Sur les réseaux sociaux, dans les manifestations ou encore dans les médias, nous pouvons parfois entendre que la Chine est un État socialiste, ou parfois qu’elle est communiste, et depuis la mystérieuse disparition de Jack Ma, le milliardaire PDG de l’entreprise Ali Baba, ces propos sont de plus en plus fréquents. Si ces affirmations proviennent la majeure partie du temps de bourgeois ouvertement anti-communistes, nous pouvons également les entendre dans la bouche de personnes qui se revendiquent communistes et/ou révolutionnaires. Ainsi, le MJCF (Mouvement des Jeunes « Communistes » de France) et le PCF (Parti « Communiste » Français) soutiennent explicitement le régime chinois, et certains membres de ces organisations qualifient celui-ci de socialiste. Alors, qu’en est-il réellement ? Dans cet article, nous allons analyser le régime chinois afin de répondre à cette question.
Le socialisme, qu’est-ce qu’est ?
Premièrement, nous devons définir ce qu’est le socialisme. Le socialisme, c’est donc la phase de transition entre le capitalisme et le communisme. Cela n’a ainsi rien à voir avec le Parti Socialiste, qui n’a de socialiste que le nom, mais qui s’inscrit pleinement dans le cadre du système institutionnel bourgeois français. Le socialisme intervient après la prise de pouvoir par les révolutionnaires, il est donc une phase de développement du processus révolutionnaire.
Concrètement, au cours de la phase socialiste, les moyens de production, c’est à dire tout ce qui sert de manière directe ou indirecte à produire des marchandises (usines, outils, moyens de transport des marchandises, terres agricoles, entreprises etc), sont socialisés. Cela signifie que les bourgeois qui les possédaient dans le cadre du système capitaliste sont expropriés et que ces moyens de production sont mis en commun. Ainsi, dans le cadre de la société socialiste, la vocation même de la production des biens change totalement : sous le capitalisme, les bourgeois exploitent les travailleurs et vendent les biens produits par ces derniers dans le but de faire le maximum de profit, d’accumuler du capital. Dans le cadre du socialisme, les biens sont produits pour leur utilité réelle, pour ce à quoi ils servent, pour ce que Karl Marx appelle leur « valeur d’usage » et non pour faire du profit.
Le socialisme débarrasse ainsi la production de l’exigence de profit et de rentabilité, ce qui compte c’est de produire pour servir les intérêts du peuple. Dans le cadre du socialisme, puisque la bourgeoisie a été expropriée et que les moyens de production ont été mis en commun, c’est le prolétariat qui a le pouvoir et qui contrôle les appareils d’État. Il s’agit d’un renversement total du pouvoir, puisque dans le cadre du système capitaliste, la bourgeoisie détient le pouvoir et le prolétariat est la classe dominée, qui subit la gouvernance de la bourgeoisie, alors que sous le socialisme, c’est l’inverse, c’est le prolétariat qui détient le pouvoir et c’est la bourgeoisie qui devient la classe dominée. C’est ce qu’on appelle la « dictature du prolétariat », une dictature exercée par la majorité du peuple, les travailleurs et leurs familles contre la minorité d’exploiteurs, de parasites contre-révolutionnaires qui, autrefois, détenait les clés du pouvoir et exploitait le prolétariat.
Dans le cadre de la société socialiste, la production est planifiée à l’échelle de toute la société pour servir au mieux les intérêts du peuple. Concrètement, cela signifie que, régulièrement (tous les cinq ans par exemple), un plan de production est édité dans le but de développer la société, d’améliorer les conditions de vie du peuple et donc de produire ce dont la population a besoin – et nous ne parlons pas ici uniquement de besoins vitaux, mais également des loisirs et de tout ce qui rend la vie agréable –.
Le socialisme n’est cependant qu’une phase de développement de la révolution, car sous le socialisme, la révolution n’a pas encore atteint tous ces objectifs. En effet, comme Karl Marx nous l’enseigne, le communisme réel ne peut exister qu’à l’échelle mondiale, une fois que tous les peuples du monde auront fait la révolution, renversé le système de leurs pays respectifs et mis en place le socialisme. Alors seulement, les États, dans leur forme socialiste, pourront disparaître totalement car ils n’auront plus d’utilité, et le communisme pourra advenir à l’échelle mondiale.
Qu’en est-il de la Chine ?
