Dans la nuit du 17 au 18 avril, la Cour d’Assises des mineurs de Paris a rendu son verdict dans le cadre du procès en appel de l’affaire de Viry Châtillon. Lors de ce procès, treize jeunes étaient jugés pour avoir tenté de tuer des policiers avec des cocktails molotovs le 8 octobre 2016. Sur les treize accusés, seuls cinq ont été reconnus coupables, les huit autres ont été acquittés. Pour eux, c’est la fin d’un calvaire judiciaire long de plusieurs années. Mais comment huit jeunes innocents ont pu être accusés à tort, et pour certains condamnés à de la prison en première instance ? Ce mardi 20 avril, Médiapart a révélé que les policiers en charge de l’enquête ont falsifié les procès verbaux d’audition afin de faire condamner des innocents. Foued, âgé aujourd’hui de 22 ans, a passé quatre ans derrière les barreaux. Dylan, 21 ans, a quant à lui passé 18 mois en prison.
Dans l’affaire de Viry Châtillon, comme dans toutes les affaires médiatiques, il fallait à tout prix trouver des coupables. À l’époque, les images de cette voiture de police en flammes étaient à la une des médias, tous les politiciens et autres éditorialistes y étaient allés de leur petit commentaire. Les syndicats policiers, quant à eux, avaient organisé de nombreuses manifestations, dans le cadre desquelles des membres de la BAC avaient défilé cagoulés et armés, enfreignant toutes les règles en vigueur. Alors, dans cette affaire, l’État devait se montrer fort, taper du poing sur la table. La priorité n’était donc en aucun cas de trouver les coupables, mais bien de trouver des coupables. Foued et Dylan, âgés de 18 et 17 ans au moment des faits et vivant tous deux dans le quartier de la Grande-Borne, où a eu lieu l’attaque des policiers, ont fait les frais de cette volonté des autorités de trouver des coupables coûte que coûte.
Alors, les enquêteurs ont très vite identifié des jeunes qui se trouvaient dans le quartier ce jour là. Foued et Dylan ont tous les deux été placés en garde à vue. Foued y a passé trois jours. Mis sous pression par les policiers et trahi par son avocat, il finit par dire à propos de l’agression des policiers « Je ne m’en souviens pas une seconde si je l’ai faite ou pas ». C’est cette seule petite déclaration, au milieu de nombreuses heures d’audition au cours desquelles Foued a affirmé plus de cent fois être innocent, qui lui a valu en première instance une condamnation à 18 ans de prison. Pourtant, il s’avère que les procès verbaux d’audition ont été falsifiés par les policiers. Si Foued, sous pression des policiers et de son avocat, a effectivement prononcé cette phrase, les policiers ont retiré des procès verbaux d’audition de nombreuses déclarations de Foued, dans lesquelles il expliquait très précisément pourquoi il ne pouvait pas être présent, détaillant notamment son emploi du temps du jour des faits. Ainsi, dans les procès verbaux d’audition, les policiers n’ont retranscrit que ce qui permettait d’inculper Foued, et non ce qui le disculpait. Si le procès verbal d’audition rédigé par les policiers ne fait qu’une trentaine de pages, la vidéo de l’interrogatoire, elle, dure de nombreuses heures, et une fois retranscrite par un huissier de justice, elle fait en réalité 150 pages. Il a ainsi fallu que les avocats de Foued et d’autres prévenus demandent la consultation des vidéos des auditions pour qu’il soit enfin prouvé que les procès verbaux ont été falsifiés, et que les prévenus étaient innocents.
Bien-sûr, les policiers ont également retiré des procès verbaux d’audition les violences commises à l’encontre des prévenus et les nombreuses insultes, parfois racistes, proférées. Pourtant, les policiers étaient bien conscients qu’ils avaient affaire à des innocents. Ainsi, il est mentionné dans l’article de Médiapart que « lors d’une pause, au cours d’un interrogatoire [de Dylan], l’un des enquêteurs, pensant la caméra éteinte alors qu’elle tourne encore, avoue : « Je reste convaincu que, lui, il n’a pas participé. » Son collègue partage sa conviction. Mais prône de ne pas en tenir compte : « Faut le rattacher au truc [à la procédure] » ». Un policier ira même jusqu’à dire à Dylan « Parfois, c’est le coup du sort. On est au mauvais endroit au mauvais moment, ça arrive à tout le monde ».
