« Loi immigration » : marqueur de la crise profonde de l’impérialisme français

Depuis la fin de la Bataille des Retraites, le gouvernement a mis sur la table une loi réformant l’octroi de titres de séjour. Après un premier refus par l’Assemblée Nationale du texte revu par le Sénat, une tractation entre l’Assemblée et le Gouvernement a permis de voter la loi le 19 décembre, loi qui sera mise en place rapidement, à la fin janvier. Cette loi a un premier but politique avoué dès la fin de la Bataille des retraites : celui de « parler des immigrés » pour éviter de parler de la situation sociale. Cela a été assumé ouvertement en conseil des ministres. De l’autre côté, le gouvernement s’est engagé dans une restructuration de l’appareil productif, pour tenter de résoudre la crise de l’impérialisme – sans bien sûr y arriver – sur le dos des masses. La loi Asile-Immigration a donc un double aspect ; d’un côté, il est part de l’offensive pour la restructuration de l’appareil productif, de l’autre il est une offensive idéologique et politique réactionnaire pour diviser la classe. Ce premier point semble essentiel pour saisir l’ensemble et la portée générale de la loi en question.

L’aspect principal, c’est évidemment l’aspect de restructuration ; la bourgeoisie a besoin de main d’œuvre, moins chère, pour son projet de « réindustrialisation », c’est-à-dire la production de marchandises échangeable sur le marché. La production est le cœur du pouvoir de la bourgeoisie et la désindustrialisation sape l’impérialisme Français Le projet de loi tourne dès les premières propositions, courant septembre, autour d’une carte de séjour pour les métiers en tension, accordée automatiquement dans certaines conditions, sans passer par les préfets, pour éviter qu’ils n’entrent en contradiction avec les monopoles. Finalement, le texte renégocié est encore plus réactionnaire. Voilà ce que dit le monopole médiatique Le Monde : « Les conditions de régularisation sont durcies : le travailleur devra prouver qu’il a travaillé douze mois dans un métier en tension au cours des vingt-quatre derniers mois, au lieu de huit dans le texte initial. Les travaux étudiants ou saisonniers sont exclus. Avant la délivrance d’un titre de séjour, le préfet doit vérifier la nature du travail auprès de l’employeur, l’insertion sociale du demandeur, son respect de l’ordre public, son intégration, son respect des valeurs et principes de la République… Le préfet a la possibilité de refuser la délivrance du titre même si toutes ces conditions sont réunies. La mesure ne s’appliquera que jusqu’à fin 2026. » Dés dérogations sont possibles pour les immigrants de niveau bac +5, c’est à dire chez les « cerveaux », l’encadrement.

Tout cela se passe alors que la France est, particulièrement depuis 2015, entrée dans une phase aiguë de lutte des classes. En particulier, l’année 2023 a montré un grand basculement, autant dans les luttes des masses que dans l’offensive réactionnaire, qui se nourrissent dialectiquement. C’est l’effet de la crise de l’impérialisme, qui libère des espaces pour la lutte des classes. La bourgeoisie tente de faire peser la crise sur les masses, et ce sont évidemment sur les métiers « en tension », c’est-à-dire le cœur du prolétariat, qui sont le plus attaqués. Dans un contexte explosif, il est de plus politiquement utile de diviser la main d’œuvre entre « étrangère » et locale, de la contrôler de manière drastique.

D’autant que prolétaires migrants et sans papiers ont été particulièrement mobilisés. Depuis 2019, l’important mouvement des « Gilets Noirs » s’est construit à travers les puissants mouvements de grèves dans l’hôtellerie, la restauration et le BTP, suivies d’occupations et désormais d’une lutte symbolique des compagnons d’Emmaüs. Ils ont été une part importante de la lutte des classes en France, en tant que masses profondes du pays, entraînant petit à petit d’autres couches du prolétariat avec eux. En ce sens, l’État bourgeois réactionnaire se doit de pouvoir les expulser autant que possible. L’expulsion de travailleurs migrants prépare la possibilité d’élargir à des Français, en attaquant le droit du sol, ce qui promet un élargissement des expulsions dans l’avenir. Le texte remanié par le Sénat propose le principe que tout demandeur d’un titre de séjour doit souscrire « un contrat d’engagement au respect des principes de la République ». Le monopole médiatique Le Monde explique : « Un demandeur qui refuse de signer ce contrat « ou dont le comportement manifeste qu’il n’en respecte pas les obligations » ne pourra obtenir aucun document de séjour. En cas de manquements graves à ce contrat d’engagement, l’autorité administrative pourra retirer ou ne pas renouveler un titre de séjour. En cas de manquements graves à ce contrat d’engagement, l’autorité administrative pourra retirer ou ne pas renouveler un titre de séjour. ». Toutefois, la commission mixte paritaire a retiré le caractère automatique du refus des titres de séjour ; c’est à dire qu’on conserve la main d’œuvre jusqu’à preuve de son engagement contre la « République », c’est à dire contre les intérêts du capital.