En 1949, la victoire de la révolution en Chine, et l’arrivée au pouvoir du Parti Communiste Chinois, emmené par Mao Zedong, ont ouvert la voie au développement du socialisme dans le pays. De 1949 à 1953, les grands propriétaires terriens ont massivement été expropriés et leurs terres redistribuées à plus de 300 millions de paysans, jusque là privés de terres. À partir de 1953, un nouveau pas a été franchi en Chine puisque les terres redistribuées ont été collectivisées. De 1958 à 1960, le grand bond en avant permet également de développer l’industrie chinoise sur un modèle socialiste (usines collectivisées). Ce grand bond en avant a permis, sur le long terme, d’améliorer drastiquement les conditions de vie du peuple chinois grâce à l’industrialisation, en témoigne l’espérance de vie en Chine, passée de 35 ans en 1949 (arrivée au pouvoir de Mao Zedong) à 65 ans en 1976 (mort de Mao Zedong) et l’alphabétisation qui, au cours de la même période, est passée de 15% à entre 80 et 90%. Plus important encore, le grand bond en avant a mis la politique – et donc, dans un État socialiste, les intérêts des travailleurs – aux commandes de l’organisation de la production. De plus, l’industrialisation s’est accompagnée de très importantes avancées pour les ouvriers qui ont pu bénéficier d’un réel droit au logement et de soins gratuits. La révolution culturelle, de 1966 à 1976, a permis d’amplifier encore le développement du socialisme en Chine en augmentant significativement l’implication des masses populaires dans l’organisation de la vie quotidienne, que ce soit sur le lieu de vie, le lieu de travail ou le lieu d’étude, comme en témoigne la série de documentaires « Comment Yukong déplaça les montagnes ? » réalisée durant la révolution culturelle et diffusé en 1976.
Seulement, depuis 1976, la Chine a opéré un important revirement, revenant ainsi à une économie capitaliste. Ce revirement ne sort pas de nulle part, il est le résultat de très intenses luttes de ligne au sein de la société chinoise, entre l’aile droite du Parti Communiste Chinois, souhaitant revenir au capitalisme et la ligne rouge du Parti qui souhaite, au contraire, continuer la construction du socialisme dans le but de marcher vers le communisme. Ainsi, au cours de la révolution culturelle, Mao Zedong et les autres tenants de la ligne rouge, ont tenté de mettre de côté les tenants de la ligne de droite afin de faire triompher la révolution socialiste. Les tenants de la ligne de droite, de leur côté, se sont au contraire organisés en réelle force contre révolutionnaire. En 1977, profitant de la récente mort de Mao, Deng Xiaoping, écarté du pouvoir au cours de la révolution culturelle, réussit un coup d’État et prend le pouvoir. Décrit comme un « réformiste pragmatique » par les médias bourgeois, il entreprend une politique de liquidation de tous les acquis de la période Mao.
Avec Deng Xiaoping, c’est la bourgeoisie qui reprend directement le pouvoir en Chine. Ainsi, à partir de 1978, la Chine s’ouvre à l’économie capitaliste mondiale, en créant par exemple une Zone Économique Spéciale à Schenzen. Cela permet aux grandes puissances impérialistes de l’époque (France, Royaume-Uni, États-Unis, Allemagne, Canada, Japon, Italie) d’investir massivement en Chine, pour exploiter le prolétariat chinois qui, en plus de se retrouver dépossédé du pouvoir, doit désormais travailler directement pour le profit des grands patrons des entreprises impérialistes. Aux antipodes des idées socialistes, Deng Xiaoping promeut la réussite individuelle et l’entreprenariat capitaliste, notamment au travers de deux phrases restées célèbres : « Certains doivent d’abord devenir riches ! » et « Devenir riche est glorieux ! ».
En 1989, les importantes manifestations de la place Tian’amen visant notamment à s’opposer à ce retour du capitalisme ont été écrasées par la répression. À partir des années 1990, sous le règne de Jiang Zemin, successeur de Deng Xiaoping, une deuxième vague de réformes économiques a fini d’anéantir les avancées permises par la révolution socialiste menée par Mao Zedong et les masses populaires chinoises. De nombreuses entreprises ont été privatisées, leurs parts ont été rachetées par les managers et de très nombreux travailleurs ont été licenciés. Depuis, aucun retour en arrière n’a été effectué, ni sous le règne de Hu Jinato, ni sous celui de l’actuel chef d’État chinois Xi Jinping. Au contraire même, le capitalisme n’a cessé de se développer en Chine puisque les entreprises capitalistes des grands pays impérialistes ont très massivement délocalisé leur production en Chine au cours des années 1990 et 2000 du fait des faibles coûts de la main d’oeuvre chinoise et du droit du travail très souple offert par l’État capitaliste chinois.
