Depuis le 7 octobre 2023, les collectifs, assemblées et associations en tout genre pour la défense de la Palestine se sont multipliés. Avec eux, diverses lignes politiques sont devenues visibles, entrant parfois en contradiction les unes avec les autres. Quel bilan tirer de ces 12 mois de lutte pour la Palestine ?
Le 7 octobre 2023, c’était un samedi. Les nouvelles parviennent en France au compte-goutte, très tôt le matin, et se poursuivent tout le weekend. Dans la foulée, des rassemblements sont annoncés dans les grandes villes de France, comme à Lyon le lundi 9 octobre, à l’initiative de La Fosse aux Lyons1 . Il est aussitôt interdit par la Préfecture, qui envoie la police pour noyer le quartier sous les gaz lacrymogènes. Malgré ça, le rassemblement a lieu, avec 150 personnes, grâce au soutien des masses du quartier de la Guillotière. Le mardi soir, c’est un cortège d’une dizaine de voitures qui se forme au cœur d’un autre quartier lyonnais. Le mercredi, des centaines de personnes occupent la place de l’Opéra, bravant un nouvel interdit préfectoral. Le vendredi, la manifestation intersyndicale prévue de longue date parcourt le vieux Lyon sur des chants de soutien à la Palestine.
Lyon n’est qu’un exemple qui montre la réactivité des masses populaires à travers la France pour montrer son soutien indéfectible à la Palestine. Alors que l’offensive médiatique contre la résistance palestinienne est féroce, que l’État invente toujours plus de mesures pour réprimer le mouvement, les initiatives fleurissent partout. Parmi les personnes qui font vivre le mouvement, on voit aussi bien des militants de longue date que des hommes et des femmes que le 7 octobre a fait spontanément se lever : des mamans et des jeunes filles des quartiers populaires, des parents investis dans les mosquées… Des gens issus des masses les plus pauvres de la société française, les plus profondes. Certains sont là pour défendre la cause humanitaire face aux dizaines de milliers de morts à Gaza, d’autres veulent crier leur soutien à la résistance qui s’est dressée le 7 octobre, car ils comprennent très bien ce qui se joue en Palestine, à contre-courant de l’offensive médiatique réactionnaire. Alors que le mouvement se développe, la question de la ligne politique à défendre se pose : quels mots d’ordre, quels slogans, quels chants porter ?
Dès les premiers jours, la ligne de démarcation se dessine. Révisionnistes et sociaux-démocrates tâtent le terrain, n’en disent pas trop. Tous appellent à la libération des otages israéliens et apportent leur « soutien aux victimes et à la société israélienne » (François Ruffin, LFI à l’époque), dénonçant « l’acte terroriste » du 7 octobre (Adrien Quatennens, LFI). Face à la riposte armée ignoble d’Israël, impossible à ignorer, certains se mettent à parler timidement de « massacre » en Palestine. Mais rien que le terme « génocide », largement répandu aujourd’hui, ne faisait pas l’unanimité et a dû être conquis.
L’offensive médiatique contre la Palestine
Et pourtant quand on lit la presse bourgeoise, on a vite fait de se dire que LFI ont pour ainsi dire été les seuls à défendre « jusqu’au bout » la Palestine, quitte à mettre en péril leur popularité. Cette dernière partie est vraie : leurs opposants réactionnaires, allant du PCF à l’extrême droite, s’en sont donné à cœur joie. Dès octobre, Mathilde Panot (LFI) a fait les gros titres car elle a refusé de qualifier le Hamas de « terroriste ». Lors de sa prise de parole à l’Assemblée nationale, une partie des députés Les Républicains et de La République en Marche a même quitté la salle. Et cette prise de position a même fait exploser en quelques jours la NUPES. Merveilleux ! Mathilde Panot égérie de la cause ! Pourtant quand on lit quelques lignes de plus, les masques tombent bien vite. La cheffe des députés insoumis a en effet refusé de qualifier le Hamas de terroriste, tout ça pour les appeler… la « branche armée responsable de crimes de guerre ». Et comment ne pas parler de Rima Hassan, qui a peut-être été l’exemple le plus marquant de l’opportunisme de la France insoumise en ce qui concerne la Palestine ? Un profil parfait pour le parti de Mélenchon : franco-palestinienne, juriste en droit international, capable de vous répondre sur le plan légal en direct sur un plateau TV, jeune et présentable avec ça. Pourtant, elle qui admettait dans L’Humanité du 7 novembre 2023 que « la “solution à deux États” est caduque » se retrouve sur les listes électorales pour les européennes de 2024… et alors le discours change : « Si on peut agir politiquement au Parlement européen, il faut tenter de sauver un État palestinien au côté de l’État israélien. » (15 mars 2024, 20 Minutes) La droiture politique ne fait visiblement pas long feu à la France insoumise.
