Depuis 1969, les publications de la bande dessinée Les Tuniques Bleues n’ont jamais été interrompues. Si, après l’arrêt du scénariste historique Raoul Cauvin, la série a été reprise par BéKa, un duo d’auteurs, cela n’a pas changé grand chose. Cauvin a toujours été un « dessinateur de bande dessinée commerciale », « de bonne qualité » selon ses propres mots.
Alors pourquoi parler d’une bande dessinée, commerciale, qui sort depuis 1969 ? Tout simplement parce que pour une partie d’entre nous, Les Tuniques Bleues nous a appris à trouver le chauvinisme et la guerre stupide. Les Tuniques Bleues, à travers la guerre de Sécession aux Etats Unis, entre 1861 et 1865, une guerre qui oppose les états libéraux du nord aux esclavagistes du sud, critique notre société et nos mentalités. Les premiers épisodes sont dans l’esprit « Spirou », plus enfantins. On y suit l’aventure du sergent Chesterfield et du caporal Blutch, un gros sergent un peu idiot et un petit caporal malicieux. Ce dernier déteste la hiérarchie, la guerre et ne veut qu’une chose : quitter le front et retrouver sa vie d’avant.
Plus la série avance et plus elle s’affine. Rapidement, Blutch se met à critiquer la hiérarchie de l’armée bourgeoise, refuse de se battre contre ceux qui sont comme lui. Un épisode (Les cousins d’en face) met d’ailleurs en scène les cousins du sergent, qui se battent contre lui. En se retrouvant, ils sont heureux de voir que leur famille pourrait être fier de leur bravoure… Alors qu’ils étaient prêt à s’entretuer l’instant d’avant, symbole de la bêtise du chauvinisme.
Mais toutes les guerres ne sont pas mises sur le même plan. La guerre entre sud et nord est présentée comme une guerre de type impérialiste et les deux camps sont mis sur le même plan, la lutte contre l’esclavage est présenté comme une hypocrisie. Mais les combattants indiens sont présentés comme légitime et non comme de simples guerriers idiots comme les autres.
Dans un autre épisode (Black Face), les esclaves se révoltent contre les sudistes… mais refusent d’aller travailler pour leur nord. Leur chef explique que ce sera la même misère pour eux…. et Blutch lui donne raison, alors que Chesterfield ne voit que des recrues potentielles et des dévastations possible dans le camp ennemi. C’est à la fois une caricature du machiavelisme et une volonté de mettre en parrallèle deux modes d’exploitation des masses parmi les plus pauvres. Dans l’histoire des états-unis, salariat et esclavage ont été utilisés en parallèle, les serviteurs sous contrat n’étant pas forcément privilégiés par rapport aux esclaves.
Finalement, les épisodes sont tous critiques de la guerre et du chauvinisme. Dans Emeutes à New York, les masses de la ville se soulèvent contre la conscription et les émeutes bouleversent le quotidien. Dans un des derniers épisodes, Blutch raconte son passé de petit patron de bar, violemment prolétarisé, engagé de force dans l’armée, ce qui rajoute une profondeur supplémentaire au personnage.
D’une BD pour enfants, la série, de plus en plus, devient une série pour adulte. Le fond suit la forme, le dessin type spirou laisse la place à un trait plus mature, avec un fond de critique sociale forte, étonnante pour ce type de public.