Ces délocalisations ont permis à la Chine de développer massivement son économie et ainsi la création de grandes entreprises chinoises, comme Ali Baba, Xiaomi ou encore Huawei. Ces entreprises, qui brassent des milliards, permettent à leurs PDG et actionnaires d’amasser des fortunes considérables, à l’image de Ren Zhengfei, PDG de Huawei dont la fortune personnelle dépasse les 3 milliards de dollars. Aujourd’hui, la Chine, au travers de ses grandes entreprises (publiques comme privées) investit massivement à l’international et exporte ainsi des capitaux, ce qui constitue, selon Lénine, une des caractéristiques essentielles de l’impérialisme. Depuis 2019, la part des entreprises privées dans les exportations chinoises a dépassé celle des entreprises publiques.
Par ailleurs, il est important de préciser que la forme juridique d’une entreprise n’est pas un élément suffisant pour déterminer si celle-ci est collectivisée ou non. En effet, le marxisme prône la mise en commun des moyens de production, et non leur simple nationalisation. Ainsi, dans les faits, en Chine, les entreprises appartenant à l’État sont des entreprises capitalistes et fonctionnent comme tel : elles ne sont pas gérées démocratiquement par les travailleurs mais par les actionnaires (État capitaliste en tête), elles génèrent du profit qui est capté par les cadres de l’entreprise (PDG en tête) au détriment des travailleurs et elles investissent à l’étranger pour les intérêts de la bourgeoisie chinoise. À ce titre, nous pouvons par exemple citer l’entreprise Tencent, qui, bien qu’ayant la forme juridique d’une entreprise publique, a permis à son fondateur Ma Huateng d’accumuler une fortune de 13,4 milliards de dollars. Nous pouvons également citer la Sinopec, immense groupe pétrolier chinois, qui exploite des gisements de pétrole au Cameroun et au Nigéria pour le compte de l’impérialisme chinois.
Au delà du caractère capitaliste de l’organisation de la production en Chine, il est très important de noter que l’État chinois a toutes les caractéristiques d’un État social-fasciste. En effet, en Chine, le corporatisme est très important. Cela signifie que, pour régler les problèmes et écraser la lutte des classes, l’État chinois ne passe par par le Parlement mais négocie directement avec des corporations qui représentent d’un côté les intérêts du patronat, et de l’autre ceux des travailleurs de différents secteurs. Cela permet à l’État de pacifier les rapports sociaux et de briser l’unité de la classe ouvrière en tentant de créer une unité artificielle entre les travailleurs et les patrons d’un même secteur d’activité, d’une même corporation.
Ainsi, la Chine n’a en aucun cas les caractéristiques d’un État socialiste, et il serait mensonger de l’affirmer. Pourtant, le PCF (Parti « Communiste » Français) défend en filigrane cette ligne (sans pour autant prononcer le mot « socialisme »). En effet, à l’occasion d’une visite en Chine en 2019, Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, affirmait que la Chine de Xi Jinping avait entrepris une politique « visant à toujours mieux redistribuer les richesses produites. » mais également que le projet des nouvelles routes de la soie – projet ô combien important pour le régime chinois, puisqu’il vise à étendre sa puissance impérialiste – ouvrait « une perspective de coopération équilibrée, porteuse de paix et de sécurité collective ».
Il s’agit là d’une position opportuniste du PCF qui espère, en défendant le régime chinois, s’attirer les faveurs de ce dernier et ainsi augmenter encore les contributions de l’État chinois à la fête de l’Humanité afin de sauver de la faillite le journal du même nom. Mais cette position opportuniste – qui illustre bien ce qu’est devenu le Parti Communiste Français, un parti opportuniste, social démocrate, ayant totalement abandonné toute perspective révolutionnaire – est dangereuse et doit être combattue. La réalité du prolétariat chinois n’est en effet en aucun cas celle d’un État socialiste : les salaires sont très faibles et ne permettent absolument pas un niveau de vie satisfaisant, les entreprises sont gérées dans un objectif de rentabilité et d’accumulation du capital, l’État est totalement contrôlé par le Parti Communiste Chinois qui, depuis la fin des années 1970, représente directement les intérêts de la bourgeoisie chinoise, les travailleurs qui s’organisent pour lutter contre le régime afin d’avancer vers la révolution socialiste sont emprisonnées et les grèves sont durement réprimées, au profit de négociations corporatistes. Ce fut le cas en 2014 lorsque des dizaines de milliers d’ouvriers travaillant dans des usines fabriquant des chaussures Nike et Adidas se sont mis en grève pour exiger de meilleures conditions de travail. À cette occasion, l’État chinois n’a ainsi pas hésité à faire arrêter plusieurs grévistes et à envoyer la police les tabasser, défendant directement les intérêts d’Adidas et Nike.
