Quelques semaines après l’assassinat d’Alisha à Argenteuil, le problème du harcèlement scolaire revient dans l’actualité. Une étude de l’IFOP faite sur 2003 personnes de plus de 15 ans et 500 professeurs révèle que 85 % des sondés sont inquiets à l’idée que leurs enfants soient confrontés au harcèlement scolaire. Le 29 mars, sur les ondes d’Europe 1, l’ancien officier du RAID Laurent Combalbert livrait ses conseils pour mettre fin au harcèlement scolaire et pour aider les enfants en difficulté.
Le harcèlement scolaire est un poison dans la vie des enfants et peut conduire à de très graves violences durement ressenties, qui peuvent mener jusqu’au suicide, comme ce put être le cas de Thybault Duchemin. Alors que sa mère, Karine, passait dans l’émission Touche pas à mon poste, un politicien membre du gouvernement répétait ce qu’on entend à chaque fois : « nous faisons au mieux », « nous accompagnons les enfants ». Entre psychologie et répression, les mesures des gouvernements et des directions scolaires respectives ne sont, au mieux, que des pansements sur une jambe de bois, les professeurs et amis des victimes portant tout le poids — et même, en partie, la responsabilité pénale — de l’aide aux victimes.
Bien sûr, on peut penser que des mesures sont utiles et nécessaires. Mais le harcèlement scolaire n’est pas un problème de formation, d’encadrement ou de lois. C’est un problème social. Nous sommes dans une société de concurrence. L’histoire du capitalisme telle qu’elle est racontée est celle de petits producteurs qui se font concurrence. Les moins bons sont coulés, les meilleurs l’emportent et peuvent racheter ceux qui ne parviennent pas à survivre. Mais ce n’est pas qu’un mythe. Toute notre société est basée sur la concurrence. Dès le plus jeune âge, il faut être le meilleur, au foot, à la danse, dans la récré, avoir les meilleures notes, être l’enfant le mieux élevé pour rendre fiers ses parents. Cette concurrence devient extrêmement violente pendant les études supérieures : vol de cours pour saboter les révisions dans les classes prépas, harcèlement d’étudiants qui n’ont pas le niveau, ne viennent pas de la bonne classe sociale, ne correspondent pas au bon stéréotype, ou n’ont pas la bonne couleur de peau, harcèlement sexuel… Cette violence a un caractère de classe : elle correspond à la concurrence au sein de la bourgeoisie, mais infuse dans toute la société.
Toute la culture de notre société va dans ce sens. Les livres, les films et les séries produisent ce type de représentations. On voit souvent, dans des séries américaines, le quaterback (ou capitaine de l’équipe sportive) et la cheerleader se moquer de jeunes étudiants marginaux, les chefs de gangs ou hommes d’affaires sont mis en avant, on ne montre que des « petits génies » capables de tout réaliser dans les dessins animés. Le capitalisme est arrivé au maximum de son développement : il ne peut plus avancer, alors la société pourrit sur pied, décuplant la concurrence et donc la violence.
Il est parfaitement logique de voir cette violence se reproduire sous forme de « cannibalisme social », c’est-à-dire de violence « gratuite » entre les gens du peuple. Et ce, à tous les niveaux, école comprise. Aucune mesure, aucune punition, aucune information venue de l’État dans une société entièrement construite sur la concurrence ne pourra changer cela. La plupart des harceleurs sont tellement intégrés au système qu’ils ne se rendent même pas compte qu’ils font du tort. L’encadrement scolaire, pour les mêmes raisons, bien souvent, ne s’en rend pas davantage compte. Par éducation et imprégnation générale autour de la même idéologie, les mêmes travers sont reproduits dans les sphères les plus diverses. Les parents crient sur leurs enfants, les enfants, dans le cadre sportif, crient sur leurs équipiers ou sur les arbitres. Tout conducteur entend les coups de klaxon et les insultes qui fusent à l’intérieur de son véhicule. Les femmes savent à quel point les hommes, en société, essayent de se montrer plus virils, dans un esprit de concurrence. Cette mentalité est incrustée en chacun de nous, au plus profond de notre comportement.
Sans détruire la société capitaliste, la concurrence, la violence sociale, qui sont la base matérielle de cette société, on ne peut détruire le cannibalisme social. La bienveillance, l’entraide, la solidarité de classe peuvent aider à imprégner la classe ouvrière d’une nouvelle culture qui combattra réellement le harcèlement scolaire. Mais c’est une véritable révolution culturelle qui est nécessaire. Une révolution qui modifiera tous les aspects négatifs de la vie en société. Seul un effort total de rééducation, porté par l’ensemble de la société, peut faire parvenir à changer des individus qui ont été élevés dans une société pourrissante.