Ce lundi 16 novembre, le ministère de l’intérieur a dévoilé son « livre blanc de la sécurité intérieure ». Ce document, qui fait 332 pages, est en quelques sortes la feuille de route du ministère de l’intérieur pour les années à venir. En ce sens, il est un document très intéressant à étudier, car il permet d’anticiper quelles seront les stratégies répressives mises en place par l’État français dans les années à venir. En effet, lorsque l’État parle de sécurité intérieure, il parle avant tout de sa propre sécurité, de la sécurité des ses institutions, de la sécurité de son régime, et donc de la sécurité du système capitaliste-impérialiste. Ce document, qui émet plusieurs dizaines de propositions, nous permet donc de comprendre non seulement quels sont les objectifs du ministère de l’intérieur pour les années à venir, mais également quelle est son analyse de la situation.
La défiance envers la police ? Un problème de « pédagogie » !
Le document fixe plusieurs objectifs. Bien-sûr, garantir la « sécurité intérieure » et donc, comme nous l’avons dit plus haut, la sécurité du régime, mais également « recréer les conditions de la confiance entre la population et les forces de l’ordre ». Pour cela, le livre blanc prône plus de pédagogie, un mot bien à la mode chez les médias et politiciens. Et concrètement, de quoi parle-t-on lorsqu’on parle de pédagogie ? Eh bien on parle de propagande, et c’est bien ce que le gouvernement entend mettre en place pour convaincre la population que la police est une institution respectable au service du peuple, et non un outil répressif au service de la bourgeoisie.
Ainsi, le document propose de « faire connaître et valoriser l’action des forces de l’ordre pour ne pas laisser le champ libre aux mises en cause dont elles font de plus en plus systématiquement l’objet et d’autre part informer la population de manière efficace et réactive en situation de tension (opérations de maintien de l’ordre par exemple) ». Pour cela, le document propose tout simplement de se doter d’un « maillage et d’une chaîne de communication adaptés aux enjeux de la sécurité intérieure ». Cela signifie concrètement le recrutement de community managers chargés de distiller les éléments de langage du gouvernement sur les réseaux sociaux.
Cette ambition du ministère de l’intérieur nous enseigne deux choses : premièrement, le gouvernement souhaite s’engager pleinement dans la bataille idéologique en cours à propos du rôle de la police, et deuxièmement, il a une analyse simpliste des causes de la défiance grandissante de la population envers la police. En effet, d’après ce document, la défiance envers la police ne serait due qu’à une mauvaise compréhension du rôle de cette dernière, et en aucun cas à la violence quotidienne qu’elle fait subir à des milliers de personnes, et encore moins au fait que la police sert avant tout à protéger les intérêts des capitalistes. Non, le vrai problème, selon ce document, ce n’est pas la violence policière, le vrai problème, ce n’est pas le caractère intrinsèquement réactionnaire de l’État capitaliste français, le problème c’est que la population ne comprend pas bien les enjeux du maintien de l’ordre. Cette analyse simpliste nous démontre que les idées des bourgeois qui nous gouvernent ne sont que le résultat de leur position sociale. Autrement dit, et contrairement à ce que certaines personnes peuvent penser, l’État n’est pas ce monstre omniscient qui a une analyse parfaite de toute situation et 10 coups d’avance sur sa population. L’État peut commettre des erreurs d’analyse, et il en commet souvent, ce qui le rend d’autant plus vulnérable, et va totalement à l’encontre de l’idée, trop souvent émise, que la révolution est impossible car les forces répressives sont trop puissantes.
Néanmoins, si les auteurs de ce livre blanc commettent une grossière erreur d’analyse en considérant que la défiance envers la police vient d’un manque de pédagogie, ils ont une analyse bien plus pertinente des mouvements sociaux. En effet, le document dit « Au cours des deux dernières années, les opérations de maintien de l’ordre ont cristallisé cette expression de la violence. Toute forme de manifestation peut devenir un cadre d’expression de la violence : rencontres sportives, manifestations revendicatives… Le déclin des corps intermédiaires et l’absence d’interlocuteurs de confiance parmi les manifestants a entravé la capacité de la force publique à trouver les voies de négociation ou de régulation alors que de nouvelles formes de manifestation radicale s’installent dans la durée (black blocks, ultra jaunes, zones à défendre, mouvements identitaires et ultras). Cet état de fait conduit le ministère de l’Intérieur à repenser sa stratégie de rétablissement de l’ordre public et à renouveler ses modes de communication pour pallier la disparition des interlocuteurs traditionnels ». Cet extrait, tout à fait juste, démontre que la situation sociale au sein de l’État français va dans le bon sens : vers toujours plus de conflictualité sociale, vers un refus de plus en plus catégorique d’une partie grandissante de la population de négocier avec les forces de l’État bourgeois, ennemi du peuple. Ce que le gouvernement appelle « déclin des corps intermédiaires » n’est donc que le déclin de structures de collaboration de classe, de structures chargées de pacifier la population main dans la main avec l’État capitaliste. Pour les révolutionnaires, comme nous à La Cause du Peuple, ce déclin est une bonne nouvelle, car non seulement il est une conséquence d’une plus grande combativité de classe du prolétariat, mais il l’est également car il laisse un champ libre aux révolutionnaires.