Cette affaire nous montre que, dans la tête des policiers, mais aussi de nombreux politiciens et éditorialistes bourgeois, accusé signifie coupable. Cette affaire Viry Châtillon en est un symbole : les accusés ont dès le début de l’enquête été traités comme des criminels, leur défense a sciemment été ignorée tant par les policiers que par la justice bourgeoise, et l’État a voulu faire d’eux des exemples, sans se soucier une seule seconde de la question de leur culpabilité ou leur innocence.
Si ces huit prévenus ont finalement été innocentés, c’est car la justice bourgeoise ne pouvait pas fermer les yeux sur les nombreux éléments prouvant leur innocence. C’est aussi car ces huit jeunes se sont longuement battus, pour certains derrière les barreaux, pour qu’enfin certaines pièces du dossier soient étudiées. C’est sans doute, enfin, car c’est un jury populaire qui a rendu le verdict et non la justice bourgeoise, qui n’est en rien indépendante, quoi qu’en disent les politiciens bourgeois.
Pour autant, si l’innocence de ces huit jeunes a finalement été reconnue, combien d’innocents sont actuellement derrière les barreaux ? Combien de Foued et de Dylan, emprisonnés pour l’exemple par une justice qui ne cherche pas les coupables mais des coupables ? Combien de vies brisées à cause de procès verbaux falsifiés ? Des centaines, sans aucun doute. Des milliers probablement.
Bien-sûr, il est très probable qu’aucun des policiers ayant falsifié les procès verbaux d’audition ne sera poursuivi. Et même si cela arrive, les flics éviteront à coup sûr la prison, celle-là même où Foued a passé quatre ans et Dylan 18 mois.
Alors qu’il est évident que les accusés étaient innocents, alors qu’il a été prouvé que les policiers ont sciemment falsifié les procès verbaux d’audition, ce verdict ne satisfait pas les syndicats de policiers, qui ont organisé ces derniers jours plusieurs rassemblements et manifestations, pour dénoncer l’acquittement de ces huit jeunes. Le message ici est clair : les syndicats de policiers préfèrent que des innocents aillent en prison et soient considérés comme des criminels plutôt que de reconnaître que leurs collègues ne savent pas mener une enquête correctement et préfèrent jeter en prison le premier habitant du quartier venu, plutôt que de mener une enquête poussée pour identifier les vrais fautifs.
Bien-sûr, les syndicats policiers ne sont pas les seuls à trouver ce verdict scandaleux : le réactionnaire Xavier Bertrand, candidat à l’élection présidentielle de 2022, a proposé de mettre en place une peine minimale d’un an de prison en cas de violence contre des policiers. Il a ajouté que, avec cette proposition, personne n’aurait pu être acquitté lors de ce procès. On pourrait penser que Xavier Bertrand s’est trompé, qu’il ne sait pas de quoi il parle, qu’il n’est pas au courant qu’un acquittement signifie précisément que l’accusé n’est pas coupable des faits qu’on lui reproche. Mais cela est très peu probable : Xavier Bertrand a fait des études de droit, il sait donc parfaitement de quoi il parle, et sa proposition vise ainsi précisément à envoyer des innocents en prison, au simple motif qu’ils ont pu être, à un moment ou un autre, soupçonnés d’avoir commis une infraction.
À l’approche de la grande farce électorale de 2022, tous les politiciens réactionnaires s’en donnent à cœur joie et démontrent, une fois de plus, que nous sommes bel et bien à l’époque de la réactionnarisation de l’État. Foued, Dylan et les six autres accusés qui ont été acquittés lors de ce procès, en ont fait les frais.