Les chiffres sont là : 22 contrats et accords ont été signés, pour un total de 10 milliards d’euros d’investissements entre l’impérialisme français et le royaume du Maroc. A titre de comparaison, cela représente l’équivalent de 15 % du budget de l’État marocain, et une augmentation de 50% des investissements français. Les secteurs concernés sont nombreux : transport ferroviaire, gestion de l’eau, secteur portuaire, éducation et protection civile. Avec ces contrats, l’impérialisme français assure donc la pérennité de ses liens semi-coloniaux avec l’État marocain, dont il reste le premier partenaire commercial. La France y demeure le premier investisseur étranger et le premier pays d’origine des transferts de la diaspora marocaine. Côté français, le Maroc est le premier partenaire commercial du pays en Afrique.
La visite en grande pompe d’Emmanuel Macron a donc permis de sceller la « réconciliation » entre les deux pays, ou plutôt entre la classe dirigeante impérialiste française et les classes dirigeantes compradores marocaines représentées par le roi. Dans la région, la France connaît une grave crise diplomatique avec l’Algérie. L’impérialisme français a donc « tranché » dans les querelles diplomatiques au Maghreb du côté marocain. Cette visite n’était pas simplement celle d’un chef d’État : c’était une visite de Cour. Macron y était accompagné de son épouse, et d’une délégation de 122 personnes. Ministres et hauts-fonctionnaires, chefs d’entreprises, mais aussi intellectuels et de personnalités du showbiz – Rachida Dati, Teddy Riner, Jamel Debbouze, Arielle Dombasle, BHL, Jack Lang, jusqu’au philosophe Edgar Morin. C’est une démonstration de force pour l’Elysée, qui explique que « Les personnalités, comme l’ensemble des membres de la délégation ont par leur histoire personnelle, les fonctions qu’ils occupent ou ont occupé, un lien avec le Maroc ». Ce genre de visites est une vieille tactique coloniale, on peut le retrouver dans les visites en grande pompe de la famille royale britannique dans les « ex »-colonies britanniques du Commonwealth.
Pour le Royaume du Maroc, cette visite est la bienvenue. Il y a un an, le pays avait subi le grand séisme qui avait causé la mort de près de 3000 personnes. Le choix du royaume de sélectionner librement les aides extérieures avait alors été désavantageux pour les puissances puissances impérialistes d’Europe et d’Amérique du Nord, refusant notamment l’aide des Etats-Unis et de la France.
La conclusion diplomatique de la visite est la reconnaissance française de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental1. Cette reconnaissance avait déjà été gagnée auprès des USA via les accords d’Abraham de 2020, portant sur la « normalisation » des relations entre le Maroc et Israël. Pour l’impérialisme français, ce choix n’est pas qu’un « cadeau » fait au Maroc. C’est la concrétisation diplomatique de ses investissements, lui permettant de tirer directement profit des ressources du territoire. Le lendemain du dîner d’État, la diplomatie française a publié une nouvelle carte du Maroc, incluant le Sahara occidental. Selon le média marocain Le Desk, la France devrait remettre des archives au Royaume du Maroc portant sur les tracés frontaliers antérieurs à la colonisation. Ces cartes pourraient justifier la souveraineté marocaine, non seulement sur le Sahara occidental, mais également au Sahara oriental, sous souveraineté algérienne.
L’impérialisme français se restructure en Afrique et s’assure de la stabilité de sa principale place forte en Afrique, après avoir connu une mise sur la défensive historique dans le Sahel ces dernières années (Mali, Niger, Burkina…). Le choix diplomatique du Maroc sur l’Algérie s’explique aussi par la perte de vitesse des intérêts français à Alger, pourtant son deuxième partenaire africain. L’impérialisme français conservait un excèdent budgétaire constant avec l’Algérie jusqu’à l’inversion historique de la balance commerciale entre les deux pays en 2021. Dans le même temps, le social-impérialisme chinois est devenu le premier partenaire commercial de l’Algérie en 2013. Derrière ce que la plupart des médias décrivent comme un événement « mondain » ou une « brouille diplomatique », l’impérialisme français poursuit sa restructuration pour assurer la pérennité de ses bases.
1 Le Saharah occidental, ancienne colonie espagnole, est classé comme « territoire à décoloniser » par l’ONU (Statut similaire à celui de la « Nouvelle-Calédonie » française). Le Royaume du Maroc en contrôle illégalement la majorité du territoire depuis le départ des espagnols, au détriment du peuple Sahraoui local, qui revendique sa souveraineté via le Front Polisario, soutenu par l’Algérie.