D’un côté, les conditions sont durcies, de l’autre, il est « plus facile » pour certains travailleurs de certains secteurs d’être embauché. Dans le médical, l’obtention des titres de séjours devient presque automatique. De plus, les personnes embauchant des personnes sans papier seront plus durement sanctionnées. D’un côté, l’État se donne les moyens de mieux contrôler les travailleurs migrants, par la carotte et le bâton. De l’autre, on sait très bien que cette règle ne sera appliquée qu’au cas par cas, en fonction des besoins des monopoles, en particulier dans l’hôtellerie et le bâtiment. L’État œuvre à contrôler et rationaliser la main d’œuvre. On voit toutes les contradictions à l’œuvre dans la bourgeoisie, entre les monopoles et le petit patronat, entre ceux qui veulent rationaliser et contrôler, en abaissant progressivement le niveau général des salaires et ceux qui préfèrent la surexploitation anarchique à l’extrême.

Nous voyons dans ce texte que l’unité nationale, c’est le prolétariat, c’est l’unité de la classe. Au contraire, la division, c’est la bourgeoisie. Le socialisme, c’est à dire l’unité à un niveau supérieur, entre deux parties du prolétariat qui sont matériellement unique car plongés dans la production de la même réalité nationale, ne peut se réaliser que par le renversement d’un système qui ne promet que la division des masses pour leur exploitation. Le prolétariat est une classe unique peu importe ses origines, sa couleur de peau ou sa religion ; nous travaillons à l’unir au-delà des « différences » qui sont secondaires, alors que l’unité se base sur une réalité commune, principale. La bourgeoisie ne peut plus absorber la main d’œuvre issue des semi-colonies comme dans les années 1970-80 à cause de la désindustrialisation massive. Elle préfère laisser la main d’œuvre « en trop » à charge des pays semi-coloniaux qu’elle pille et ne prendre que la main d’œuvre nécessaire, piller les forces vives des nations opprimées sans en assumer les coûts.

En fait, c’est tout l’impérialisme français est en crise, ce qui n’est une surprise pour personne. La restructuration avance à pas de géants. Mais l’État, de plus en plus, manque de corps intermédiaires, c’est le gouvernement contre les Masses, de manière ouverte et directe. Chaque loi qui tend à fracturer un peu plus, à réactionnariser un peu plus, peut potentiellement ouvrir une crise.

On l’a très bien vu avec l’annonce de nombreux départements de ne pas faire appliquer la loi et la réticence du gouvernement à faire appliquer une loi qui lui a été forcée. Le patronat est divisé sur la question : d’un côté il a besoin d’une main d’œuvre nombreuse et stable dans certains secteurs ; de l’autre, il ne peut pas admettre de perdre son droit a exploiter sans limites, c’est-à-dire à épuiser la main d’œuvre, comme il le fait avec les personnes sans papier. La défenseure des Droits, Claire Hédon, dit d’ailleurs : « Aujourd’hui, le texte issu des débats au Sénat est profondément déséquilibré et particulièrement défavorable aux droits des étrangers. Ce déséquilibre me paraît préjudiciable à l’intérêt général et à la cohésion sociale« . Là est tout l’enjeu. Car la crise politique se résoudra par un accord en pratique.

Le but est de diviser la classe, de détruire autant que possible toute unité, de créer des « étrangers » et des « Français » matériellement distincts, comme avec la caution retour : les étudiants étrangers devront payer une caution, qu’ils ne récupéreront qu’à leur retour. L’attaque générale contre les étrangers et les musulmans est en fait une attaque contre la classe, contre son unité ; l’opprobre est jetée sur tout une partie du prolétariat français qui n’a pas la bonne couleur de peau, la bonne religion, le bon accent, la bonne langue maternelle. La tendance générale de réactionnarisation se poursuit donc, de manière accélérée. Mais qui dit Oppression dit Résistance, et un début de riposte a eu lieu avec des manifestations en front uni pouvant réunir des milliers de personnes, comme à Rennes, Paris ou Toulouse, ce qui est assez impressionnant pour des mobilisations spontanées concernant le prolétariat immigré.

Face à la bourgeoisie et son vieil État qui portent la division, notre réponse doit être claire : toute personne travaillant en France, et participant de fait au capitalisme français, est un prolétaire de France. Aucun espace ne doit être laissé à ceux qui entendent diviser notre classe, et les luttes actuelles comme futures vont montrer dans les faits que l’union fait la force. C’est l’unité de toute la classe, dans ses composantes multiples et sa complexité, qui seule pourra nous donner les moyens de renverser la table et faire plier les capitalistes. Encore une fois, pour les démocrates et révolutionnaires, la seule solution est de partir des problèmes généraux, pour unir les masses les plus larges ; c’est à dire construire le Front Unique Révolutionnaire, base d’un Front plus large avec toutes les organisations progressistes sincères souhaitant combattre la réactionnarisation, front en construction dans la lutte contre les dissolutions, et, désormais, contre la loi réactionnaire « Asile-Immigration ».