Alors que 3 000 personnes se sont rassemblées samedi 23 à Douarnenez (Bretagne) et qu’une manifestation se prépare demain dans la même ville appelée par la CGT, nous rappelons cette étape importante de la lutte de classes en Bretagne et en général en France, exemple d’une lutte des femmes ouvrières d’hier et d’aujourd’hui.
Il y a 100 ans, les Penn Sardin se sont révoltées
Durant l’hiver 1924, les ouvrières bretonnes des usines de sardines ont été rendues célèbres par leur longue et victorieuse grève, puis par la chanson populaire des « Penn Sardin ». Retour sur l’histoire de ces femmes qui ont vaincu le patronat local, décrit par le ministre du Travail de l’époque comme « des brutes et des sauvages ».
Douarnenez, hiver 1924. Dans cette ville portuaire de l’ouest du Finistère, dont l’économie est majoritairement tournée vers la mer, les ouvrières des conserveries de la ville terminent leur « journée » après plus de 18 heures de travail consécutif. Une fois rentrée chez elle, la sardinière doit s’occuper du foyer familial, le tout dans une maison partagée avec d’autres familles où chacune dispose d’une unique pièce à vivre. Bien sûr, il n’est pas question d’intimité dans ce genre d’environnement. Même si un mur sépare les familles, on entend tout de chez les voisins. Cependant, même si les sardinières de Douarnenez vivent avec leurs familles entassées dans des logements minuscules aux côtés des voisins, leur porte reste souvent très ouverte.
Les treuzoù, les marches sur le pas de la porte, sont un des rares lieux où les sardinières trouvent le temps de socialiser après le travail. On y prend le café avec les voisins et on laisse les passants s’y abriter lorsque la pluie tombe. Café qui, d’ailleurs, est généralement dilué avec de la chicorée pour économiser. Avant la célèbre et victorieuse grève des ouvrières des conserveries de Douarnenez, une sardinière gagne environ 80 centimes de l’heure. Le prix du café est alors, en 1924, à 17F le kilo. C’est un véritable produit de luxe, mais aussi une des rares chose qui permet à l’ouvrière de ne pas s’effondrer de fatigue lors de semaines pouvant atteindre plus de 72 heures. Ce temps de travail hors norme est le fruit d’unedérogation obtenue par le patronat local auprès de Paris.
Pourtant, même cette dérogation n’est pas respectée par les patrons des usines. La semaine de la sardinière est souvent encore plus longue que ces 72 heures. Travailler autant ne leur permet pas de vivre décemment. En 1924, le kilo de pâtes coûte 4F, le beurre est à 15F et la douzaine d’œufs 6,50F. Le repas de la famille de l’ouvrière moyenne est donc généralement composé d’une soupe de pomme de terre et de poisson avec du pain (environ 50 % du repas).
« Saluez, riches heureux, ces pauvres en haillons, Saluez, ce sont eux, qui gagnent vos millions »
Vient l’heure pour l’ouvrière de se rendre au travail. En quittant son foyer, elle n’a aucune idée de l’heure ni de la date de son retour chez elle. A son arrivée à l’usine, la sardinière doit attendre parfois plusieurs heures l’arrivée des marins apportant les sardines dans de grandes anses en osier. Évidemment les heures d’attente à l’usine ne sont pas payées par le patronat, celui-ci considérant qu’il ne s’agit pas d’heures travaillées. Sur les 2000 sardinières que compte Douarnenez, c’est une énorme économie faite sur leur dos.
Mais à l’usine, l’ouvrière a rarement affaire directement au patron. Elles sont encadrées par des contremaîtresses qui vérifient l’état de la marchandise à son arrivée, et surtout s’assurent des cadences optimales. Ces anciennes ouvrières devenues l’œil et la bouche du patron sont vues, à juste titre, comme des traîtresses. Elles sont payées au mois, ce qui leur assure plus de stabilité financière, tout comme les commises, dont le rôle est d’attendre la venue des navires et de négocier avec les pêcheurs afin de les payer le moins possible.
Pour l’ouvrière, la fin de la journée s’accompagne de la remise de jetons numérotés par la contremaîtresse. A la fin de la semaine, les contremaîtresses les appellent une par une par leur numéro, et leur remettent leur paie de la semaine contre leurs jetons. Si une ouvrière « gâche » une sardine, le prix de la sardine est retenu sur la paie déjà misérable de l’ouvrière. Plus que des pressions, les ouvrières subissent un véritable acharnement.
