Pour les jeunes de la génération née autour de la fin des années 90, le Joueur du Grenier est un personnage qui accompagne depuis l’adolescence. Dans des vidéos distribuées sur youtube, le duo Frédéric Molas et Sebastien Rassiat critiquent, depuis plus d’une décennie, les jeux vidéos « pourris ». Pour cela, ils utilisent un rythme, des personnages, une mise en scène qui s’élabore d’épisodes en épisodes, en s’élargissant de plus en plus vers la pop-culture des années 80 et 90 : films, publicités, séries, animés.
Les deux personnes derrière le JdG ne sont pas des personnalités politiques, ils ne prennent pas de position sur les sujets de société, n’abordent jamais la question de la classe ouvrière, ne mentionnent jamais les mouvements sociaux, sauf comme un phénomène culturel Français. Pourquoi parler, dans ce cas, de cette émission ?
Derrière le vernis « pop-culture », il y a une bulle rassurante, celle des années 80-90. La crise était là depuis 10 ans déjà. Mais le capitalisme semblait on ne peut plus stable. Les restructurations n’avaient pas encore commencé. Le tournant de la rigueur ne faisait que s’ammorcer. En fait, la société Française était encore une société de compromis, les luttes sociales étaient « intégrées » et encadrées par la sociale-démocratie. Le fascisme n’était encore qu’un phénomène embryonnaire.
C’est ce qui ressort des vidéos, que l’on parle de jeux vidéos, de publicités, de films. Une société lisse et pacifiée avec l’image d’une « classe moyenne » dominante, quelques « riches » et quelques « pauvres » en haut et en bas, des politiciens déconnectés des problèmes de masses qui n’en ont de toute façon aucun d’insurmontable. Les petits tracas du quotidien ne sont pas résolus par les politiciens déconnectés, et c’est ça qui pose problème.
D’ailleurs, si il y a une critique de la « production pour la production », des producteurs véreux, ne pensant qu’au pognon, à travers certains des personnages récurents, le « joueur du grenier » n’a finalement qu’une attitude de consommateur mécontent. Il y aurait le bon capitalisme, « nationaliste de gauche », avec de bonnes intention, produisant des choses intéressantes pour des consommateurs satisfaits, selon les mots même de Frédéric Molas, et le mauvais, celui du pognon sans limites. Pourtant, la débauche de l’industrie capitaliste qui s’exprime dans la surproduction de mauvaise qualité est dialectiquement liée avec la « bonne production », pour une clientèle plus spécialisée, souvent plus aisée. Le capitalisme produit les deux à la fois. Il ne peut pas produire qu’un seul des deux aspects.
Cela donne donc un aspect aseptisé, sans contradictions, de la société pré-2000, en particulier des années 80-90. Bien sûr, la société des années 1980, ce n’était pas ça. Il y avait déjà de violentes luttes de classe. Dans les années 1970, la jeunesse prolétaire des quartiers populaires lyonnais provoque les premières émeutes contre la police raciste. Un grand mouvement contre le racisme s’engage, culminant avec la marche des beurs et la politisation de la jeunesse prolétarienne. L’est et le nord de la France sont, petit à petit, sinistrés. La guerre impérialiste reprend partout dans le monde.
Pourtant, toute l’atmosphère du Joueur du Grenier respire la tranquilité, la sécurité, l’abscence de soucis. Les thèmes abordés sont légers et amusants. C’est un retour dans une époque (fantasmée) de tranquilité, de « bonheur simple de l’enfance », selon la vision bourgeoise d’enfants déconnectés de leur classe sociale, où les contradictions sociales n’existaient quasiment pas (image du couple bourgeois, maison pavillonaire, etc). C’est un passé fantasmé, une réalité qui n’a jamais existé. Cet aspect très « rassurant » pour les jeunes hommes a probablement fait le succès de la chaine.