Sur la stratégie et l’autonomie de notre classe

On nous demande souvent, en parlant du boycott, quelle est notre stratégie. Bien entendu, cette question sert à nous faire passer pour des gens qui ne réfléchissent pas aux problèmes réels, qui s’opposent aux élections par principe, ou par légèreté intellectuelle. Réfléchir stratégie dans le cadre des élections est, en premier lieu, anti-marxiste.

En effet, nous ne sommes pas contre les élections en principe. Participer ou non est donc une question de tactique. La tactique est le temps de la bataille et non de celui de la guerre, le temps de la guerre concerne la stratégie. Or, si les élections relevaient de l’ordre de la stratégie, les marxistes penseraient qu’il suffise que tout le monde s’abstienne pour que le système s’effondre. Ce n’est évidemment pas le cas.

Le boycott actif, c’est à dire conscient politiquement, est l’une des armes que nous avons à notre disposition pour gagner la bataille, pour que notre classe ait de nouveau conscience d’elle-même et de son pouvoir transformateur illimité. C’est pour cela que nous disons que la classe existe actuellement en soi et qu’elle doit être reconstituée pour soi. La classe existe en soi car il y a des riches et des pauvres, une bourgeoisie avec des usines qui exproprie la richesse créée collectivement. C’est un fait que personne ne peut nier. Il y a donc un antagonisme entre les intérêts des uns et des autres, c’est ce que nous nommons la lutte des classes. En permanence, dans le monde entier, il y a lutte entre les riches qui veulent toujours plus, et les producteurs de richesses, le prolétariat, qui réclame le droit de disposer des richesses qu’il produit pour s’assurer une vie meilleure.

Notre problème, et normalement celui de tous les révolutionnaires sincères, c’est que notre classe, le prolétariat, celle des ouvriers, des travailleurs, n’a pas conscience d’elle-même. Elle n’est plus une force subjective qui lutte pour le pouvoir. Elle a beau être exploitée, ce qu’elle sait car elle le vit, elle n’a pas la capacité de se porter à l’assaut du pouvoir et de transformer le monde. Spontanément, elle ne le peut pas, elle a besoin d’être guidée et organisée, et tout cela se fait dans le cadre de la lutte des classes.

La première rupture que notre classe et ses éléments les plus conscients doivent déclencher est de regagner notre autonomie en tant que classe par rapport à la bourgeoisie. Les trahisons répétées des partis ouvriers ont fait intégrer nos organisations de classe à l’appareil d’Etat, alors qu’elles sont censées nous guider vers la Révolution. Les trahisons nous ont soumis au pouvoir bourgeois, et avec la crise actuelle, cette soumission s’accentue de manière exponentielle.

Il faut comprendre notre époque pour bien comprendre la signification de ce texte : nous vivons la phase de pourrissement du système d’expropriation (de vol) mondial, que nous nommons l’impérialisme. L’impérialisme dans sa phase de dégradation ultime ne relâche pas sa domination, au contraire, elle s’accentue à tous les niveaux (économique, politique, social, culturel). Les classes populaires (prolétaires, petite bourgeoisie) sont violemment ballottées par la tempête qui s’abat sur leurs têtes. Mais le système de domination dans sa totalité craque de partout. La bourgeoisie doit trouver des pares-feux pour éviter d’être submergée par ceux d’en bas. Dans cette bataille, toutes les armes sont bonnes, dont la répression bien sûr : c’est le plus visible mais le dernier des recours. Il y a aussi la tentative de manipulation de la pensée par le monopole médiatique, et toute la superstructure idéologique (pseudo philosophes, intellectuels de service, artistes, etc) qui distille la soumission à l’ordre établi.

Les élections rentrent dans la superstructure visant à légitimer tout l’ordre établi, elles tentent de nous arracher notre assentiment. Lors des élections, la manipulation est totale, elles sont présentées comme le nec plus ultra de la “souveraineté populaire” et de la “démocratie”. Nous sommes matraqués pour nous soumettre au consensus du résultat des élections, mais surtout pour y participer et ce, peu importe ce que l’on vote.

La question est donc de savoir si la participation au “jeu électoral” dont nous connaissons à l’avance le vainqueur sert à reconstruire d’une façon ou d’une autre l’autonomie de notre classe.

Depuis 1848 et l’instauration du suffrage universel masculin, jamais aucun parti révolutionnaire n’est arrivé au pouvoir par les urnes. Les grandes avancées, les grands moments qui ont fait trembler l’édifice ont été le fait des armes et jamais du vote. Au contraire, celui-ci vient toujours asseoir la légitimité du vieux pouvoir ré-instauré après la tourmente (1848-1871-1968). La démocratie bourgeoise est le système politique le plus mature pour le capitalisme, elle est apparue avec lui, elle ne lui fera pas défaut.

Nous pensons ainsi que tous les partis « marxistes », « révolutionnaires », qui se présentent ou tentent de se présenter, participent à troubler la compréhension de notre classe du système en place. On ne joue jamais à un jeu pour perdre, et ici une participation sous-entend forcément qu’on espère gagner. Peu importe si le bénéfice recherché en réalité n’est pas le poste suprême, il laisse quand même penser que le chemin de l’émancipation passe par l’appareil d’État. Il empêche de se penser, de se sentir autonome de cet immense appareil que nous devons détruire. Nous devons garder ça en tête.

La course pour avoir les parrainages des maires fait partie intégrante du jeu. On sait que toutes les grosses boutiques politiciennes se servent de leurs réseaux d’élus pour promouvoir ou empêcher tel ou tel Parti d’être en lisse. Peu importe qu’on pense que ce n’est pas démocratique, cela fait partie du jeu. Quand on participe, on doit accepter les règles.

 D’ailleurs, alors que d’un côté ils se plaignent des règles, de l’autre ils tentent de les faire respecter (comme avec le temps d’antenne). Soit leur “stratégie” est subtile, soit il y a anguille sous roche. D’un côté, ils se proclament porte-parole du prolétariat et de l’autre ils se présentent comme “les petits” candidats. Comme si le prolétariat était petit, lui le créateur absolu de toute richesse…

Il faut noter qu’à chaque élection, les candidats qui se proclament du prolétariat ne font pas sérieux. Les classes populaires sont d’accord avec les idées, mais cela n’est pas sérieux. Car, oui, le marxisme ne se démontre pas dans une pseudo-joute verbale, coincé entre les représentants de la grande bourgeoisie. Il se montre au quotidien dans la lutte des classes, par l’organisation de celle-ci.

Il est quand même sacrément compliqué de dénoncer quelque chose en y participant avec ardeur.

La Ve République est un système réactionnaire, bonapartiste, anti-démocratique et anti-peuple, tout le monde s’en rend compte au premier regard, et le légitimer en y participant est un jeu fumeux. Comme nous le disions dans l’article un pas en avant pour le boycott, l’appel au boycott lancé par des militants de la CGT, du PCF, d’anciens du NPA, etc, est bien plus révolutionnaire que n’importe quelle candidature qui proclame l’être.

Objectivement, se présenter aux élections appuie ce système en déliquescence. Subjectivement, cela trouble le prolétariat dans son chemin vers la reconquête de son autonomie. C’est pour cela que nous affirmons que la seule campagne révolutionnaire c’est celle pour le boycott actif portée aux cœurs des masses.

Désertons les plateaux TV, les grands quotidiens, et retournons au pied des tours !