Depuis le lundi 7 décembre, le peuple Kanak se soulève contre la vente par l’entreprise brésilienne Vale d’une usine de nickel située dans le sud de la Kanaky (ou Nouvelle-Calédonie selon la dénomination coloniale).
En septembre dernier, l’entreprise Vale a annoncé vouloir mettre à l’arrêt son usine de nickel située dans le sud de la Kanaky si aucun repreneur ne se manifestait pour acheter l’usine. Cette usine, qui se situe sur le riche gisement de nickel de Goro, est hautement stratégique pour le territoire kanak : elle représente 3 000 emplois directs et indirects et produit de grandes quantités de nickel, minerai utilisé notamment pour les batteries des voitures électriques. Le territoire kanak, colonisé depuis 1853 par l’État français, détient 25% des ressources et 9% des réserves mondiales de nickel, ce qui en fait un des principaux pourvoyeurs de ce minerai au combien important.
Suite à cette annonce de mise en vente de l’usine, deux projets de reprise concurrents avaient émergé : d’un côté une offre soutenue par l’État impérialiste français et les anti indépendantistes qui gouvernent la province sud de la Kanaky, et de l’autre une offre soutenue par les indépendantistes, et notamment les autorités de la province nord, majoritairement indépendantiste.
Malgré la mobilisation des indépendantistes, l’entreprise brésilienne Vale a choisi d’entrer en négociations exclusives avec un consortium mené par l’entreprise suisse Trafigura, conformément à ce que souhaitait l’État impérialiste français. Cette décision a donc mis le feu aux poudres et déclenché la colère du peuple kanak. En effet, les indépendantistes affirment que cette vente va amplifier le pillage des ressources de leur pays par les multinationales. Ainsi, les forces indépendantistes soutiennent l’autre projet de rachat, porté par la Sofinor, une société détenue majoritairement par la province nord, gouvernée par les indépendantistes. Cette entreprise, qui exploite déjà l’usine de nickel du nord de la Kanaky, souhaitait racheter 56% des parts de l’usine sud, et laisser une entreprise coréenne racheter les 44% restants. Cependant, suite à l’entrée en négociations exclusives entre Vale et Trafigura, la Sofinor a retiré son offre, faisant encore plus exploser la colère du peuple kanak.
Ainsi, depuis lundi 7 décembre, une mobilisation de masse est en cours sur le territoire kanak. Des barrages sont érigés dans tout le pays, de nombreuses mines sont bloquées, des manifestations ont eu lieu à Nouméa et au cours de celles-ci, des affrontements importants ont eu lieu avec la police et la gendarmerie de la puissance coloniale française. À Mont-Dore, des manifestants ont incendié une station service, et ce jeudi 10 décembre, des manifestants ont essayé de rentrer de force dans l’usine sud pour défendre les ressources de nickel contre les tentatives de pillage par les multinationale. Face à cette mobilisation, la gendarmerie a tiré à balles réelles en direction des manifestants, ne causant, heureusement, aucune blessure. Ces tirs à balle réelle nous montrent à quel point l’État impérialiste français est prêt à tout pour protéger les intérêts de la bourgeoisie française dans les territoires colonisés.
Bien-sûr, cette mobilisation du peuple kanak – et la répression qu’elle entraîne – ne vient pas de nulle part. En effet, le territoire kanak a connu au cours des deux derniers siècles de grandes luttes contre la domination coloniale française. Tout au long de la deuxième moitié du 20ème siècle, les révoltes kanak contre la colonisation ont été réprimées dans le sang. Ces massacres, cumulés au très nombreux décès de kanaks causés par des maladies importées par les colons, ont fait qu’entre 1866 et 1921, la population kanak a quasiment été divisée par deux. Dans le même temps, les colons, de plus en plus nombreux, se sont appropriés les terres du peuple kanak et ont cantonné celui-ci dans des réserves à l’est et au nord de l’archipel. Cette ségrégation raciale, permettant à la bourgeoisie française de s’approprier les ressources du territoire – en particulier le nickel – a posé les bases de la grande lutte armée du peuple kanak. En effet, l’État français a soigneusement organisé l’épuration ethnique du peuple kanak dans les années 1960 en incitant massivement des bourgeois issus de la métropole à aller s’installer sur l’archipel pour travailler dans le dynamique secteur de l’exploitation du nickel. L’essor économique de la Kanaky n’a bien évidemment profité qu’aux colons venus pour piller les ressources du territoire. Les kanaks, eux, ont vu leur situation se détériorer et leur peuple dépossédé de sa culture, de son histoire et de ses ressources. En 1984, alors que les revendications indépendantistes montent au sein de la population kanak, le FLNKS, Front de Libération National Kanak et Socialiste, est créé. Il permet de concrètement organiser la résistance du peuple kanak et de structurer la lutte armée pour l’indépendance. En 1985, le meurtre d’Éloi Machoro par le GIGN accentue la révolte. Trois années intenses de lutte armée ont lieu, et elles culminent en 1988, lorsque des indépendantistes kanak retiennent dans une grotte d’Ouvéa plusieurs gendarmes français. L’armée française finira par lancer un assaut meurtrier, au cours duquel 19 indépendantistes seront tués.
Suite à ce massacre, la direction du FLNKS acceptera de négocier avec l’État colonialiste français et ainsi d’abandonner la lutte révolutionnaire. Cette décision contre révolutionnaire a mis fin temporairement au violent conflit entre le peuple kanak et l’État français. En 2018, 30 ans après la signature des accords de Nouméa, un premier référendum sur l’indépendance s’est tenu et, comme l’avait prévu l’État français, l’épuration ethnique a fait son effet : 56% des électeurs, majoritairement colons, ont voté contre l’indépendance. En Octobre 2020, un second référendum a eu lieu, et là encore, 53% des votants se sont prononcé contre l’indépendance.
Nous le voyons donc bel et bien ici, la stratégie légale adoptée par le FLNKS à partir de la fin des années 1980 est une impasse. En effet, les indépendantistes, en abandonnant la lutte armée, ont accepté de « jouer selon les règles » de la puissance coloniale française. Or, nous le savons, ces règles ne sont en aucun cas démocratiques, elles servent uniquement à masquer la dictature impérialiste de la bourgeoisie française qui a tout intérêt à maintenir sa domination sur le territoire kanak.
Les révoltes de ces derniers jours marquent un réel retour à une lutte sans concession. Les barrages, les affrontements, les blocages de mines, le sabotage, démontrent la détermination du peuple kanak à défendre son territoire, à défendre ses ressources contre la cupidité des impérialistes. En biaisant totalement le processus référendaire par l’épuration ethnique, en soutenant sans faille le pillage des ressources de la Kanaky, l’État français a montré son vrai visage et a brutalement rappelé aux kanaks que la libération nationale n’est possible que par la lutte révolutionnaire. Aujourd’hui, alors que la justice bourgeoise de l’État français vient de jeter en prison six kanaks pour leur participation à la révolte en cours, alors que des milices fascistes de colons s’organisent pour tenter d’écraser la révolte, le peuple kanak est plus déterminé que jamais à lutter. Ainsi, le porte parole de l’ICAN (Instance coutumière autochtone de négociations) qui lutte contre la vente de l’usine à Trafigura déclarait récemment « chez nous, la maîtrise du sol ne se négocie pas (…) nous sommes prêts pour la guerre civile ».
La situation actuelle marque-t-elle la fin d’une période réformiste et le retour à la lutte révolutionnaire ? La suite nous le dira.