Il y a des journées qui pèsent plus dans la vie politique que d’autres : le 6 décembre fait assurément partie de celles-ci. À l’appel de la Campagne Unitaire pour la Libération de Georges Ibrahim Abdallah afin de faire du 6 décembre une grande journée de lutte pour sa libération1, la Fédération Syndicale Étudiante a répondu par un puissant appel à bloquer les universités de France. Pas moins de 10 universités (et 1 lycée) ont répondu à l’appel, 8 facs et 1 lycée ont été bloqués et 2 autres se sont mobilisées ne pouvant tenir le blocage.
À première vue il pourrait sembler que c’est un mouvement étudiant somme toute banal dans notre pays, mais cela ne serait pas comprendre la portée politique de celui-ci. Il faut saisir, et de cela se dégage toute la portée historique, que c’est la première fois (ou du moins depuis un long moment) qu’un mouvement étudiant bloque des universités pour des raisons strictement politiques. Pour la première fois un vaste mouvement d’occupation et de mobilisation s’organise en dehors de tout mouvement social. Le contenu hautement politique et donc historique de ce 6 décembre n’aura en tout cas pas échappé à l’État qui a mobilisé de manière disproportionnée (une redondance) son appareil répressif pour empêcher les blocages. À Paris 8 la fac a engagé une milice de nervis à gants coqués pour laminer les étudiants, tandis qu’à Lyon 2 c’est même une charge de CRS qui a brisé le blocage. Ce type de lâche attaque se transforme systématiquement en son contraire, ne développant qu’un courant de sympathie pour des militants courageux dans un pays à la dérive.
La journée du 6 avec tout son sérieux et sa puissance politique a été un magnifique contre-pied au pitoyable spectacle du crétinisme parlementaire, des jeux politicards putrides, crachant littéralement à la gueule des masses populaires accablées par la crise. D’une côté la mascarade d’un régime en décomposition, où des encravatés fanfaronnent, et de l’autre la fougue de la jeunesse révolutionnaire et étudiante qui sort la tête de l’eau.
La jeunesse avec sa fougue a un rôle moteur dans le retour de la lutte politique, c’est-à-dire portant la question du Pouvoir, de la nécessité de la Révolution Socialiste. Dans ce processus les étudiants ont une place particulière dans le développement du courant favorable à la Révolution. Au cœur de la fabrique à consensus du système, un mouvement étudiant fort uni au mouvement ouvrier et de masse est un danger existentiel pour le régime. C’est dans les amphis des facs qu’a été développée toute l’offensive idéologique anti-marxiste ; le 6 décembre est la négation de 50 ans de révisionnisme, de post-modernisme, de structuralisme. C’est une affirmation vivante du Marxisme comme arme de la lutte des classes pour transformer le monde. Les blocages politiques des facs valent mille conférences sur le Marxisme, sur Lénine, la Commune de Paris ou autres. Car le Marxisme de notre époque n’est pas un objet d’étude stérile, un outil sociologique, une pièce de musée, ou un débat d’idées ; mais la conception du monde du prolétariat, seule classe à même d’abolir les classes. C’est une épée au service de l’émancipation du genre humain. La mobilisation étudiante a fait échouer le plan stratégique de compartimentation des masses populaires, d’isolement du prolétariat de ses alliés historiques. La FSE a ouvert une nouvelle séquence politique où les étudiants vont briser les murs entre les universités et le mouvement de masse, si proches et en même temps si éloignés.
Les universités, par leur place, sont une immense caisse de résonance pouvant amplifier non pas les problèmes existentiels des couches intermédiaires angoissées par la situation, mais la lutte des masses et du prolétariat dans les usines, dans les quartiers populaires en France mais aussi dans le monde. En faisant sortir les étudiants de leur place assignée, la FSE montre le chemin à la nouvelle génération de jeunes née dans la crise. L’action politique transforme cette génération de la catastrophe en génération de la Révolution.
La FSE montre qu’un syndicat n’a pas vocation à être un objet corporatiste de compromission mais un outil de lutte ; en ce sens la jeunesse montre aussi la voie à la CGT. La CGT brisera tôt ou tard, sous l’impulsion des syndicalistes prolétaires, les murs des usines pour participer de manière décisive à la politique, c’est-à-dire comme l’a défini Engels, à la lutte des classes et au début de son règlement, la conquête du Pouvoir. En Martinique, les dockers, en bloquant le port contre l’arrestation du leader populaire Petitot, montrent ce qu’est la classe ouvrière pour soi, une classe éminemment politique.
Réduire la CGT et le syndicalisme à une unique lutte pour les salaires va contre le Marxisme. La tâche de la CGT est de participer à la lutte pour l’abolition du salariat qui est une lutte politique. La tâche historique est l’expropriation des expropriateurs. Le fait qu’ils ne l’accepteront que sous la contrainte, qu’ils feront tout pour garder leur pouvoir jusqu’au génocide, définit la lutte comme éminemment politique. C’est quand la CGT a été un instrument politique aux mains du Prolétariat que la classe a eu d’immenses conquêtes. La CGT luttant contre la guerre dans le Rif contre le colonialisme, contre la vermine fasciste dans la rue, occupant les usines pendant le Front Populaire pour qu’il accomplisse son programme politique, prenant les armes pendant la guerre de libération nationale antifasciste, durant les grèves insurrectionnelles d’après-guerre, à chaque moment où le syndicat fait de la politique : c’est là que la conscience avance, que la classe conquiert des positions et des réformes. La politique, la friction entre deux classes antagoniques, prolétariat et bourgeoisie, la lutte des classes est le moteur de l’Histoire.