« Écoutez le bruit d’leurs sabots, écoutez gronder leur colère, écoutez le bruit d’leurs sabots c’est la grève des sardinières »
Mais vient le moment où l’acharnement n’est plus soutenable et où la vie rude devient impossible. Les justes rancœurs des ouvrières se transforment en colère. Passer des heures à l’usine sans être payées, travailler toute la nuit et gagner autant que de jour, voir ses enfants partir dès le plus jeune âge à la conserverie : ce n’est plus possible.
Le 21 novembre 1924, la grève éclate à l’usine de conserve Carnaud. Quatre jours plus tard, toutes les usines de la ville rejoignent la grève, accompagnées des marins, ce qui permet de bloquer totalement la ville.
Le maire communiste Daniel Le Flanchec rejoint même les grévistes pour s’interposer contre les gendarmes qui mettent en place une répression sévère contre la grève. Il perd ses fonctions suite à son action. Cet événement permet la médiatisation nationale de la mobilisation par l’Humanité. La Confédération Générale du Travail Unitaire (CGTU) soutient dès le départ la mobilisation et envoie Charles Tillon, alors représentant régional de la Bretagne pour la CGTU, soutenir la grève. Des visages importants de la mobilisation se font connaître comme Joséphine Pencalet, syndicaliste au Syndicat des Métaux de Douarnenez. Pencalet et Tillon sont d’ailleurs présentés sur la liste du Parti Communiste lors des élections municipales de Douarnenez en 1925. Les deux syndicalistes sont facilement élus, bien que leur élection soit annulée par le Conseil d’État, pour non résidence dans la commune pour Charles Tillon et car Joséphine Pencalet est une femme.
Le patronat local a bon nombre d’alliés. Il est soutenu par l’Église et l’Association des Mères Chrétiennes. En 1905, il a aussi initié le « Syndicat professionnel des filles d’usine de Douarnenez et de Tréboul », un syndicat jaune dont le but est d’empêcher les grèves et les contestations ouvrières. Les briseurs de grève, encouragés par le patronat, organisent un attentat contre Le Flanchec et lui tirent dessus le 1er janvier 1925, le blessant lui, son neveu et 3 autres personnes attablées dans le même café. Très vite l’identité des commanditaires est révélée : il s’agit évidemment de deux industriels du syndicat des usiniers, un syndicat patronal servant les intérêts des patrons d’usines à Douarnenez.
« Dans la ville rouge on est solidaires, et de leur victoire les femmes sont fières »
Suite à ces événements, le patronat est forcé de signer un accord avec les grévistes le 6 janvier 1925. Après 6 semaines de grève et de sévère répression, les Penn Sardin1sortent victorieuses face au patronat.
Parmi les revendications qu’elles ont gagnées, on peut citer notamment le salaire à 1 F de l’heure pour les ouvrières et à 1,50 F pour les manœuvres, la véritable application du code du travail pour les femmes et les enfants, une majoration de 50 % pour les heures supplémentaires au-delà de 10 heures par jour, une autre majoration de 50 % pour les heures de nuit à partir, des augmentations de salaires conséquentes pour les ouvrières métallurgiques avec des taux horaires pouvant aller de 1,15F à 2,50F en fonction du poste occupé. Cette victoire, c’est aussi l’acquisition de la journée de 8 heures pour les ouvrières et ouvriers métallurgiques des conserveries avec une majoration de 50 % pour les heures supplémentaires. Les ouvrières des biscuiteries obtiennent également la journée de 8 heures et la fin de la rémunération à la pièce avec des salaires alignés à ceux des manœuvres soit 1,50F.
Cette grève des ouvrières de Douarnenez est un exemple de mobilisation du prolétariat de la ville dans son ensemble, contre un patronat qui s’assoit sur tous les acquis légaux normalement en vigueur, au point d’organiser des attentats contre des figures importantes des mobilisations populaires. La grève des Penn Sardin, c’est le prolétariat de Douarnenez qui met tout en œuvre pour se sortir de la misère organisée. C’est l’exemple que, même – et surtout – dans la plus grande misère, le prolétariat a toujours tout à gagner en se révoltant contre son exploiteur !
1« Tête de sardine », nom courant des habitantes de la région de Douarnenez