Cette « solution » à deux États n’est d’ailleurs qu’une marionnette que les institutions agitent depuis toujours, mais la réalité est claire : personne sur place n’en veut, qu’il s’agisse des Palestiniens ou d’Israël, qui depuis sa création s’efforce de réduire le territoire accordé à la Palestine. Quelle que soit la date à laquelle on remonte – 1947, 19672 – c’était une division inégale honteuse, mais aujourd’hui cette revendication est d’autant plus risible. Car elles sont belles les frontières palestiniennes d’aujourd’hui : ce qu’il en reste, ce sont quelques bandes de désert devenues prison à ciel ouvert, tandis que la véritable Palestine appartient à Israël. Ces discours ne servent que la propagande sioniste. Son ultime mensonge consiste à faire croire au monde que les Juifs ne pourraient pas vivre aux côtés des Palestiniens dans un État unique laïque. Le problème est simple : la Palestine est une terre occupée. La seule contradiction antagonique, c’est celle entre l’occupant et l’occupé. Comment alors ne pas rire doucement face à cette propagande sioniste déguisée en solution « progressiste » ?
Les bons élèves de la cause palestinienne
Et si l’on n’hésite pas à dénoncer ces politiciens opportunistes, qui ne font que récupérer la cause palestinienne pour servir leur agenda électoral en séduisant ces masses que le 7 octobre a soulevées, il faut reconnaître que bien des activistes sincères sont tombés dans ces filets : « Pour éviter la censure, il faut calmer le jeu, ne pas dire certains mots. » Pour éviter la censure, censurons-nous nous-même ? En acceptant de moduler notre discours pour qu’il convienne aux normes fixées par l’État bourgeois, nous ne faisons rien d’autre que le servir. Les nouveaux militants sincères du mouvement s’en sont vite rendus compte au fil des mois : même les rassemblements les plus démocratiques, ceux qui se concentraient sur la question de l’aide humanitaire par exemple, se sont parfois fait interdire par les préfectures, ou alors une mairie refusait d’accorder le prêt d’une salle. Le constat est vite devenu clair : en voulant être le bon élève de la cause palestinienne aux yeux de l’État, on sabote son propre combat. Car à écouter Macron, Biden et autres impérialistes en tout genre, on tombe dans une boucle de l’absurde. En pleine campagne présidentielle américaine, qui voit s’opposer Kamala Harris, la nouvelle coqueluche des démocrates, contre Donald Trump, les sociaux-démocrates viennent nous clamer à la figure que Kamala vaut bien mieux que Trump. Peut-être que sous son mandat, les bombes qui ont tué 40 personnes au camp de réfugiés d’Al-Mawasi le 10 septembre dernier n’en auraient tué que 35 ? Peut-être que le cratère qui s’est formé là où se dressaient auparavant des tentes n’aurait pas mesuré 10 mètres de profondeur mais plutôt 9 ?
Si aujourd’hui le terme de génocide a été acquis, si le soutien a la résistance se fait plus flamboyant malgré l’intense répression de l’État, c’est parce qu’une ligne juste a été défendue partout en France. Il s’agit d’être clair dessus. Défendre la libération inconditionnelle de la Palestine en rejetant la « solution » à deux États, apporter son soutien ferme à la résistance palestinienne, se battre pour le droit du peuple palestinien à choisir ses moyens de lutte et sa direction : voilà la seule ligne correcte qui se dégage après un an de lutte pour la Palestine en France.
1 Comité de soutien à la résistance palestinienne à Lyon, le nom fait écho au groupe armé palestinien « Fosse aux Lions » qui opère en Cisjordanie occupée.
2 Comme le revendique la France insoumise dans son programme pour les élections européennes de 2024.