Cependant, à l’époque de l’impérialisme, et plus précisément du pourrissement de l’impérialisme, il n’est pas suffisant d’affirmer que l’État chinois est capitaliste. En effet, il est également un État impérialiste, et il est même une des principales puissances impérialistes dans le monde (bien derrière les États-Unis néanmoins). En effet, l’impérialisme, selon Lénine, c’est le stade de développement du capitalisme auquel les grands monopoles capitalistes ont atteint un tel niveau de développement que leur rôle dans la vie économique est décisif. De là découlent d’importants investissements à l’étranger, sur le territoire de pays dominés, afin de mettre la main sur les matières premières de ces pays, afin d’en exploiter toujours plus la main d’oeuvre et afin d’y gagner des parts de marché. Ainsi, si on regarde la liste des quinze plus grandes entreprises au monde en terme de chiffre d’affaire, nous pouvons constater que trois sont chinoises, confirmant l’existence de grands monopoles capitalistes chinois. La logique est la même en terme de capitalisation boursière, puisque deux des dix plus grandes entreprises au monde selon ce critère sont chinoises (Ali Baba et Tencent).
Pour ce qui est des investissements chinois à l’étranger, le pays dispose d’importants stocks d’IDE (investissements directs à l’étranger). Aujourd’hui, l’État chinois accroît massivement ses investissements à l’étranger, notamment en Afrique mais également en Asie et au Moyen-Orient. Cela permet à la Chine d’augmenter significativement ses parts de marché dans le monde. Ainsi, par exemple, en Afrique, entre 2000 et 2017, les parts de marché chinoises sont passées de 3% à 18%. Dans le même temps, l’État chinois développe une politique de prêts toxiques visant à mettre la main sur des matières premières et des infrastructures, en Afrique, mais pas uniquement. En effet, entre 2005 et 2017, 137 milliards de dollars ont été prêtés par l’État chinois à des pays africains, avec pour but affiché de financer des projets de construction d’infrastructures. Cependant, ces prêts contiennent généralement des clauses de sûreté qui stipulent qu’en cas de défaut de remboursement – ce qui est très probable étant donné la faible solvabilité des États auxquels prête la Chine – le remboursement peut se faire directement en matières premières ou en infrastructures. Ainsi, en 2015, le Sri Lanka, ayant emprunté plusieurs milliards de dollars à la Chine dans le but de financer la construction d’un immense port au sud de l’île, s’est vu contraint de céder le contrôle du port à l’État chinois pour 99 ans, permettant ainsi à l’impérialisme chinois de mettre la main sur une grande infrastructure portuaire située sur le chemin du projet des nouvelles routes de la soie.
Ainsi, alors que l’impérialisme est la contradiction principale structurant le fonctionnement du monde, le régime chinois, gouverné directement par la bourgeoisie monopoliste chinoise, développe sa puissance impérialiste et se présente de plus en plus comme un des principaux ennemis de nombreux peuples du monde, vivant dans des pays qui se retrouvent dominés par l’impérialisme chinois. La position révolutionnaire sur ce sujet est donc aux antipodes de la position opportuniste du PCF et d’une bonne partie du Mouvement des Jeunes « Communistes » de France, puisqu’elle consiste précisément à dénoncer l’impérialisme chinois et non à le soutenir au motif que l’État chinois est un État capitaliste repeint en rouge. C’est la position que nous tenons à La Cause du Peuple, car, en tant que journal défendant la révolution socialiste comme solution principale aux problèmes du monde, nous nous positionnons du côté du prolétariat chinois mais aussi des peuples dominés par l’impérialisme chinois, et non du côté du régime de Xi Jinping et des grands patrons chinois qui s’enrichissent au détriment des travailleurs chinois et de nombreux peuples du monde entier.
Je suis chinois.En espérant que la révolution revienne!