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Depuis la pandémie du COVID-19 et le lancement des programmes de vaccinations contre le virus, les théories du complot ont connu un regain de popularité jamais vu depuis les attaques du 11 septembre 2001.
En effet, la pandémie du COVID-19 est un événement que personne n’a pu ignorer et a apporté un changement qualitatif rapide et palpable dans la vie quotidienne de tous et toutes. Dans un premier temps, personne ne comprenait vraiment ce qui se passait et les informations officielles provenant des divers régimes bourgeois n’ont fait qu’ajouter à la confusion. En France par exemple, la position de l’État a rapidement changé totalement sur presque tous les sujets : le port du masque, les tests PCR en masse, la fermeture des frontières ou des écoles, etc. Encore aujourd’hui, l’origine du virus n’est pas claire ; la politisation des diverses théories plausibles est à mettre en cause. Le manque d’informations claires a conduit beaucoup de gens à juger en fonction de leurs intérêts et surtout leurs intérêts de classe. Ceci est toujours le cas pour la petite-bourgeoisie, qui s’est sentie la plus touchée par les mesures sanitaires mises en place. Forcée à fermer ses petits commerces ou cabinets, à limiter ses activités, et privée de sa vie sociale relativement aisée, une importante partie de la petite bourgeoisie a choisi de croire que la pandémie n’est que le produit d’un complot qui sert à la priver de ses libertés économiques et individuelles. Pour les travailleurs, les délires de la petite bourgeoisie ne sont ni intéressants ni pertinents. Pourtant ces théories de complots réussissent à persuader des sections assez importantes du prolétariat. Cependant, l’intérêt de classe du prolétariat, comme son idéologie, n’est pas le même que celui de la petite bourgeoisie. Il faut distinguer ces deux perspectives du monde différent afin de se débarrasser des illusions complotistes des petits-bourgeois et de mettre en avant l’idéologie du prolétariat : le marxisme.
Il y a d’innombrables théories du complot, mais la plupart peuvent être réduites à quelques organisations (réelles ou fictives) organisées selon un très simple modèle du fonctionnement de la société. Les théories du complot autour du COVID-19 ne font pas exception. Avant tout, il faut qu’il y ait une société secrète responsable de tous les malheurs de la vie moderne. Normalement, ce sont les Illuminatis, les francs-maçons ou plus récemment, le New World Order (NWO, le Nouvel ordre mondial). Les racines de ces théories se trouvent dans les mouvements de fondamentalisme chrétien et d’extrême droite. Par exemple, l’idée derrière la théorie du NWO trouve ses racines au John Birch Society, un groupe de défense d’intérêts fasciste états-unien fondé en 1958. Originalement, sa théorie proposait que le communisme prendrait le contrôle du monde, créant une sorte de nouvel ordre mondial rouge. Malheureusement, cela ne s’est pas encore produit. À la place, l’URSS révisionniste s’est écroulée et la Chine a restauré le capitalisme. Suivant la fin brusque de l’URSS, le triomphant président états-unien George H. W. Bush a déclaré que le chapitre post-soviétique de l’histoire représente un « nouvel ordre mondial ». Avec cette déclaration, la vieille théorie du complot anticommuniste s’est trouvé une deuxième vie. Le caractère de classe de la théorie du NWO est bien démontré par sa critique du système d’intérêt, présentée comme à la source d’un esclavage moderne. Cependant, l’esclavage salarial du prolétariat dans la production capitaliste n’est pas du tout critiqué. Les auteurs de la théorie du NWO préfèrent critiquer principalement le fonctionnement du monde financier en soulignant des personnes juives bien connues dans cette sphère. Cet aspect antisémite est renforcé par « Les Protocoles des sages de Sion », un faux document apparu en 1903 en Russie et inventé par la police secrète du tsar afin de diffuser largement un plan fictif entre les juifs et les francs-maçons pour contrôler le monde. Les francs-maçons ont des racines datant du 16e siècle. Au cours des siècles, cette organisation s’est répandue dans le monde entier et est devenue de plus en plus fracturée entre les pays. Il n’est pas juste de les qualifier en tant que « société secrète » ; leurs activités, lieux de rencontre et membres sont connus. Il n’y a que leur fonctionnement interne qui est secret, donc il est plus juste de les qualifier en tant qu’une association fondée sur leurs cinq principes : liberté, égalité, fraternité, tolérance et humanité. Bref, ils adhèrent aux valeurs bourgeoises classiques qui étaient encore vivement contestées dans le féodalisme sous lequel ils ont été fondés. Les soi-disant Illuminatis ont aussi partagé ces valeurs des Lumières avec le but de mettre fin à l’absolutisme du 18e siècle. La société secrète en question est en fait appelée les Illuminés de Bavière (Illuminatenorden en allemand). Fondée en 1776 par le philosophe et théologien Adam Weishaupt à Ingolstadt, les illuminés voulaient promouvoir leurs valeurs modernes dans la politique en occupant des postes clés au sein de l’État absolutiste et aussi chez les franc-maçons. Finalement, les Illuminés de Bavière ont disparu peu après avoir été interdits par le gouvernement bavarois en 1785. Dès leurs débuts, les Illuminatis et les francs-maçons avaient acquis une mauvaise réputation qui a perduré en raison de leur opposition au système féodal, aux régimes absolutistes et aux valeurs imposées par l’église qui dominaient la société.