Nous le voyons ici, l’État français est pleinement conscient de l’intensification des contradictions de classe ces dernières années, et il sait que cette situation acquiert chaque jour un peu plus les caractéristiques d’un contexte pré-révolutionnaire. Ici, la volonté de pédagogie de l’État prend tout son sens, car cette pédagogie vise avant tout à convaincre le plus de gens possible de renoncer aux idées révolutionnaires.
De la répression, toujours plus de répression !
Bien-sûr, cette volonté de mener pleinement la bataille idéologique via un plan de « pédagogie » s’accompagne de nouvelles tactiques de répression. Ainsi, ce livre blanc propose de nombreuses mesures visant à améliorer les techniques de répression étatiques.
Tout d’abord, une longue partie du document est consacrée aux sociétés de sécurité privées. En effet, le document souhaite leur donner une place plus importante dans la protection de la « sécurité intérieure » en leur permettant de travailler main dans la main avec les institutions publiques comme la police ou la gendarmerie. Ainsi, comme pour la police et la gendarmerie, le rapport préconise de faire de la propagande afin de redorer l’image des sociétés de sécurité privées, et propose d’« accompagner les acteurs de la sécurité privée en développant des actions conjointes de communication autour du continuum de sécurité ». Au delà d’une meilleure communication, qui une fois plus nous rappelle la volonté de l’État de mener une bataille idéologique, ce document propose de recruter plus d’agents de sécurité privée, de mieux les former, de mieux les équiper et de renforcer leurs prérogatives. Ainsi, le document propose d’« étendre les possibilités d’intervention de la sécurité privée sur la voie publique, par des moyens humains et techniques (notamment la vidéo- protection), en étendant la notion d’abords immédiats ». Le document propose également d’autoriser l’armement non létal de certains agents de sécurité privée et de permettre aux entreprises du secteur de recourir à des technologies émergentes comme les drones ou les caméras piéton.
Cette volonté de donner toujours plus de pouvoir aux sociétés de sécurité privées n’a rien d’anodin, et c’est la porte ouverte au renforcement de milices privées qui pourront agir comme des barbouzes, sans mettre en cause l’État. C’est donc bel et bien la porte ouverte à du terrorisme d’État qui pourra être mené en toute discrétion par des sociétés privées prestataires de l’État, et non directement par la police ou la gendarmerie.
Sur l’utilisation des nouvelles technologies à des fins de sécurité, le document préconise notamment d’expérimenter la reconnaissance faciale en direct par les caméras de vidéo surveillance et de pucer les cartes d’identité. En outre, sur la cyber sécurité, le document propose de créer des algorithmes de détection automatique des situations à risque sur les réseaux sociaux. Concrètement, cela signifie que les appels à manifester, à se rassembler, à bloquer un lycée, à faire grève, etc, pourront être détectés en direct par des algorithmes, ce qui permettra d’améliorer l’efficacité des services de renseignement dans la lutte contre les mouvements sociaux. Le document propose également de recruter davantage d’experts en cyber sécurité et de mieux les former.
Enfin, pour ce qui est de la lutte contre les groupes révolutionnaires, le document préconise de « renforcer l’échanges d’information interservices et veiller à mobiliser tous les outils de police administrative pour lutter contre les mouvances ultra (dissolution de groupuscules, police administrative des armes, etc.) ».
Un document qui met en lumière les craintes de l’État
Ce document, qui est publié au moment où la loi de sécurité globale est débattue à l’assemblée nationale, met en lumière les craintes de l’État. Il nous montre que l’État a peur que son action soit de moins en moins acceptée par la population, que l’État a peur des conséquences du déclin d’institutions qui autrefois permettaient de canaliser la colère des masses populaires. Ces craintes de l’État le poussent donc à envisager des dizaines de mesures qui, au fond, n’ont qu’un seul objectif : lui permettre de survivre. En effet, si l’intensification de la conflictualité que nous avons connue ces dernières année se confirme dans les années à venir, il se pourrait bien que le vieil État capitaliste-impérialiste français vive ses dernières années. C’est ce qu’il craint le plus. À nous, révolutionnaires, de faire devenir ces craintes une réalité.