Diego Maradon, tel le Che ou la Palestine, est plus qu’un homme, une vie ou un territoire : c’est un symbole. C’est presque une idéologie. C’est en cela qu’il a été si populaire : les masses du monde entier pouvaient s’identifier à lui. Sorti de la misère par le football, il à toujours essayé d’être efficace pour être le meilleur, quitte à tricher : c’est le quotidien de la majorité des gens dans le monde, qui trichent face au système pour s’en sortir. Assumant cela, et assumant également un anti impérialisme « de bon sens », rejoignant le club de la ville populaire, de la ville rouge de Naples, il à renforcé son image de progressiste sorti du rang. A l’occasion de sa mort, qui a bouleversé beaucoup de gens dans les masses nous publions cet article, éclairant le lien entre football et lutte des classes.
Au sein de l’État français, comme dans de nombreux pays du monde, notamment en Afrique, en Europe et en Amérique du Sud, le football est le sport le plus pratiqué, le plus regardé, bref, le plus populaire. Souvent considéré comme un simple sport où il faut courir après un ballon, souvent dénigré par une partie de la bourgeoisie car considéré comme abrutissant, le football est bien plus que ça, bien plus qu’un simple sport, il est un terrain de luttes sociales intenses, un terrain de lutte des classes.
Les tribunes, des lieux hautement politiques
Combien de fois avons nous entendu des phrases du style « les ultras sont des idiots, ils pensent juste à se bourrer la gueule et se battre, tout ça pour des millionnaires qui courent après un ballon » ? Combien de fois avons nous entendu des pseudo révolutionnaires méprisants dire que les gens sont cons car ils préfèrent regarder du foot plutôt que de faire la révolution ? Ces phrases méprisantes sont à des années lumières de la réalité, elles sont prononcées par des gens qui ne comprennent pas que la lutte des classes est présente partout, dans tous les aspects de la société, y compris dans le sport.
En réalité, il suffit de mettre les pieds dans une tribune populaire pour comprendre que ce sont des lieux hautement politiques. On y parle de football, bien-sûr, mais on y parle aussi de gestion économique du club, on y parle de la répression policière et judiciaire qui s’abat depuis des décennies sur le mouvement ultra, on y parle parfois des luttes sociales en cours, bref, on y parle politique. Celles et ceux qui croient que les stades sont des lieux dépolitisés et que les supporters sont des abrutis avinés qui ne comprennent rien au monde qui les entoure n’ont donc pas enquêté, ils ne se sont jamais rendus sur le terrain, ils se contentent de répéter des lieux communs, de parler de sujets qu’ils ne maîtrisent pas.
Si les tribunes sont des lieux hautement politiques, c’est car il ne pouvait pas en être autrement. Pour comprendre cela, il faut bien-sûr comprendre que la politique est présente dans tous les aspects de la vie sociale, mais il faut aussi s’intéresser à l’histoire du mouvement ultra, à l’histoire des kops qui lors de chaque match font vibrer les stades, et produisent bien souvent un spectacle plus beau que celui sur le terrain. En effet, nombreux sont les kops qui se sont constitués en étroit lien avec la classe ouvrière, dans les années 70, 80 et 90, à une époque où les billets dans les virages des stades étaient encore à des tarifs abordables. À cette époque là, de nombreux ouvriers allaient au stade en sortant de l’usine, dans certaines villes en sortant de la mine. Le stade était souvent pour ces ouvriers un endroit où il était possible de vibrer loin de l’usine, de l’atelier, de la mine, loin de la violence de l’exploitation capitaliste. Et c’est d’ailleurs encore le cas dans de nombreux stades.
Au sein de l’État français, les exemples les plus emblématiques de cette culture ouvrière au sein des stades sont les groupes de supportes du RC Lens et de l’AS Saint-Étienne. Ces deux anciennes villes minières sont réputées dans toute l’Europe pour la ferveur de leur public, pour l’ambiance de leurs stades. D’autres clubs en Europe ont la même réputation, c’est le cas par exemple de Liverpool et de Sunderland en Angleterre, du Celtic Glasgow en Écosse ou de Livourne en Italie. Toutes ces villes ont en commun d’être des villes ouvrières, des villes industrielles, avec des dizaines de milliers de prolétaires. Alors, tous ces kops de supporters ont en commun une dimension de lutte très forte. À Saint-Étienne et à Lens, on revendique fièrement d’être des fils et petits fils de mineurs. À Liverpool, on conteste l’infâme politique du club et des autorités anglaises qui fait volontairement monter le prix des billets pour mettre les ouvriers hors des stades. À Livourne, on affiche des symboles communistes et antifasciste dans le stade.
À Glasgow, on soutient bien volontiers la lutte du peuple palestinien et celle du peuple irlandais pour la libération nationale. Bien-sûr, il s’agit là que de quelques exemples. On pourrait citer le kop des Bukaneros du Rayo Vallecano, qui sont toujours présents dans les luttes sociales à Madrid. On pourrait citer les supporters de l’AEK Athènes qui font vivre l’antifascisme dans les tribunes de la capitale Grecque. On pourrait encore citer les ultras de l’Omonia Nicosie, à Chypre, qui ont pour habitude de brandir des drapeaux communistes dans les tribunes.
