L’énergie est au cœur de notre civilisation industrielle. Les énergies fossiles non renouvelables (pétrole, charbon, gaz, uranium) représentent 85% de la production d’énergie primaire. Le pétrole, à lui seul, compte pour 31% de l’énergie produite.
Mais l’important ne réside pas dans la part du pétrole, mais dans son hégémonie au niveau des transports. Le capitalisme, avec une division impérialiste du monde (et la division internationale du travail) fait que le transport et la logistique sont au cœur du système. Il ne peut être autre chose qu’un flux tendu, interrompu, sans cesse en mouvement. Les marchandises ne peuvent être stockées car cela augmente les coûts de revient, la production ne peut être planifiée, le « marché » commande. Le pétrole est le pilier de tout ce système : c’est 100% des transports maritime et aériens, 98% des transports terrestres. Le transport maritime à lui seul représente 80% du transport de marchandises mondial, c’est dire.
C’est pour cela que le pétrole est au centre des magouilles et des guerres impérialiste. Contrôler les réserves directement ou de manière indirecte en soumettant les pays à leurs diktats est d’une importance stratégique vitale pour les impérialistes. C’est pour cela qu’en pleine pandémie, les USA envoient des navires de guerre pour tenter de faire tomber le gouvernement du Venezuela. La crise de l’impérialisme et la diminution des réserves mondiales vont encore accentuer cette bataille. Les impérialistes vont tenter soit par la force soit par la pression de s’accaparer des ressources pétrolières de manière le plus direct possible. Un article du New York Time de 2004 le relatait de manière très claire alors que la demande de pétrole était au plus haut :
‘L’AIE (Agence Internationale de l’Energie ; une officine de l’impérialisme) a déclaré que les pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient devraient autoriser les investissements étrangers dans la production de pétrole. Alors que le monde ne manque pas de pétrole, le problème est que les compagnies pétrolières internationales n’ont pas accès aux pays qui détiennent le plus de réserves, a déclaré M. Mandil.
« Nous avons besoin d’une contribution significative du Moyen-Orient », a déclaré M. Birol, l’économiste en chef de l’agence. « Si elle ne vient pas, nous sommes en difficulté. »
La traduction en terme non diplomatiques donnerait à peut prêt cela : les pays producteurs de pétrole « doivent », c’est un ordre, ouvrir leurs réserves aux monopoles impérialistes qui se serviront à bas prix, sinon, ils seront déstabilisés, envahis, soumis par la trique et le fouet. Le pétrole appartient aux impérialistes et non aux pays producteurs. Le Venezuela actuellement est l’archétype poussé à l’extrême de l’impérialisme le plus agressif.
La pandémie a accéléré la crise de l’impérialisme, comme nous le savons, mais aussi approfondi celle du marché pétrolier. La baisse de la production industrielle, des transports, de la consommation a entraîné une baisse drastique de la consommation de produit pétrolier.
A la pompe, pour les Européens cela se traduit par une baisse des prix et donc une augmentation de notre «pouvoir d’achat». Mais, en fin de compte cet effondrement des prix du pétrole entraîne toute une série de réactions en chaîne qui ne font qu’accentuer la crise générale.
Il faut comprendre que :
- l’extraction, le transport, la transformation, pétrolière sont au cœur d’un gigantesque système économique touchant des centaines de milliers d’emplois, voire plus dans le monde. L’entreprise Total qui est une des 6 « supermajor » (c’est à dire un des monopoles dominants le marché) emploi directement 100 000 personnes, mais elle possède 903 filiales, par exemple Hutchinson, qui emploie à elle seule 44 000 personne. Pour garder leurs marges quand les prix sont bas les entreprises doivent licencier mais aussi réduire leurs investissements, ce qui, logiquement ne créée pas d’emploi.
- Une baisse du prix du pétrole rend les investissements pétroliers moins rentables et tout particulièrement celui de schiste, et entraîne la faillite de milliers d’entreprises aux USA et au Canada, qui entraînent une perte d’emploi importante. Les USA sont un moteur de l’économie impérialiste mondiale. Du chômage signifie donc une accentuation de la crise au niveau mondial.
- De nombreux pays dépendent de la rente pétrolière pour acheter la paix sociale, que cela soit la Russie1, l’Equateur, l’Iran, l’Irak, le Venezuela, le Nigeria, l’Angola, Algérie ou encore l’Arabie saoudite (mais de façon moins importantes) et d’autres. C’est pour cela que la baisse du prix du pétrole entraîne des tensions entre les pays producteurs qui veulent chacun tirer la couverture dans leurs sens, certains gouvernements y jouent leur survie. Nous le voyons avec la lutte actuelle entre l’Arabie Saoudite et la Russie sur les quantités à produire.
