Ce 8 mai, comme l’an dernier, les commémorations de la fin de la Seconde Guerre mondiale auront lieu sans public. Elles auront lieu, également, en « oubliant » la plupart des aspects de la guerre. D’abord, le rôle de l’URSS et celui du Front Uni dirigé par les communistes en Chine, ainsi que les guerres de partisans dans les Balkans, en Grèce, dans la péninsule Indochinoise (Vietnam, Laos et Cambodge actuels). Pourtant, dans la guerre, les forces communistes ont joué un rôle de premier plan. Ensuite, le nazisme est présenté comme une « erreur de l’histoire », et le régime de Vichy en France est considéré comme « importé », « imposé » de l’extérieur. Pourtant, dès 1938, avant l’invasion allemande, l’Etat français avance à marche forcée dans la réactionnarisation. Des agents de la Gestapo sont installés en France pour chasser les réfugiés politiques Allemands. Le PCF est interdit, et le Komintern (internationale communiste) lui ordonne de se préparer à la résistance.
Voilà ce qui est retenu du 8 mai : la « barbarie » est vaincue par les « forces du monde libre ». La parenthèse nazi se referme pour toujours. Les criminels sont jugés, et l’affaire est réglée. Le régime nazi mis en place en Allemagne était une erreur, une aberration, qui n’a rien à voir avec notre monde. Le nazisme, c’est un petit fou moustachu qui a réussi à embrigader une petite équipe de gens aussi fous que lui en les manipulant. Et comme, au fond, les allemands aiment les uniformes et l’autorité, le reste s’est fait tout seul… voilà comment les impérialistes nous expliquent le nazisme et la guerre.
L’historien Johann Chapoutout, qui est la référence francophone de l’histoire du nazisme, voit les choses autrement. Pour lui, il faut prendre au sérieux les idées, les représentations du monde, et l’organisation des nazis.
D’abord, il explique que les idées ne « naissent pas de nul part ». Il aborde les choses à la manière de la gauche libérale moderne, et met sur le même plan des systèmes économiques et des oppressions, mais part d’une réalité concrète : le racisme biologique, la théorie de « l’espace vital » et la déshumanisation d’une grande partie de l’humanité, l’antisémitisme, ne sont pas des inventions nazies. Ce sont les impérialistes qui ont produit ce corpus de doctrines que les nazis « n’ont eu qu’à se baisser pour ramasser ». Les nazis ont, également, été financés par la haute bourgeoisie, qui voyait dans les quelques rares aspects « socialistes » une digue contre la révolution prolétarienne mondiale. Dans une lecture « de gauche » des évènements, l’historien déclare que « ce sont les structures sociales et économiques qui produisent les faits politiques », et pose ainsi une analyse matérialiste des choses.
A partir de cette lecture, il explique le véritable retournement idéologique des nazis : d’abord, le nazi protège « la nation », vue comme un tout homogène, unie biologiquement, dans laquelle les classes n’existent pas. Cette nation est naturellement « fonctionnelle ». Donc, seuls des parasites peuvent poser problème : les juifs « apatrides » alliés aux marxistes qui « inventent » une lutte des classes, les étrangers, les faibles, etc. La liberté des nazis, c’est la nécessité d’obéir à la loi de la biologie, de la race. Donc, être libre, c’est obéir au fürher. On retrouve de nombreux parallèles avec certains idéologues réactionnaires actuels.
Plus intéressant, Johann Chapoutot explore les liens entre le management moderne et les méthodes utilisées par les nazis. Pour lui, les nazis sont l’apogée de la contre-révolution, et n’existent que contre la révolution. Ils balayent les lumières et tout ce qui a été progressiste dans la révolution bourgeoise. Certains aspects du nazisme, que l’on retrouve dans le néo-management, montrent bien que nous sommes dans une situation de pourrissement de la société, où tout ce qui est progressiste est balayé.
Comme on le voit avec l’étude de l’histoire, le nazisme n’est pas une « aberration », une « erreur de l’histoire », un « totalitarisme » qui s’oppose au règne éternel du libéralisme et de la démocratie. C’est le produit d’une société en crise, d’une société capitaliste pourrissante. C’est la radicalisation de tout ce qui est réactionnaire. Le terrain est préparé par la réactionnarisation de la société. L’antagonisme entre révolution et contre-révolution radicalise la bourgeoisie. Cela produit le nazisme. Mais l’influence des idées contre-révolutionnaires ne disparaît pas en 1945. Aujourd’hui, nous sommes à l’étape de la réactionnarisation générale. Il ne faut pas oublier que toutes les thèses propagées par Eric Zemmour, Marion Maréchal, Pierre De Villiers, etc forment un corpus idéologique contre révolutionnaire, ultra-réactionnaire, absorbé petit à petit par la structure d’État en France. Quand la bourgeoisie aura besoin du fascisme, les fascistes n’auront qu’à « se baisser » pour construire le nouveau fascisme.
Passionnante l interview de l historien Johann Chapoutot ! Un éclairage à la fois limpide et salutaire… il est temps de faire bouger les lignes de mettre un terme à ce système pour que nous ne nous envisagions plus en tant que ressources humaines …
Merci de l avoir mise en ligne ..