Une fois que toutes les couches de mystification sont enlevées, les diverses théories du complot partagent une histoire commune très simple : un petit noyau d’élites bien placées qui exploitent leurs puissants réseaux afin de consolider leur pouvoir total et unique sur le monde entier. L’instrument clé de ces plans maléfiques serait le système financier, souvent soi-disant lié à des personnalités juives. Si les médias ne soutiennent pas la théorie, c’est parce qu’ils font de la propagande pour la conspiration. Si la science contredit la théorie, cela veut dire que le monde scientifique est impliqué comme un acteur au sein du complot. Peu importe ce que les faits indiquent, la théorie reste toujours vraie. La victime centrale de la grande conspiration est la liberté comme on la connaît sous le capitalisme, donc la liberté bourgeoise qui représente l’exploitation et la misère pour le prolétariat. Évidemment, cette vision du monde ne correspond pas du tout à la réalité pratique. Premièrement, il n’existe pas d’organisation discrète ou ouverte avec un vrai pouvoir institutionnel mondial. Par exemple, le groupe Bilderberg est souvent cité dans les théories du complot, mais il ne rassemble que des personnes importantes des entreprises et des gouvernements de l’Amérique et de l’Europe. Le groupe Bilderberg représente sans doute une réunion discrète importante pour les grandes bourgeoisies occidentales, mais le reste du monde, incluant la Chine et la Russie, ne participe pas du tout. Aujourd’hui, le pouvoir mondial est très fractionné et la crise de l’impérialisme renforce cette division, tout cela est en conformité avec la lutte inter-impérialiste pour la reconquête de marchés et de ressources à l’étranger. La critique complotiste de la finance ne fait aucun sens non plus, puisque la finance n’est pas dominée par une seule bande de grands spéculateurs. Même dans cette période de capitalisme monopolistique, la concurrence est omniprésente et vicieuse dans le monde de la haute finance. L’argument d’un pouvoir monolithique ne correspond pas aux médias ou à la science non plus. Les médias bourgeois s’opposent selon les divisions nationales et internationales de la bourgeoisie impérialiste. En France, il est clair que les points de vue diffusés sur France 24, BFMTV ou CNews sont très différents et souvent non réconciliables. Aux États-Unis, il y a la rivalité féroce entre MSNBC à la gauche et Fox News à la droite. Il y a aussi des médias au service d’impérialismes étrangers tels que RT, qui diffuse un point de vue anti-UE et anti-OTAN favorable à l’impérialisme russe et qui contredit fortement la propagande pro-française sur France 24. En ce qui concerne la science, elle est organisée d’une façon décentralisée entre les universités et les centres de recherches du monde entier. La recherche se trouve souvent séparée des larges communautés afin de cacher de nouvelles découvertes efficaces et rentables dans le domaine militaire ou de la médecine. Malheureusement, il n’existe pas de plateforme unificatrice pour la science et ce qui se rapproche le plus d’une collaboration unifiée, ce sont les grandes revues scientifiques telles que The Lancet. Le seul facteur commun à travers les médias et la science actuelle est la domination générale de l’idéologie bourgeoise, puisque c’est naturellement la classe dominante qui détermine l’idéologie dominante dans tous les domaines de la société.
L’absurdité des théories du complot contemporaines démontre la dégénérescence des petits-bourgeois qui les défendent. Ils veulent critiquer la grande bourgeoisie et son État qui les soumettent à des pressions économiques, mais ils s’abstiennent bien de critiquer le système capitaliste-impérialiste à la base de leurs propres pouvoirs et privilèges de classe. En gros, c’est une façon de critiquer le tout sans critiquer rien. Ces petits-bourgeois réactionnaires n’aspirent qu’à devenir de grands bourgeois eux-mêmes et les théories du complot sont leur façon de pleurer sur leur sort impossible. Pourtant, cette compréhension anti-scientifique du monde réussit à convaincre des prolétaires, en grande partie en raison de l’abondance de la propagande complotiste en ligne. Quand assez de petits-bourgeois et de prolétaires sont convaincus par une théorie du complot tel que QAnon, une base idéologique pour un virage fasciste est établie. Tout ce qui manque est un dirigeant comme Trump pour mobiliser cette base fasciste au service de la bourgeoise impérialiste.
Face aux théories du complot, il est donc essentiel de former notre classe, le prolétariat, avec la compréhension scientifique de la société : le marxisme. Seul le marxisme expose et critique l’exploitation du travailleur par le capitaliste et des peuples opprimés par les monopoles impérialistes. Les théories du complot présentent une vision du monde fataliste dans laquelle l’humanité est impuissante contre une petite clique de conspirateurs, pourtant l’impérialisme est en crise croissante et les conditions pour la révolution prolétarienne internationale sont meilleures chaque jour. Le marxisme démontre que ce système pourri peut et doit s’écrouler, donnant lieu au pouvoir prolétarien et à l’abolition de la société de classes. Il nous libère des idéologies moribondes et absurdes et nous encourage à lutter pour nos propres intérêts de classe en tant que membres du prolétariat international.