Bien-sûr, les idées révolutionnaires, communistes, antifascistes, anti-impérialistes, ne sont malheureusement pas les seules présentes dans les stades, y compris dans les stades cités plus hauts, car dans ces stades, les idées révolutionnaires sont souvent défendues par les kops ultras des virages. Les tribunes d’honneur, depuis lesquelles ont voit parfaitement le matchs, sont elles bien plus bourgeoises et, il faut bien le dire, beaucoup moins animées. Mais il existe aussi des kops ultras bien à droite, voire clairement fascistes. C’est le cas des 1950 de Lyon, de la LOSC Army de Lille, de la Curva Nord de la Lazio de Rome ou encore du désormais dissout Kop Of Boulogne de Paris. Ainsi, il n’est pas rare de voir des saluts nazis dans les tribunes du stade de la Lazio de Rome, il n’était pas rare d’entendre des cris racistes de la part des ultras du Kop Of Boulogne de Paris, il n’est pas étonnant de savoir que plusieurs membres de la LOSC Army sont également membres de Génération Identitaire, et, enfin, il n’est pas étonnant d’avoir vu côte à côte des militants fascistes du Bastion Social et des ultras des Lyon 1950 attaquer des syndicalistes lors du mouvement des gilets jaunes.
Lorsqu’on entend parler de bagarres entre supporters, il s’agit donc bien souvent de bagarres à haute portée politique. Ce fut le cas, par exemple, lorsque le fascistes du Kop Of Boulogne sont descendus à Bordeaux pour faire « leur dernière » et ont été chassés des rues comme ils se doit par les supporters antifascistes des Ultramarines de Bordeaux. Ce fut aussi le cas lors de bagarres entre supportes fascistes de la Lazio de Rome et antifascistes de l’Olympique de Marseille, ou encore entre fascistes de la Lazio et antifascistes du Celtic Glasgow. Les médias et les politiciens caricaturent souvent ces bagarres en les traitant comme de simples combats de rue entre idiots qui se tapent dessus car ils ne soutiennent pas le même club. Ces grossières caricatures oublient le caractère politique de ces affrontements, parfois très violents. Et même dans les cas où, de prime abord, le caractère politique n’est pas évident, comme c’est le cas parfois entre supporters de Lyon et de Saint-Étienne, où la rivalité historique des deux villes prend souvent le pas sur les profonds désaccords politiques, la lutte des classes est bien présente : à Saint-Étienne, on est fiers d’être ouvriers et enfants de mineurs, à Lyon, on considère qu’avoir eu des grands parents à la mine est quelque chose de honteux, comme l’ont fait comprendre les Bad Gones de Lyon en déployant, en direction des stéphanois, une banderole sur laquelle il était écrit « pendant que vos grands parents étaient à la mine, les nôtres inventaient le cinéma ».
Ces conflits politiques au sein des stades ne se font pas qu’entre supporters de kops aux idées politiques antagonistes, ils existent également entre les supporters et la direction des clubs, entre les supporters et les fédérations (LFP, FFF, UEFA, FIFA etc), entre les supporters et la police et la justice, ou encore entre les supporters et les gouvernements. En effet, toute personne qui va régulièrement au stade sait que la plupart des supporters détestent profondément les instances du foot business, qui tentent de briser tout le caractère populaire du sport pour transformer uniquement le foot en un marché. Ainsi, contrairement à ce que peuvent parfois penser des personnes qui ne connaissent pas le sujet, la plupart des ultras n’apprécient en aucun cas la marchandisation du football, l’omniprésence de la pub, des sponsors, et l’argent roi qui détermine presque toujours les résultats sportifs. Ainsi, lorsque les supporters prônent un football populaire, comme c’est le cas des ultras de nombreux clubs en Europe, ce ne sont pas des mots en l’air. Le football populaire, est une vision concrète du football, d’un football où l’amour du sport, le plaisir de se retrouver en tribunes, ne sont pas subordonnés à une gestion économique capitaliste des clubs. Lorsqu’on parle de football populaire, on parle de revendications concrètes, comme des billets à moins de 5€ pour aller au stade, comme la fin du naming qui abime l’histoire des clubs en en faisant des vitrines publicitaires, comme c’est par exemple le cas du nouveau stade de Bordeaux qui s’appelle désormais Matmut Atlantique alors que les supporters auraient voulu le nommer stade René Galice, en hommage à un joueur des Girondins qui a résisté face aux nazis durant la seconde guerre mondiale. Lorsqu’on parle de football populaire, on parle aussi de la possibilité d’aller au stade sans être fiché par les services de renseignement ou éborgné par des tirs de LBD. On parle d’un football où les compétitions ne seraient pas calibrées pour faire vivre les gros clubs et étouffer les petits, mais au contraire d’un football où même les compétitions nationales de deuxième voire de troisième division auraient un véritable enjeu. Mais dans notre société capitaliste, ce football populaire ne peut pas exister à grande échelle, car le football moderne est le reflet de notre époque impérialiste.
