Le 17 juin 2021 passera devant l’Assemblée Nationale un texte de loi ayant pour objet la déconjugalisation de l’AAH (Allocation Adulte Handicapé), texte qui a été adopté par le Sénat en mars de cette année. Cette mesure est depuis longtemps demandée par les associations de défense des droits des personnes handicapées pour permettre de mettre fin à un mode de calcul injuste et discriminant d’un minima social.
L’AAH est un minimum social créé en 1975 dans le cadre de la loi du 30 juin 1975, déterminant le statut juridique des personnes handicapées, qui jusqu’à cette date étaient considérées comme atteintes d’une déficience, avec pour objectif une meilleure intégration des personnes handicapées dans la société notamment par cette garantie de ressources. Cette loi voit aussi la création de commissions chargées de reconnaître le taux de handicap, initialement Commissions Départementales de l’Éducation Spéciale (CDES) pour les enfants et les Commissions Techniques d’Orientation et de Reclassement Professionnel (COTOREP) pour les adultes, les deux fusionnant pour former les Commissions des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées (CDAPH) sous l’effet de la loi du 11 février 2005. A sa création en 1975, l’AAH concerne 100 000 bénéficiaires, contre plus de 1 000 000 aujourd’hui.
Le montant de versement de ce minima social aujourd’hui s’élève, pour un taux plein, à 903,60€/mois, avec un versement différentiel en fonction des autres aides, pensions ou revenus de la personne concernée. Pour les personnes en couple, ce sont les revenus du couple qui sont évalués et l’AAH viens les compléter jusqu’à atteindre un plafond de 19383,80€/an. C’est cette méthode de prise en compte des revenus qui pose problème : la personne handicapée en couple avec une personne travaillant verra son allocation diminuer jusqu’à disparaître entièrement si les revenus du ou de la conjoint.e sont supérieurs à 2270€, créant ainsi une situation de dépendance financière envers son ou sa partenaire. Comptabiliser les ressources de cette manière vient renforcer la pauvreté et la dépendance des personnes handicapées et ainsi les exposer plus encore aux situations de violences conjugales. Les personnes handicapées déclarent plus souvent avoir été victimes de violences conjugales, physiques, sexuelles ou verbales, que les personnes valides (25,2% pour les personnes handicapées contre 22,7% pour les valides entre 2011 et 2018 dans le cadre de l’enquête annuelle « Cadre de vie et sécurité »), cette violence étant accrue envers les femmes handicapées, 9,0% d’entre elles déclarant subir des violences physiques ou sexuelles contre 5,8% des femmes sans handicap. Déconjugaliser l’allocation et donc sortir les personnes concernées de la dépendance économique envers leurs conjoint.e est donc une mesure d’autant plus importante, car avec l’indépendance économique viens la possibilité de s’extraire d’une situation dangereuse.
La déconjugalisation apporterait aussi un point symbolique pour la considération des personnes handicapées en les rendant indépendantes financièrement. Elles ne seraient plus considérées comme étant à la charge de leur conjoint ou famille mais bien comme des personnes à part entière.
Si cette proposition de loi vient à passer, cela représenterai une victoire pour les personnes handicapées dans la lutte pour l’indépendance et la reconnaissance en tant que personnes pleines et entières. Cependant cette victoire ne représenterai pas la fin de la lutte, le montant de l’allocation étant encore sous le seuil de pauvreté malgré l’augmentation de son montant de 810,89€ à 903,60€ lors du quinquennat en cours. Pour continuer d’améliorer les conditions de vie des personnes handicapées, très touchées par la précarité (89% d’entre elles sont concernées), les demandes tournent beaucoup sur le pouvoir d’achat, permettant d’accéder à une meilleure qualité de vie, de l’accès au logement (on se rappellera de la loi Elan faisant passer le quota de nouveaux logements accessibles aux PMR de 100% à 10% en 2018, mettant ainsi un grand frein à l’accessibilité aux logement des personnes handicapées) ou encore de l’accès au travail dans des conditions adaptées.
Lutter pour la déconjugalisation de l’AAH n’est donc qu’une étape dans la lutte pour l’émancipation des personnes handicapées, et il faudra veiller à continuer de soutenir leurs luttes futures pour l’inclusion et l’indépendance, contre l’État bourgeois qui tente de faire taire leurs revendications, comme par exemple celles du CIAH31 dont plusieurs membres ont écopé de peines de prison avec sursis ainsi que d’amendes suite à des actions de blocages de train et d’aéroport, afin d’alerter sur le grave manque d’accessibilité dans les transports en commun dans un verdict rendu le 19 mai 2021.