« Je suis né il y a 27 ans dans un pays merveilleux. Pour venir ici, j’ai voyagé longtemps. À pieds, en charrette, en voiture, en bateau. J’ai dû me débrouiller, c’était dur, mais je suis resté courageux. Et me voilà ici. »
Ces mots sont ceux de Babacar Gueye, rédigés peu avant sa mort. Nous sommes le 2 décembre 2015, dans le quartier prolétaire de Maurepas, à Rennes. Babacar, un jeune sénégalais de 27 ans, s’apprête à passer la nuit chez un ami. Sans papiers, il a quitté le Sénégal pour rejoindre sa sœur l’année passée. Awa est résidente en France depuis 2013. Il apprend le français, s’intègre à la vie du quartier, fait du sport, de la danse, et attend la réponse de la préfecture sur sa demande de titre de séjour.
Depuis quelques jours, Babacar souffre de problèmes de santé qui vont en s’aggravant et prennent la forme de crises d’angoisse violentes et d’hallucinations, qu’il peine à maîtriser. Cette nuit là, la crise semble plus intense qu’habituellement. Babacar commence à se scarifier avec un couteau de table. Son ami panique et appelle les pompiers. Quelques minutes plus tard, sans qu’on ne sache pourquoi, ce sont huit flics lourdement armés qui font irruption dans l’immeuble. Babacar meurt, touché de cinq balles.
« Ils lui ont tiré dessus au taser, mais le taser n’a pas marché. Il lui ont crié de lâcher son petit couteau de table qu’il utilisait peu de temps avant pour se scarifier l’abdomen. Mais encore fallait-il qu’il comprenne ce qui était en train de se passer.
Il faisait nuit et ils étaient 8, 4 de la BAC et 4 de la police nationale. Ils ne l’ont pas aidé et ils l’ont tué. Les pompiers ne sont pas intervenus, ils n’en ont pas eu le temps car il avait déjà reçu une puis quatre balles dans le corps. Deux mortelles. […]
Babacar agonisait dans la cage d’escalier et ils l’ont menotté. Laissé sur le sol un temps qu’on ne connaît pas. Une demi-heure, une heure, peut-être deux. Nous ne savons pas car nous n’y étions pas, mais leurs histoires on les connaît, et on n’y croit pas. »1
Si l’enfer est déjà là pour les proches de Babacar, c’est pourtant ici que la corruption générale commence : Peu après leur crime, les policiers ont fait corps. Plaidant la légitime défense, ils ont porté plainte contre Babacar à titre posthume pour tentative de meurtre2 : lui qui les aurait menacé avec un couteau de table et qu’ils auraient été incapable de maîtriser. L’autopsie révèle qu’aucune balle n’est arrivée de face et que les tirs sont tous en trajectoire descendante. Quatre sont arrivées de côté, et de haut en bas, une autre est entrée par la fesse gauche de haut en bas.
Dans le même temps, la France presse le Sénégal de récupérer la dépouille. La corruption impérialiste pousse le consul Sénégalais à adresser une lettre à ses compatriotes, précisant que : « Les autorités compétentes au Sénégal et en France demandent aux Sénégalais (…) de ne point participer à une quelconque marche encore moins de s’épancher dans les médias.». Courant 2018, l’arme et les deux chargeurs sont détruits « malencontreusement », lors d’un tri des scellés.
9 ans après, Awa et le collectif Vérité et Justice luttent toujours pour que le quartier n’oublie pas le nom de Babacar. Appel a été fait du dernier non-lieu, prononcé en mai 2023, malgré le harcèlement policier que subit Awa. 9 ans après, une nouvelle marche rendait hommage à Babacar et à toutes les victimes des violences bourgeoises et racistes de la police française.
1Extrait de réçit disponible sur le site Justice pour Babacar.
2La plainte a été déposée et reçue en commissariat alors que le droit français ne permet pas de porter plainte contre une personne décédée.