A contrario quand le syndicat refuse « l’Histoire », canalise la friction pour la rendre convenable à la bourgeoisie, le prolétariat se ratatine comme classe pour soi, il disparaît de l’Histoire ; pire, il la subit. Ses misères augmentent, le prolétaire se retrouve isolé, écrasé, car sa seule force c’est quand il est uni et en action. Les politiques de compromission, l’intégration à l’État, l’acceptation du système pourri capitaliste est un crime. Il faut être bien éloigné de la classe pour ne pas vivre et sentir ce qu’endure l’ouvrier à l’usine en 3/8, le coffreur sur le chantier, la mère célibataire et smicarde, les gamins grandissant dans le froid de la sobriété énergétique, les intérimaires en « week-end » le jeudi soir, les temps partiels contraints, les miettes qui restent après les charges, les lombalgies et les cancers précoces. Bien éloignés et criminels sont ceux qui négocient nos défaites à coup d’intersyndicales de la soumission. Les bureaucrates sont les enfants de l’abandon du Marxisme et de son cœur, la conquête du pouvoir d’État, pour laisser tout cela à l’arrogante bourgeoisie monopolistique et impérialiste. Ces bureaucraties ne sont pas des « bugs » mais le résultat de l’immense suraccumulation de richesse que la bourgeoisie tire de l’exploitation des prolétaires en France et dans le monde. Elle ne se combat pas à coup d’anathème puéril mais par l’action déterminée dans le cadre du syndicat et en dehors de lui.
C’est par la politique, l’action politique, que l’on repolitise la classe, qu’elle se redéfinit de classe en soi à classe pour soi. Les grèves économiques ne peuvent faire sortir le syndicat du trade-unionisme putride. Seule l’action politique, c’est-à-dire la confrontation directe avec l’État, fait que la lutte des classes est mature, comme l’a définit Lénine. Il est évident qu’aujourd’hui n’importe quelle grève massive est politique, tant la crise économique, sociale et politique est profonde. L’État est au bord de la faillite, le monde marche vers la guerre impérialiste, le pays se divise et marche, lui, vers la Guerre Civile. L’époque est formidable pour le grand retour de la Politique.
Briser les murs entre les différents secteurs est le chemin nécessaire au retour du prolétariat comme unique classe de la transformation du monde. Aujourd’hui, nous avons différents secteurs, les ouvriers dans le syndicat, le mouvement féministe, les mouvements et associations dans les quartiers populaires, la petite-bourgeoisie et couches intermédiaires en effondrement (les Gilets Jaunes), mais aussi l’écologie radicale (les Soulèvements de la Terre), les paysans, les mouvements nationaux dans les colonies et semi-colonies. Chacun est isolé quand il est en mouvement et oublié, ou presque, quand il ne bouge pas. Les masses populaires ne peuvent trouver leur salut qu’unies autour du prolétariat et dirigé par lui, et cela pour plusieurs raisons : le prolétariat n’a strictement que ses chaînes à perdre, il est armé de l’idéologie pour changer le monde (le Marxisme de notre époque), et sûrement l’élément le plus déterminant : la bourgeoisie a un Etat-major, les masses populaires ont besoin du leur et le Prolétariat a cette réponse. Tout cela n’a rien à voir avec l’intersectionnalité, car la lutte des classes, le Pouvoir, reste l’unique déterminant pour transformer le monde et régler tous les problèmes des masses. Le Mouvement Communiste est dans les faits « le vrai mouvement intersectionnel ». Peu savent qu’une immense partie de ce qu’on appelle la sphère sociale a été l’œuvre des Communistes puis récupérée et intégrée à l’État. Le cœur de la question politique actuelle est donc de briser les murs entre les différents secteurs, de les unifier sous une direction unique prolétarienne. Ce processus se fait dans le feu de la lutte des classes et pas dans une quelconque abstraction livresque. C’est dans la pratique que nous découvrons les lois de la Révolution Socialiste en France. Nous n’acceptons de débat que celui qui touche au Pouvoir, le sexe des anges nous importe peu.
La clé de voûte de ce processus politique ne peut être que la reconstitution de l’Etat-major du prolétariat, le Parti Communiste. Lui seul permet de briser les murs des différents secteurs pour créer l’Etat-major de la classe et redonner à la classe sa puissance transcendantale, celle qui déplace les montagnes. Dénoncer les directions syndicales formellement, crier à hue et à dia que « c’est mal » la bureaucratie, ne sert strictement à rien si nous ne passons pas à l’assaut des vieilles pratiques pour imposer le retour de la lutte des classes et de la politique. La CGT a été ce qu’elle devait être quand elle était dirigée par le Parti Communiste, elle est devenue son contraire quand l’instrument d’organisation suprême du prolétariat a été démantelé et usurpé par le révisionnisme et intégré à l’État capitaliste. Le Parti ne peut se reconstituer que dans le feu de la lutte des classes, sur les piquets de grève dans les usines, les Comités populaires d’habitants, les blocages de fac, d’autoroute, de trains, dans l’affrontement avec les flics, sur les barricades, dans les sabotages et les grandes gifles (au sens propre et au figuré) dans la gueule des patrons. Face à une bourgeoisie génocidaire et décadente, une classe politique de camés et de psychopathes, la lutte des classes est le grand coup de balais où nous retrouvons notre dignité prolétaire, celle de la classe créatrice de toute chose. Il est clair que nous balaierons la maison d’une manière implacable car l’heure est à la vengeance.
Encore une fois saluons ce mémorable 6 décembre ; la jeunesse étudiante et son organisation de combat la FSE ouvrent une nouvelle étape dans la lutte des classes en France menant à une ré-édition triomphante de la Commune de Paris.
1 Le 6 décembre aurait dû le voir libre si il n’y avait pas eu Appel de l’État.