois acres de terre, mais lorsque le jeune Saibaba avait 10 ans, il a perdu sa terre au profit de créanciers. Malgré les difficultés, ses excellents résultats en classe lui ont permis d’obtenir des bourses d’études tout au long de sa scolarité. Il réussit dans les années 2000 à devenir professeur d’anglais à Dehli, grâce à sa détermination.

Dés 1992, il participe au Forum de la Résistance Populaire de l’Inde à Hyderabad et il commence à s’engager en tant qu’activiste pour les droits démocratiques et les droits des peuples. En 1998, à Warangal, il mobilise 200 000 personnes pour un meeting demandant le statut d’État pour le Telangana (région d’Hyderabad). G.N. Saibaba devient Secrétaire Adjoint du Front Démocratique Révolutionnaire (RDF). A sa première conférence en 2012, des centaines de délégués d’organisations de masses de paysans, d’ouvriers, d’intellectuels, d’avocats et d’autres sections du peuple ont élu leurs représentants, dont il faisait partie. Orateur de la conférence, Saibaba s’exprime sur les luttes nationales en Inde : « M. Saibaba a déclaré que le Cachemire mène une lutte de libération continue depuis 40 ans et que le RDF ne se contente pas de la soutenir, mais qu’il en fait également partie. Le RDF a pour mission de rassembler et d’unir tous les mouvements de lutte du sous-continent, y compris la lutte révolutionnaire, les mouvements de libération nationale du Cachemire, de Nagalim, d’Assam, de Manipur, etc., les demandes de séparation des États de Telangana, Gorkhaland et autres, ainsi que les luttes de masse des Dalits, des Adivasis, des travailleurs, des paysans et des femmes. »1 Plus tard la même année, le RDF est interdit par l’État.

Saibaba lors d’une manifestation contre la violence policière

Nous pouvons noter la grande force de G.N. Saibaba qui, malgré son handicap, dans une société semi-féodale semi-coloniale, est devenu une véritable dirigeant reconnu du mouvement démocratique. Il n’était pas que prisonnier, pas qu’un homme handicapé, il était avant tout un activiste de renom, un immense démocrate, participant à de nombreuses manifestations, protestations et conférences. Il est un exemple de ce que la lutte de classes produit de mieux : de grands militants qui surmontent les difficultés, même personnelles, même médicales, pour servir au mieux le peuple de tout leur cœur.

En mai 2014, la police du Maharashtra l’a arrêté sous l’accusation de liens présumés avec les maoïstes et d’avoir organisé des réunions au nom du Front démocratique révolutionnaire (RDF). Outre Saibaba, cinq autres personnes ont également été emprisonnées.
La détérioration de l’état de santé de Saibaba en raison de son handicap a conduit à une libération sous caution temporaire en 2015, qui a été annulée plus tard dans l’année. En 2016, la Cour suprême lui a de nouveau accordé une libération sous caution, mais en 2017, le tribunal de première instance du district de Gadchiroli l’a reconnu coupable en vertu de la loi sur la prévention des activités illégales (UAPA) et l’a condamné à la prison à l’emprisonnement à vie.

Cette loi, l’UAPA, remonte au tout début de la guerre populaire, en 1967, où elle visait à écraser les révoltes paysannes et nationales qui déferlaient sur l’Inde. En 2019, elle a été amendée par le gouvernement afin de permettre la poursuite et l’emprisonnement d’individus sans mesure de justice. Entre 2016 et 2020, 24 134 individus ont été arrêtés au nom de cette loi, et seulement 598 ont été jugés, la majorité acquittés. Cela signifie que près de 98 % des personnes arrêtées ne sont pas jugées mais emprisonnées sans procès. C’est une véritable loi anti-démocratique, pour réprimer les activistes.


Après des années d’emprisonnement à la prison centrale de Nagpur, la Haute Cour de Bombay a annulé le verdict du tribunal de Gadchiroli le 14 octobre 2022, acquittant Saibaba en invoquant l’insuffisance des preuves. Cependant, dès le lendemain, la Cour suprême a suspendu l’acquittement et ordonné un nouveau procès. Le 5 mars 2024, la Haute Cour de Bombay a acquitté Saibaba et d’autres personnes de toutes les accusations, déclarant que les preuves présentées n’étaient pas crédibles. Saibaba est libéré de la prison centrale de Nagpur le 7 mars 2024.


Pendant son séjour en prison, Saibaba a subi de graves épreuves, notamment l’isolement dans une  » cellule œuf « 2 pendant la pandémie de COVID-19. Il affirme que sa santé a été gravement négligée et que, malgré ses demandes répétées de traitement médical, on ne lui a souvent donné que des analgésiques pour soulager ses maux. Sa mort lors d’une opération médicale le 12 octobre est donc directement liée à ces mauvais traitements.