Un football moderne à l’image de son époque
Le football n’est pas en dehors de la société, il est à l’image de son époque. Ainsi, lorsqu’on entend dire à l’occasion de la Coupe du Monde que le football détournerait les masses de la révolution et serait donc un problème fondamental de la société, on oublie que ce n’est pas le football l’élément central de cette société et que la forme que prend le football moderne n’est qu’une conséquence de structures sociales qui dépassent largement le football.
Nous sommes à l’époque de l’impérialisme, à une époque où quelques milliardaires qui détiennent des pans entiers de l’économie cherchent à ouvrir toujours plus de marchés, à prendre le contrôle de toujours plus de structures économiques, à acquérir toujours plus de pouvoir. Dans ce contexte, et alors que des millions de personnes jouent au football et regardent régulièrement des matchs, il est logique que le football soit considéré par ces grands bourgeois comme un marché de plus, comme une opportunité de plus de faire du profit, et ce au mépris de tout ce que le football a de populaire, au mépris de millions de supporters qui aimeraient aller au stade pour vibrer et non pour enrichir des capitalistes.
L’impérialisme a cela de vicieux qu’il a réussi à s’immiscer partout, à distiller dans toute la société son mode de pensée car, comme disait Karl Marx « à toute époque, les idées dominantes sont les idées de la classe dominante ». Il n’est ainsi pas étonnant de voir que, dans certaines villes dont le club de foot est l’âme, comme Sunderland, Lens ou Saint-Étienne, de plus en plus de jeunes se détournent du club de leur ville pour supporter des « grands clubs » au marketing bien travaillé et qui brassent des milliards, comme le PSG ou Manchester City. Le football business, qui s’affirme chaque année un peu plus que l’année précédente rencontre donc certes de grandes résistances dans certains kops ultras attachés au football populaire, mais il séduit néanmoins hors de ces kops. Ainsi, comme l’explique le YouTubeur Wiloo dans une récente vidéo, la possibilité désormais ouverte à des entreprises privées de créer une « superligue européenne » qui ne rassemblera que les plus gros clubs, aux plus gros budgets, s’inscrit dans cette logique de marchandisation de plus en plus grande du football, avec des droits télés qui explosent, des produits dérivés qui rapportent des milliards et des petits clubs qui ne peuvent pas suivre et se retrouvent donc relégués dans des championnats nationaux qui perdront sans doute dans les années à venir tout leur intérêt. Ainsi, ici s’applique à l’échelle du football toute la logique capitaliste-impérialiste : les gros mangent les petits, les immenses entreprises qui ont de la trésorerie et de l’influence ont la possibilité d’investir massivement pour écraser la concurrence. Cela est vrai dans tous les secteurs d’activité.
Cette logique de transformation du football, qui suit celle de transformation de l’économie capitaliste, est encore plus évidente si on prend un peu de recul historique. En effet, tout comme le capitalisme qui, à ses débuts, était un modèle économique de relative libre concurrence, le football était, au début de sa professionnalisation, un sport dans lequel pouvait exister une relative égalité entre les différents clubs, et c’est la qualité sportive des joueurs, leur détermination, les facultés des entraîneurs etc qui faisaient la différence. Mais, comme pour le système capitaliste qui a vu, avec le développement de grandes entreprises, se creuser les inégalités entre les monopoles et les plus petites entreprises, le football a vu, avec le temps, se creuser les inégalités entre les clubs ayant de très bons résultats sportifs, beaucoup de public et des moyens de plus en plus conséquents, et les plus petits clubs qui ont, avec le temps, accumulé un retard qu’il est désormais impossible de rattraper.
Si le football est à l’image de la société, alors changeons la société pour changer le football
Dans notre société capitaliste-impérialiste, il n’y a pas d’espoir de voir le football devenir un véritable sport populaire, accessible à toutes et tous, pour lequel on vibre collectivement loin des exigences de profits, car le football n’existera jamais en dehors du contexte économique et social global de la société. Ainsi, si certains kops et certains clubs sont des bastions de résistance au football business, leur modèle ne pourra pas se généraliser sans une transformation profonde de la société. Et pour ce qui est du football, comme de l’ensemble du fonctionnement de la société, c’est encore une fois le prolétariat, la classe qui produit toutes les richesses, qui a tout à gagner à la révolution, car c’est le prolétariat qui a intérêt à détruire le foot business qui transforme les stades en lieux aseptisés interdits aux ouvriers, c’est le prolétariat qui a intérêt à voir les clubs amateurs associatifs des quartiers et des villages demeurer des lieux de sociabilité où l’amour du sport prime sur la rentabilité économique, car si ces petits clubs dont les responsables, souvent bénévoles, ont aujourd’hui toujours un œil inquiet sur la trésorerie, sont en si grande difficulté aujourd’hui, il pourront demain, dans un système socialiste de transition vers le communisme se consacrer pleinement à leur vocation d’origine : le sport.