- Une baisse de leurs rentrés d’argent signifie pour eux une incapacité à importer des produits finis venant des pays impérialistes ou dépendant de l’impérialisme et cela entraîne en retour une baisse de la production dans l’industrie des états impérialistes, des licenciements, une baisse de la consommation etc.
- Dans les Etats impérialistes (et non producteurs) cela entraîne une baisse du prix à la pompe et aussi des prix des biens en général (le transport étant moins cher) . Le « pouvoir d’achat » augmente donc, cela devrait être positif mais ce peut entraîner un processus déflationniste qui est un véritable danger pour les économies capitalistes. La déflation c’est une baisse des prix, qui fait que le consommateur attend pour consommer, espérant des prix encore plus bas, ce qui provoque une baisse de la consommation, qui entraîne une baisse de la production, donc des licenciement mais aussi une baisse de revenue pour l’État (via les impôts et la TVA), en retour l’État investi moins dans les infrastructures qui sont un moteur pour bon nombre d’entreprises.
Le marché du pétrole est très volatile, il dépend de la consommation mais aussi des anticipations. Si il y a beaucoup de demande, alors les prix sont hauts, on investie pour produire plus, ce qui provoque l’apparition d’une « bulle spéculative » (c’est à dire que les prix sont trop haut par rapport à la valeur) et amène à un effondrement des prix, ce qui stoppe les investissements etc. Dans les années 60, pour tenter de réguler le marché pétrolier, plusieurs pays ont crée l’OPEP (l’Organisation des pays exportateurs de pétrole). Son but était de contrôler les prix en s’accordant sur la production de chaque pays. Aujourd’hui l’OPEP a perdu de son poids (40% de la production mondiale), les USA étant le premier producteur mondiale avec les schistes bitumeux notamment, et le troisième étant la Russie, un pays non membre. En 2016 face à la crise pétrolière, la Russie avait intégré partiellement l’OPEP, ce qui avait permis de conjurer la crise en cours. Aujourd’hui, la situation est bien différente, les Russes qui ont besoin de devises ne veulent pas jouer le jeu, l’Arabie saoudite a donc décidé de laisser filer les prix, ayant un des pétroles les moins chères à extraire et des réserves stratégiques importantes.
Face à cette situation qui enfonce encore plus l’impérialisme dans la crise, l’AIE appelle le G20 à se réunir pour tenter d’éviter la catastrophe. En effet en dessous de 25 dollars le baril il y aurait des faillites en chaîne dans le secteur pétrolier. La situation paraît compliquée à régler comme l’affirmait récemment M.Birol. Il a déclaré que même si les responsables pétroliers acceptaient de réduire la production de 10 millions de barils par jour – une quantité stupéfiante équivalant à environ 10 % de la consommation en temps normal – il y aurait encore un excédent de 15 millions de barils par jour, selon les chiffres de son agence.
La gestion privée des ressources énergétiques des monopoles impérialistes (soutenue par les États), la non planification de l’économie qui ne permet pas d’anticiper les événements, la dépendance absurde de nos vies par rapport à une ressource qui sera bientôt épuisée démontrent une fois n’est pas coutume, que l’impérialisme est un système caduque et en fin de vie.
Il faut retenir que le capitalisme et son « marché libre » coupe la branche sur laquelle ses fesses de voleur sont assises. L’effondrement du prix du pétrole va accentuer le vent de révolte spontanée et organisée dans de nombreuses semi-colonies, soumises à la crise de l’impérialisme, et va affaiblir un peu plus le socle pourri de sa domination.
Dans un monde sans impérialisme, chaque peuple se développerait de manière équilibrée, avec des économies planifiée et diversifiées. Nous pourrions entamer un immense saut civilisationnel dans la transformation de nos économies pour produire nos biens de manière durable et propre pour les humains et la biosphère.
Chaque seconde accentue la crise de l’impérialisme qui créée de manière concrète toujours plus les possibilités de sa fin.
1Les ressources pétrolières de la Russie, mais aussi de gaz naturel dont le prix est indexé sur le pétrole, représentent plus de la moitié des recettes d’exportation du pays. En 1998, lors de la crise asiatique et de la chute du baril à 10$, la Russie s’était déclarée en cessation de paiement.