Partout dans le monde, dés 2014, la solidarité internationale avec le professeur G.N. Saibaba s’est exprimée. En Inde, au Bangladesh, aux Philippines, en Turquie, au Brésil, au Mexique, en Equateur, en Autriche, en Allemagne… son nom a été scandé pour la liberté. Des centaines d’activités diverses ont eu lieu pour exiger sa libération et dénoncer son arrestation illégitime. En France, nos camarades et ceux du Collectif Rouge Internationaliste (CRI Rouge) ont organisé des activités, conférences, collages, et autres en guise de participation à cette grande campagne dés 2015. En 2018, le premier grand cortège de jeunes révolutionnaires pour Georges Ibrahim Abdallah à Paris tenait de nombreuses pancartes avec le visage de Saibaba. Sa situation et sa lutte étaient connues mondialement. Il ne s’y trompait d’ailleurs pas quand il écrivait dans ses poèmes : « Quand j’étais chez moi et dans le monde extérieur, j’avais beaucoup d’amis. Dans cette prison, maintenant que je suis incarcéré dans la cellule œuf je me suis fait de nombreux autres amis du monde entier. »3.

Manifestation à Hyderabad en 2016 pour sa libération
Pancarte pour la libération de Saibaba en 2017 à Paris lors de la manifestation pour la libération de Georges Abdallah

G.N. Saibaba ne peut qu’être décrit comme un grand démocrate, même par ses bourreaux. Il se tenait toujours du côté des minorités nationales, des peuples opprimés, des plus pauvres et déshérités de la société indienne ; l’immense majorité de la population du sous-continent. La persécution qu’il a subi par l’État indien en faillite montre toute l’hypocrisie de la « plus grande démocratie du monde », comme les impérialistes européens et nord-américains aiment qualifier l’Inde.

En effet, qui peut croire que le vieil État indien, avec ses millions de forces de répression, qu’elles soient de police, militaires ou paramilitaires, a pu être menacé par cet homme en fauteuil roulant ? Si Saibaba a été tué, c’est pour ses idées, pour sa défense irréductible d’une démocratie complète en Inde, une démocratie qui dépasse les limites étroites et étriquées que la bourgeoisie et les propriétaires terriens d’Inde imposent pour garantir leur pouvoir. Il s’est toujours opposé aux opérations militaires de massacres et de génocides qui sévissent dans la campagne indienne, cherchant en vain à écraser la guerre populaire. Il était l’ennemi des milliardaires comme Tata et Ambani, des monopoles étrangers comme Nestle, IBM ou Coca-Cola. Il était, comme l’écrivain Varavara Rao lui aussi arrêté puis libéré sous conditions en 2022, un représentant de ces intellectuels indiens qui font le choix du camp du peuple, qui refusent de servir un ordre social corrompu qui entraîne dans la misère les indiens par centaines de millions.

Sa mort a été un choc et une indignation dans les rangs de tous ceux qui luttent pour une nouvelle démocratie, pour les révolutionnaires et pour les communistes. Depuis que l’information a été rendue publique, les hommages se multiplient. Lors du transfert de son corps, les forces de répression ont interdit à ce qu’il soit transféré au Mémorial des Martyrs d’Hyderabad pour qu’un hommage lui soit rendu. Les étudiants, amis et activistes qui accompagnaient son cercueil se sont mobilisés contre la police pour exiger tout l’après-midi que son corps entre au mémorial. Ils ont chanté les slogans : « Saibaba amar rahe ! » (Vive Saibaba), « Inquilab zindabad ! » (Vive la révolution) et « Lal salam ! » (Salut rouge!). Finalement, ils ont emmené son corps à l’hôpital Gandhi, respectant son souhait de voir son corps donné à la science pour aider la recherche.

Activistes et amis de Saibaba lors de la procession de son cercueil

La mort de G.N. Saibaba laisse un témoignage vibrant de la vitalité de la révolution indienne. Dans le même temps, elle expose toute l’hypocrisie de la soi-disant « démocratie indienne », en réalité aux mains des plus grands réactionnaires bourreaux et bouchers du peuple. Saibaba a levé le poing bien haut toute sa vie, portant le juste drapeau de l’émancipation, même en prison. Lui qui avait été élevé par sa mère, il lui adressait un émouvant poème au même moment où elle était malade et que l’État lui refusait la liberté d’aller lui dire un dernier au revoir :

« Mère, ne perds pas espoir.
J’ai réalisé que la prison n’est pas la mort,
c’est ma renaissance,
et je retournerai bientôt à la maison
sur tes genoux qui m’ont nourri
d’espoir et de courage.

Mère, ne crains pas pour ma liberté.
Dis-le au monde,
ma liberté perdue
est une liberté gagnée pour les multitudes
car tous ceux qui viennent se tenir à mes côtés
prennent fait et cause pour les damnés de la terre
ma liberté se trouve là »4

Rendons hommage à G.N. Saibaba, mort pour la Nouvelle Démocratie !

1 https://revolutionaryfrontlines.wordpress.com/2012/04/22/revolutionary-democratic-front-rdf-the-first-all-indian-conference-the-first-day/

2 Cellules réservées aux détenus de haute sécurité, en forme d’œuf. Les accès vers le reste de la prison sont clos et la cellule est gardée par 6 personnes 24h/24.

3 https://www.bannedthought.net/India/RDF/Saibaba/Saibaba-WhyDoYouFearMyWaySoMuch2022.pdf

4 https://www.bannedthought.net/India/RDF/Saibaba/Saibaba-WhyDoYouFearMyWaySoMuch2022.pdf

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *