Le 7 mai 1954, les forces communistes et patriotiques vietnamiennes dirigées par le Général Giap acceptaient la rédition du camp retranché de Dien Bien Phu. C’est une de ces victoires qui restent gravées à jamais dans l’histoire de l’humanité. Elle a littéralement accéléré l’histoire et créé un électrochoc chez tous les peuples colonisés : le colonisateur n’était pas invincible.
Le contexte
A la fin de la seconde guerre mondiale les colonialistes et les impérialistes français ne comptent pas perdre leur Empire. Pour De Gaulle et toute la classe politique bourgeoise, la « grandeur de la France » c’est à dire le maintient de son statut comme puissance impérialiste passe par le maintien de l’Empire. L’Indochine, c’est à dire le Vietnam, le Laos et le Cambodge, est selon l’expression, la perle de l’Empire. C’est la plus riche des colonies, en population et en richesse à piller dont le caoutchouc. Après la reddition des fascistes japonais, les Anglais deviennent les administrateurs de la colonie, bien que son sort ne soit pas encore réglé. Les Français débarquent alors pour ré-imposer leur autorité.
Ils pensaient à tort que tout redeviendrait comme avant ou presque. Le racisme aveuglant ne leurs avait pas fait comprendre que le monde avait complètement changé. Les vietnamiens, peuple à l’histoire de résistance séculaire principalement face à la Chine, n’en pouvait plus du colonialisme français. L’occupation Japonaise avait, de fait, marqué une rupture, les blancs pouvaient être vaincus par des asiatiques considérés jusque là comme des humains inférieurs.
Mais c’est la rencontre entre l’histoire séculaire de résistance du peuple vietnamien et le Marxisme-léninisme qui allait donner les armes pour vaincre deux empires. Le général Giap ne peut mieux l’exprimer : « notre seul « secret », celui qui a fait, et fait, notre force face à n’importe quel ennemi, c’est la force de tout un peuple, uni comme un seul homme, c’est la tradition militaire de guerre populaire de notre nation, vivifiée par le Parti depuis plus d’un demi-siècle »
Sous la direction du camarade Hô-chi-minh, le parti communiste vietnamien est fondé en 1930, il prend, sous ordre de l’Internationale Communiste, le nom de Parti communiste Indochinois pour tenter d’attirer les autres peuples de la colonie. En 1945, pour développer une politique de front uni contre le colonialisme, le Viêt Minh, ou Ligue pour l’indépendance du Vietnam, est fondé, les communistes gardant la direction. L’armée populaire vietnamienne se constitue comme bras armée du Parti.
Le 2 septembre 1945, à Hanoï, sur la place Ba Dinh, Hô Chi Minh lit la déclaration d’indépendance. Il s’en suit un an de tensions entre les autorités coloniales française qui occupent le sud Vietnam et qui voudraient intégrer le Nord à la toute nouvelle Union Indochinoise, et la République démocratique du Vietnam qui veut sa totale indépendance. Les vietnamiens ont tout fait pour éviter la guerre mais les contradictions entre le vieux système coloniale et le nouveau Vietnam libéré n’avait pas d’issue autre que la guerre. Le 19 décembre 1946, la République démocratique du Vietnam lance insurrection et prend le maquis. C’est le début de la guerre de résistance antifrançaise. Elle durera 7 ans et 7 mois.
C’est une guerre de guérilla et d’usure de nouveau type dont les impérialistes français ne comprennent pas le sens profond, du moins au début. Le Viêt Minh mobilise les masses paysannes pauvres, éduque politiquement, forme à l’auto-organisation. Il fait corps avec le peuple, il est le peuple.
Alors que l’armée coloniale s’enlise, que la guerre devient très impopulaire dans l’État français notamment par le travail très actifs du Parti communiste et de la CGT, un évènement vient donner un nouveau sens à la guerre pour l’impérialisme.
Le 1er octobre 1949, la République Populaire de Chine est proclamée à Beijing par le Président Mao. Le 25 juin 1950, la Corée socialiste entreprend la reconquête du sud occupé, débute la guerre génocidaire impérialiste contre les coréens. En suivant la Chine, l’URSS et les pays socialistes reconnaissent la République démocratique du Vietnam, elle n’est plus isolée. L’impérialiste US ne peut rester les bras croisés face à l’avancée du communisme en Asie, il décide d’intervenir brutalement en Corée et appuie massivement l’impérialisme français au Vietnam. C’est l’aide US qui permet de faire durer la guerre, ils ont financé jusqu’à 80% de celle-ci. La guerre coloniale se pare des oripeaux de la « croisade anticommuniste pour préserver le monde libre ».
Malgré cela, il devient évident que la partie est perdue et qu’il faut trouver une sortie pour maintenir les « intérêts » de la France et éviter que tout le Vietnam ne devienne communiste. En 1954, les Français acceptent l’idée de pour-parlers pour régler le conflit. Ils nomment le Général Navarre pour tenter d’équilibrer la situation. La conférence de Genève s’ouvre fin avril, l’impérialisme français veut se retrouver en position de force pour négocier avec les Vietnamiens et sécuriser le sud Vietnam, c’est dans ce cadre là que se noue la bataille de Dien Bien Phu. Les militaires français savent qu’ils ne peuvent gagner, mais remporter une bataille « décisive » pour négocier en position de force leur semble possible. Ils concentrent une importante force, composée de troupes d’élites (légionnaires et parachutistes) et se retranchent autour d’une ancienne piste d’avion japonaise placée dans une cuvette. L’endroit éloigné de tout, ne pouvant être ravitaillé que par avion, vise à fermer la piste menant le Viêt minh au Laos qui lui aussi est en guerre pour sa libération. Le commandement français pense qu’il est impossible pour les Vietnamiens de faire grimper en haut des montagnes couvertes de forêts impénétrables de l’artillerie en quantité suffisante pour les mettre en danger. Le Général Giap, stratège hors pair, sait qu’il y a aussi un coup à jouer pour battre décisivement les Français. La mobilisation est totale : 260 000 porteurs et porteuses sont mobilisés pour acheminer les canons, le riz, le matériel à un assaut contre le fort. Avec une incroyable opiniâtreté qui seule anime les peuples luttant pour une cause juste, le Viêt Minh arrive à mobiliser 50 000 soldats sur les hauteurs de la cuvette. Du 13 mars au 7 mai 1954 va se dérouler en plusieurs phase la conquête du camp retranché jusqu’à la reddition. Malgré les parachutages US la position était intenable, il n’y avait aucune porte de sortie victorieuse pour les Français.
C’est un choc, l’armée française vient d’être battue par un peuple prétendument inférieur. Cette nouvelle fait l’effet d’un raz de marée dans les Empires coloniaux. Elle décide les patriotes algériens à passer l’action contre le colonialisme. Elle influence, aussi, profondément une partie des militaires français, qui développent la doctrine de la guerre anti-insurrectionnelle qu’ils mettront en œuvre en Algérie et qui s’étendra dans le monde. Alors que les Français se retiraient du Vietnam, les impérialistes US allaient y rentrer en masse et faire durer 20 ans de plus la guerre de libération du peuple Viet.
Nous laissons, pour conclure, la parole au Général Giap avec une leçon politique au combien importante :
Nous avons toujours accordé une grande, une très grande importance à l’éducation politique. Éducation de l’arrière, c’est à dire de l’ensemble de la population. Le renforcement de l’arrière dans tous les domaines, et particulièrement dans celui de la vie politique, est la garantie fondamentale de la capacité combative d’une armée. Un arrière puissant est une garantie essentielle de la victoire. Sans arrière solide, pas de victoire possible. Inversement, nous avons toujours veillé à transformer en front l’arrière de l’ennemi, afin de le harceler, de lui faire perdre ses points de repère, de l’obliger à être partout sur ses gardes, à ne plu savoir lui-même où est le front. La tactique de la guerre populaire, c’est : pour l’ennemi, le front est partout et nulle part. En même temps, et c’est évidemment complémentaire, nous avons veillé à l’éducation politique de nos combattants, à tous les échelons. Ainsi, un tiers de nos soldats étaient membres du Parti. Chez les cadres, la proportion était supérieure. Et les organisations du Parti, même au plus fort des batailles, continuaient toujours leurs activités au sein de l’armée. Avoir une vision politique signifie également combattre sur tous les fronts. Jouer sur les contradictions chez l’ennemi (au sein de l’armée ou en influant sur son opinion publique). Utiliser l’opinion publique internationale, qui a joué un rôle si important pour isoler les agresseurs…
1 Vo Nguyen Giap, Une vie, p73